Une maison insalubre accumulant les jouets d’un vieux sculpteur alcoolique. Un manipulateur vicieux trouvant l’extase dans le mensonge et la torture. D’infâmes parents accusés d’un crime inimaginable, à qui on ne confierait même pas un chat. Un garçon ayant l’audace de croire qu’il peut servir de conscience à un être abject. Un vœu, celui de se libérer du passé, qu’une mystérieuse femme aux cheveux bleus aurait le pouvoir d’exaucer.
À l’origine, l’histoire de Pinocchio, dans sa version non censurée, en était une brutale et violente. Après un processus d’édulcoration, Pinocchio est devenu l’histoire du pantin de bois que nous connaissons tous aujourd’hui. En collaboration avec une myriade d’auteurs, Maude Royer a revisité l’univers des contes qui ont bercé notre enfance pour la collection Contes interdits des Éditions AdA. Pinocchio sortait le 31 mars dernier.
Après avoir arrêté son choix sur l’œuvre de Pinocchio, Royer a décidé d’exploiter le côté cru et vicieux du récit original pour son adaptation. D’entrée de jeu, la table est mise pour le dénouement de l’histoire; les jeunes personnages s’adonnent à une activité douteuse, ce qui laisse entrevoir le pire. L’auteure appuie sur les clichés d’un homme aigri par la vie qui, après s’être vu retirer ses droits parentaux, se tourne vers la bouteille. Rejeté par les humains, il trouve refuge dans les objets, qu’il cumule de manière obsessive. Incapable de se départir de ses possessions, parmi lesquelles figurent bon nombre de jouets, sa maison déborde d’objets de tous genres. Un dépotoir. Il y accueille néanmoins un étranger. Ce nouvel arrivant, une version humaine et sombre de Pinocchio, changera sa vie.
Le style d’écriture qu’emprunte Maude Royer pour cette œuvre détone de celui qu’on lui connaît et qu’elle emploie dans ses autres romans, qui sont habituellement destinés à un public beaucoup plus jeune. Elle manipule et détourne les verbes et les mots, ce qui est franchement bien réussi. Le lecteur peut facilement déceler le plaisir qui l’a animée lors de l’élaboration de ce récit. Pour ce faire, elle est assurément sortie de sa zone de confort, ce qui est tout à son honneur.
Cela dit, le fait que ce soit visible laisse sous-entendre que ce n’est pas tout à fait incarné, un peu forcé. L’histoire de Pinocchio qui est racontée ici est une version très trash de la vie d’un manipulateur sadique et vicieux. Même si les personnages sont intéressants et intrigants, ils sont parfois inaboutis et incomplets. Le manque de développement agace et soulève certains questionnements. À vrai dire, les personnages auraient pu et auraient dû être davantage développés, surtout qu’ils regorgent de potentiel. Malheureusement, on reste un peu sur notre faim. Lors de cette incursion dans le monde de l’horreur, l’auteure abuse des clichés à défaut de maîtriser les codes. Ce manque de subtilité et de naturel fera probablement rouler des yeux bon nombre d’entre vous.
Par contre, les moments gores et sadiques pardonnent un peu. Leur efficacité compense en partie pour les défauts soulevés plus tôt. Sa plume habile et son imagination tordue contribuent également à la réhabiliter dans le cœur du lecteur. Tout ça pour dire qu’on aimerait voir Maude Royer écrire davantage de récits d’horreur et ainsi parfaire sa maîtrise du style. L’auteure de livres pour enfants et jeunes adultes qu’elle est pourrait très certainement charmer une clientèle plus mature et adepte d’épouvante.
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