Tout juste après la première mondiale en mars dernier de son alors très attendu X (lisez [à nouveau] notre critique ici), le talentueux réalisateur Ti West (The House of the Devil, The Innskeepers, The Roost) annonça tout bonnement que l’antépisode de son nouveau film avait d’ores et déjà été tourné et qu’elle mettrait en vedette encore une fois Mia Goth (Suspiria 2018, Nyphomaniac Vol. II), sa co-autrice de ce deuxième film, se déroulant près de 60 ans avant la fatidique nuit classée X.
Pearl (Goth, d’une fausse candeur hallucinante) est une étrange jeune femme (sur)vivant en campagne sur une ferme fauchée, aux côtés de sa mère autoritaire (Tandi Wright, d’une froideur impressionnante) et son père infirme (Matthew Sunderland, tour à tour victime et témoin impuissant). Après avoir goûté au fruit interdit avec un urbain projectionniste des plus charmants, elle espère pouvoir quitter enfin sa vie de misère en participant à un concours de danse dans sa paroisse. Or, Pearl finira par succomber aux violentes pulsions qui ne cessent de la tourmenter depuis un moment…
La production A24 a beau se passer en 1918, son récit résonne particulièrement bien aujourd’hui. Il se déroule en pleine pandémie (ET en temps de guerre aussi), alors que les gens sortent masqués pour aller au ciné ou à la pharmacie, de peur d’attraper une saloperie. Parfait flash, quand même, oui.
Mélanger les cartes et faire main pleine (miser sur le rouge)
Qui plus est, contrairement à une multitude de mauvais opus, refontes ou suites, ici, on ne donne pas dans la redite, bien qu’on réutilise habilement plusieurs éléments, pour le grand plaisir des plus fins observateurs. On restera vague pour ne pas divulgâcher quoi que ce soit, en mentionnant qu’en plus de Goth (impériale, aussi coquine qu’habitée) et des lieux d’X (les deux films ont été tournés en Nouvelle-Zélande au début 2021), vous retrouverez pas mal de choses qui vous sembleront familières. On parle notamment d’un plan (en ouverture) et d’une scène (bovine), d’un vêtement (clé) et d’une arme (acérée), d’une métaphore lettrée (le X, depuis les stag films, ses origines), d’un animal (denté) et de deux personnages (Pearl et Howard) — et sûrement plus encore (vivement un deuxième visionnement !).
En termes de réalisation, on a droit encore une fois à des plans soignés et parfaitement cadrés, à des musiques bien placées (juste assez innocente ou inquiétante, merci à Tyler Bates, qui est de retour), un montage propre et sans flafla (du polyvalent West), une histoire bien amenée et joliment ficelée et surtout des performances uniformément justes (avec de si beaux accents texans). On parle évidemment de celle de Goth en particulier, qui incarne à merveille notre Pearl, une ingénue curieuse et aux tendances déviantes, qui semble même (potentiellement) dangereuse et toujours sous pression, prête à exploser.
Du coup, le long métrage est ponctué d’une poignée de scènes clés magnifiquement dialoguées; comme celle plantée dans un champ de maïs (avec son épouvantail), ou surtout ce moment où, à la mi-temps, Ruth n’en peut tout simplement plus (juste avant que ne survienne un drame épouvantable). Ensuite, il y a la fameuse audition (où Pearl est sur son X, avec sa belle robe écarlate… avant que tout n’éclate) et finalement, dans le dernier acte, lorsqu’elle (en plein questionnement identitaire) se livre à sa belle-sœur toute entière… ouf. On n’est pas encore remis.
7e obsession ou exploiter sa passion
Quiconque est familier avec la filmo de West conviendra qu’il semble être l’un de ces cinéastes dont la cinéphilie est de type omnivore, qui bouffe du cinéma d’auteur au petit déjeuner et du genre comme des chips en soirée. Dès que le titre apparaît à l’écran, on comprend que le réalisateur a consommé beaucoup de films d’exploitation (tel que Thriller A Cruel Picture). De plus, à la manière de Guillermo del Toro avec son carnaval itinérant d’antan (Nightmare Alley), et surtout de Quentin Tarantino et son Hollywood, on dénote un solide souci du détail et de l’esthétisme dans l’irréprochable recréation de l’époque. Or, au lieu de dépeindre une fresque épique (il n’a pas ce genre de budget, de toute façon), West est plutôt en mode drame horrifique, sa fable intimiste (que six acteurs au total !) flirtant respectueusement avec des sous-genres hélas trop souvent dénigrés. On parle de ceux classés comme (il)lettrés par la caste du dessus, en les résumant à de simples caractères (B, Z ou encore X, évidemment). M’enfin.
Avec cette lettre d’amour méta à NOTRE cinéma favori (la porno n’est ici que l’analogie), il référence/révérence avec maestria les œuvres phares de ses maîtres à penser sans pour autant les pasticher/singer/copier. Encore une fois, on hommage le regretté Tobe Hooper avec le retour du crocodile mangeur d’homme et de femme (vous vous souvenez d’Eaten Alive ?), de même qu’avec la présence d’un fauteuil roulant et surtout d’un ultime et ô combien grotesque souper (on vous laisse deviner).
En fin de compte, on sourit chaleureusement en repensant à des classiques de Roman Polanski et de Brian de Palma (Repulsion et Carrie, pour ne pas les nommer), et à de sombres bijoux plus contemporains comme Black Swan et May. Tout ici est parfaitement assumé et magnifiquement exécuté, West livrant ce qu’on pouvait espérer de ce prologue fort inspiré, en arrivant à surprendre et marquer. Ce qui est tout de même assez impressionnant, après X, que le monde entier (ou presque) a adoré et/ou encensé. On pourrait même avancer que Pearl est probablement son film le mieux maitrisé. Une autre preuve (avec des films comme 10 Cloverfield Lane et Prey) qu’il est possible de raconter des récits passionnants au sein d’un univers existant, en (ré)utilisant ses codes intelligemment.
À boire et à manger
On finit par se rendre compte qu’X n’était en fait que l’entrée, tout en espérant que West et Goth soient déjà en train de nous concocter un dessert aussi eXtraordinaire que ce presque parfait Pearl. Du moins, c’est ce que votre scribe se disait au sortir de la projection de presse quelques heures avant la première mondiale de Pearl au TIFF lundi dernier.
Et, surprise, on vient d’annoncer que sera sous peu tourné un troisième volet — toujours avec Goth en tête d’affiche — intitulé MaXXXine (visionnez le teaser ici), qui fermera la trilogie. Oops, West did it again, le coquin. En attendant, on se retapera cette perle avec grand plaisir, qu’on vous conseille d’attraper en salle au plus vite en version originale (ah, ces chantants accents…).
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