Trois ans après Nadia, Butterfly, drame sportif qui avait connu un succès critique notable et l’avait confirmé comme artiste à suivre, le réalisateur Pascal Plante nous propose maintenant une œuvre complètement différente et audacieuse. On retrouve dans Les chambres rouges le même souci du détail à la mise en scène que nous promettaient les films précédents, mais on nous invite cette fois dans un univers beaucoup plus sombre et froid, qui promet d’être l’un des thrillers psychologiques les plus maîtrisés et réussis que le Québec ait vus naître depuis longtemps.
Alors que s’ouvre l’un des procès les plus médiatisés de la province, où un homme, Ludovic Chevalier (Maxwell McCabe-Lokos), est accusé du meurtre sordide de trois adolescentes, deux femmes s’installent silencieusement, en retrait, dans la salle d’audience. Les inconnues, qui ont chacune leur motivation pour assister au procès qui durera plusieurs mois, ont une chose en commun: elles ne semblent pas partager l’opinion populaire qui accuse Chevalier hors de tout doute. Alors que les procédures juridiques s’enchaînent, et qu’on en apprend plus sur les meurtres barbares dont on aurait retrouvé l’intégralité en vidéo, les deux femmes se rencontreront grâce au dilemme éthique qu’elles incarnent: dans une société où l’on cherche à trouver un bouc émissaire le plus rapidement possible, quelles sont les limites de la confrontation de l’opinion publique?
Les chambres rouges traite d’un sujet très lourd et doit ainsi être présenté à un public averti. Néanmoins, la réalisation ne fait pas cette erreur trop commune dans le cinéma edgy d’esthétiser la violence, s’appuyant sur des images explicites et gratuites. Oui, le film dérange, mais principalement par le non-dit, ce qu’on imagine en hors-champ et se donne la liberté de ressentir à notre guise; un résultat souvent plus troublant. Mais en dehors de ce qui concerne le crime sexuel en soi, c’est l’impact sur toute la communauté proche des victimes qui est le plus intéressant et c’est ce à quoi le film s’intéresse.
On ne nous expliquera pas dès le départ pourquoi Kelly-Anne (Juliette Gariépy) et Clémentine (Laurie Babin) ont cet intérêt pour l’affaire. Le tout sera est dévoilé au travers de leur relation qui, bien qu’elle semble un peu tirée par les cheveux par moments, constitue un pilier fort du scénario. Et même si Clémentine nous offre un questionnement moral intéressant (dont nous tairons la nature pour ne rien gâcher), c’est véritablement autour du personnage de Kelly-Anne que la toile narrative se tissera. Le personnage, énigmatique et visiblement tourmenté (servi par une interprétation impressionnante et contrôlée de Juliette Gariépy), connaît une courbe narrative digne d’un bon thriller de Fincher, où rien n’est manichéen, jusqu’à son aboutissement en un climax bouleversant. Le scénario n’est pourtant pas si complexe, mais l’angle apporté et les choix de mise en scène sont d’une efficacité redoutable. Le vent de fraîcheur (même s’il provient d’un bagage cinématographique somme toute classique) fait du bien.
Malgré quelques accrocs, tel qu’un jeu parfois inégal dans certaines scènes ou quelques moments simplement un peu moins percutants, Les chambres rouges tire sa force de son identité forte et claire. On veut déranger, toujours avec sensibilité, et le résultat est une œuvre sans compromis, qui se démarque définitivement du lot, et est voué à un succès international. Une autre réussite dans une carrière de réalisation déjà bien amorcée.
N.D.L.R.: Cette critique était publiée dans le cadre de l’édition 2023 du festival Fantasia.
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