Préparez-vous, parce que vous allez entendre énormément parler de Les chambres rouges dans les prochains mois.
Le nouveau thriller du Québécois Pascal Plante (Nadia, Butterfly, Les faux tatouages) a fait un malheur lors de sa première mondiale à Karlovy Vary, et les critiques se sont avérées toutes aussi enthousiastes (lisez la nôtre, dithyrambique) chez nous après son passage à Fantasia, où le film aura finalement récolté les prix pour Meilleur film, Meilleure performance (Juliette Gariépy), Meilleur scénario et Meilleure musique originale — que ça!
Avant sa sortie en salle, partout au Québec dès le 11 août prochain, Horreur Québec se devait de rencontrer le cinéaste à propos de son film qui s’attarde sur deux fans d’un terrible tueur en série.
Horreur Québec: Est-ce que Les chambres rouges a été difficile à vendre aux institutions?
Pascal Plante: Je ne suis pas ce genre de cinéaste qui va pourfendre les institutions. C’est un peu une mission impossible pour eux d’essayer de faire un portefeuille de cinéma varié, qui va plaire aux 7 à 77 ans, aux plus cinéphiles, au plus grand public, etc.
Par contre, tout ce qui est difficile à vendre, qui est inhabituel ou synonyme de différent et qui n’est pas comme la recette préapprouvée, il faut que tu le défendes. J’appelle ça du déminage. Par exemple, on a une longue scène de dialogues avec des exposés d’ouverture d’avocats. C’est quinze pages. C’est inhabituel, il faut donc présenter les pourquoi et les raisons.
Ce faisant, je suis assez surpris que ce film-là soit financé, dans le sens où il est assez bizarroïde. Je le porte comme un badge, je trouve ça drôle, je trouve ça le fun. J’espère qu’ils vont y prendre goût, la SODEC et Téléfilm Canada: une première à Fantasia avec un film OVNI comme ça, avec la réaction des gens. Je pense que ça se sentait dans la salle. Il y avait de l’électricité dans l’air.
HQ: On espère d’ailleurs que le film va faire du bruit en salle, justement pour dire à ces gens-là qu’on veut plus de cinéma de genre comme celui-ci.
PP: Ouais, et que ce n’est pas parce que c’est saugrenu ou un peu «out there» que c’est plus mal. C’est mon premier film de genre qui flirte avec les codes de l’horreur et du thriller, mais je trouve qu’en 2023, pour un cinéaste, c’est tellement le fun de baigner dans ces genres-là parce que tu t’adresses à des publics qui sont aventureux.
Par exemple, Lamb et A24. Le film était vendu comme «the weirdest sh*t out there». Avec un drame pourtant, on aurait bien trop peur de vendre son côté étrange. Pourtant, à la limite, pour les fans ou les gens qui suivent le cinéma, plus c’est étrange et mieux c’est. Je pense qu’on est dans une sorte d’âge d’or du cinéma de genre parce que c’est le cinéma où les cinéastes peuvent en donner le plus, ils peuvent expérimenter, se planter peut-être, mais être vraiment originaux, être bold, etc. Là où je trouve que le drame ou tous les autres styles sont frileux, dès que tu verses dans le fantastique, l’horreur ou la sci-fi, on peut aller plus loin.
HQ: En parallèle, tu es toi-même un fan de cinéma. Tu vas régulièrement à Fantasia.
PP: Ouais. Je dirais que je suis un fan de tout en fait. De la même façon que je suis un fan de musique métal, mais que j’écoute aussi du folk. Je pense que ceux qui consomment du cinéma un peu plus extrême vont aussi consommer de tout, tandis que l’inverse n’est pas nécessairement vrai. Donc oui, je regarde du cinéma de genre. Cela dit, je ne recherche pas ça à toute heure du jour. Quand je sens la recette, ça m’attire moins. J’aime les visions singulières d’auteurs.
HQ: Qu’est-ce qui t’intéressait particulièrement avec le sujet des groupies de tueurs en série?
PP: Déjà, je trouve que c’est surprenamment peu vu et exploré comme angle. J’ai regardé beaucoup de true crime, par intérêt personnel, mais surtout pour de la recherche, parce que le true crime, ça finit toujours par se ressembler puis être un peu déprimant à binger.
À toutes les fois où il y a un petit aparté sur les gens qui s’abreuvent de ça et qui sont fans, moi, je veux voir le film sur eux, c’est trop curieux! C’est parti d’une réelle curiosité. La productrice du film, Dominique Dussault, était au cœur de l’idée brute d’avoir un point de vue de ces fans. L’angle est venu en premier. L’aspect interconnectivité et cybercriminalité est venu en pandémie, à passer beaucoup de temps devant un écran, à regarder plus de films et plus de films d’horreur aussi.
En pandémie, on dirait qu’on voulait combattre le feu par le feu. Je n’ai jamais regardé autant de films d’horreur. Un bon film d’Argento! J’avais besoin d’horreur communicative et généreuse.
HQ: Donc ton binge-watch de true crime, c’était avant d’avoir l’idée du film où c’était pour te documenter sur sujet?
PP: L’idée brute du tueur en série de l’angle des groupies, ça fait quand même quelques années. Ça, c’est prépandémie. Entre-temps, moi, j’ai fait mon film d’avant, Nadia, Butterfly, et on l’a terminé vraiment à l’aube du premier confinement. Puis moi, tu sais, moi je fais de bons blues à la fin de mes projets. Quand j’ai un projet, je suis un peu un bulldog, je ne les lâche pas. Du moment que j’approuve le DCP du film, on dirait que j’ai comme un cycle et là, mon cycle dépressif est arrivé exactement avec une pandémie mondiale. C’est un peu explosif. Le true crime est venu un peu en même temps.
HQ: Est-ce que la violence suggérée du film est une sorte de réponse à la mode des Dahmer et autres trucs Netflix?
PP: Un peu. Tu sais, en pandémie — ce n’est pas un film pandémique, mais il est né là avec beaucoup d’écrans et peu de social — c’est comme si même le gore ne faisait plus effet. Sauf quelques exceptions, comme par exemple, j’ai vu l’excellent film de Marina de Van, Dans ma peau, je t’avoue que mon état de visionnement était plutôt passif, même si des fois, c’était relativement intense ce que je consommais. En parallèle, j’ai découvert tout le merveilleux monde sur YouTube des creeypy pastas et des podcasts d’horreur. Ça, ça le faisait. Je ne sais pas pourquoi, mais on dirait que c’est comme un retour du balancier, comme si on avait tout vu aujourd’hui. On dirait que je n’ai jamais eu autant la chienne en me faisant raconter ou juste à me mettre dans une ambiance. Le storytelling verbal générait des images horrifiantes dans mon cerveau et, lui, fonctionnait.
Dès le début, c’était voulu d’être excessivement pudique dans la violence montrée, mais d’être graphique dans le «comment» on décrit tous ces meurtres, dans le but effectivement de générer les images horrifiantes dans la tête des gens. Ce faisant, ce sont des images qui sont peut-être plus difficiles à enlever de notre tête après. J’ai vraiment profondément réfléchi à quels films me hantent et quels films j’oublie ou qui ne se sont pas nécessairement imprimés dans ma rétine. J’ai essayé de toutes mes forces de faire un film qui allait se glisser sous la peau le plus possible. Puis je pense que l’idée de suggérer et de ne pas montrer, c’était une des tactiques utilisées pour se faire.
HQ: Dans cette optique-là, avais-tu des modèles de thrillers classiques en tête en faisant Les chambres rouges?
PP: Toute la réflexion psychologique de Michael Haneke, c’est certain que ça me nourrit. Je n’ai pas revisité l’intégralité de ses films, et je ne suis pas non plus allé puiser littéralement, mais je me suis vraiment plutôt rappelé ce que ses films me font sentir. Ou encore un bon Lars von Trier. Ils entrent dans ta tête et prennent un malin plaisir à jouer avec vous.
Ce sont des virtuoses, on s’entend, mais j’ai vraiment essayé de me remettre en tête ce genre de cinéastes, qui sont très adroits dans la danse qu’ils ont avec la psyché du spectateur. Au niveau plastique, je pourrais en nommer d’autres. Le film a plusieurs phases. Au début on est plutôt mathématique. Par exemple, le plan de grue télescopique dans la salle d’audience, je suis assez content parce que je pense pas avoir emprunté à personne ici. En fait, on voulait imiter le VR, étant donné qu’on est dans la tête d’un personnage ultra-cartésien et calculé. Il y a toute une dimension spectrale aussi autour du personnage, avec une aura un peu hors du temps ou vampirique, donc on voulait une caméra qui flotte un peu comme un spectre.
La phase avec Clémentine, le moment où l’amitié prend plus le pas, ça, je pense que ça me ressemble. Ça ressemble à mes films d’avant: le choix de cadrages, les prises à l’épaule, les mises en place ouvrantes, un peu dépouillées. Après c’est la phase plus paranoïaque, c’est là où je pense que j’ai emprunté un peu plus. Il y a du Żuławski là-dedans. Il y a du Abel Ferrara un peu, dans les éclairages surtout. Vers la fin, on sort les films de maisons hantées. On est plus dans le rétro, mais encore là c’est très bizarroïde. Les gros rouges d’éclairages, on beurre dans la giallo. Je pense que le film redevient le genre de bibitte unique. C’est un peu étrange que le film des vingt premières minutes puis le film de la fin soient le même film, mais je pense que le chemin pour s’y rendre a été plutôt cohérent. En fait, j’ose espérer.
HQ: C’est intéressant de noter que techniquement, il y a vraiment une certaine coupure ou différence avec tes deux premiers films, mais le but est quand même d’essayer de capter une certaine réalité, presque documentaire.
PP: Ouais. Sans dire nécessairement documentaire, c’est souvent documenté. C’est là où vraiment le travail des consultants prend place. J’ai même demandé à un avocat de me faire un faux exposé d’ouverture, puis j’ai littéralement volé des trucs de dialogue, de comment les avocats parlent.
On a passé les années où le cinéma pouvait tourner les coins ronds. Ce n’est pas parce que ce sont des fictions qu’il faut se dédouaner du fait qu’on peut avoir une bonne responsabilité envers les milieux ou les gens qu’on dépeint.
HQ: Je voulais absolument parler des performances d’actrices qui sont incroyables dans Les chambres rouges. Quelle direction leur donnais-tu pendant, ou peut-être même avant le tournage?
PP: Direction, je trouve ça un peu autoritaire comme choix de mot. Je me plais plus à créer un climat où elles sont vraiment à l’aise, où elles peuvent être créatives aussi. Quand je choisis quelqu’un pour un rôle, je ne veux pas qu’il devienne le prolongement de mon idée à moi. Je les choisis pour leur cerveau, leur créativité pour ce qu’ils vont apporter au film. Avant le tournage, je ne leur bourre jamais le crâne. S’ils m’amènent un angle que je n’avais pas soupçonné, ça peut devenir meilleur que si je leur avais dit de jouer d’une façon précise.
Sinon, je leur ai quand même donné des playlists de musique, j’ai prêté un livre, j’ai recommandé un tutoriel YouTube sur les courbes de marché, sur la crypto, etc. Juliette [Gariépy] a aussi appris le squash. Il y avait une vraie préparation physique. Mais moi, je ne m’interférais pas trop là-dedans quand même. Je leur donnais juste plein d’outils, soyez inspirés par tout ça et on se revoit au jour J.
HQ: Je voulais aussi aborder aussi la dualité entre le côté techno et médiéval du personnage de Kelly-Anne. Pourquoi c’était important d’avoir ces deux mondes en elle?
PP: La réponse courte et simple, c’est que sur papier, je ne voulais vraiment pas faire la Lisbeth Salander québécoise 2.0. C’était trop facile et je voulais vraiment aller ailleurs.
Puis avec Juliette, plus on parlait du personnage, plus on parlait d’elle quasiment comme une sorcière. Je trouvais vraiment que c’est un terreau intéressant à explorer. Comme on ne dévoile rien sur son passé, tout à coup, son cube de verre, son appartement, devient un très bel endroit pour apprendre à la connaître sans alourdir le récit. Pour son pseudonyme, par exemple, j’ai commencé à geeker un peu sur les poèmes médiévaux et la mythologie arthurienne et je suis tombé sur The Lady of Shalott et c’était parfait. On parle d’une femme qui vivait seule dans une tour, qui voyait le monde à travers un miroir et qui est tombé amoureuse de Lancelot, un chevalier — déjà «chevalier», il y a un lien avec le choix du nom du tueur. Bref, je trouvais qu’il avait comme une métaphore vraiment intéressante avec ça.
Puis il fallait rester sur une belle ligne sans tomber dans le kitsch. J’ai été beaucoup inspiré par le travail d’une photographe qui s’appelle Julia Margaret Cameron, comme par exemple sa photo La Guenièvre sur Alice Liddell, qui a inspiré Alice in Wonderland. Bref, je me suis vraiment amusé à geeker sur Wikipédia. Je voulais me mettre dans la tête de Kelly-Anne, qui est ultra geek. Puis on se dissociait du côté hacker urbain. Le hacking, c’est un peu comme de la sorcellerie moderne.
HQ: Ton prochain film sera un film d’horreur folklorique?
PP: Un peu, oui! Horreur-ish…
HQ: D’ailleurs, est-ce que les étiquettes sont importantes pour toi? Si je te dis que Les chambres rouges est un film d’horreur, tu réponds quoi?
PP: Film d’horreur, on dirait que ça vient avec des responsabilités, puis des a priori. J’ai peur que si les gens le voient trop comme un film d’horreur pur et dur, ils puissent trouver la première heure un peu longue. L’étiquette vient avec une certaine pression et pour me dédouaner de ça ou pour l’atténuer, on a plutôt mis ça sous l’ombrelle un peu fourre-tout de thriller et suspense psychologique. Mais on s’est demandés si on assumait carrément qu’il s’agit d’un cyberthriller. Et est-ce qu’on aborde l’aspect drame judiciaire? À un moment donné, ce n’est plus possible. C’est un drame judiciaire cyberthriller d’horreur… Il faut se brancher. Mais c’est vrai que c’est tout ça aussi.
La plupart des films que j’aime ne sont pas ceux où il y a une étiquette simple et facile. Si je te nomme The Innocents, c’est un film de fantômes et c’est un film sur la solitude. C’est toujours un film sur plein de choses et c’est ça qui les rend si riches. Rosemary’s Baby, un de mes films d’horreur préférés, parle de dynamique de pouvoir dans le couple, d’appât du gain, de maternité, etc….
HQ: Donc, le prochain film?
PP: C’est un récit de survie humaniste féministe. C’est l’histoire du premier contingent de Filles du Roy. C’est coscénarisé avec Dominique Dussault. Au fil des recherches, on s’est rendus compte que le premier voyage en 1663, les premières Filles du Roy envoyées par bateau de France vers la Nouvelle-France, a été un voyage un peu maudit. La traversée devait durer 40 jours et en a duré 111! La moitié des gens sur le bateau sont morts, donc de là un peu le côté horreur folklorique. C’est un récit de survie dans une cale de bateau avec un côté très «sororité» en compagnie des Filles. Les gens meurent de scorbut… C’est un film qui va être très sombre et très sale aussi. Il n’y a pas de fantastique à proprement parler, mais je pense que l’horreur vient de l’aspect survie trash.
HQ: Vous avez un titre?
PP: À date, on l’appelle juste Filles du Roy. Les titres, c’est soit la première affaire qui est là qui va rester jusqu’à la fin, ou c’est le truc qu’on change quarante fois.
HQ: On va pouvoir le voir quand?
PP: Ah, ah! Ça, ça dépend des aléas du financement et tout. En pandémie, on a pris un peu d’avance justement. Le bon côté, s’il y avait un bon côté, c’est que j’étais à la maison groundé à écrire avec moins de distraction. En deux ans j’ai pu faire deux scénarios. Je dirais au plus tôt 2025, réalistement en 2026.
En attendant plus de nouvelles sur ce prochain film, on vous incite fortement à découvrir Les chambres rouges, en salle le 11 août prochain.
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.