Note des lecteurs8 Notes
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Points faibles
4.5
Note Horreur Québec

Un bébé s’agite dans la pénombre. Soudain, un corps nu et sale s’approche de lui. Une main ridée s’empare du sexe de l’enfant, tandis que l’autre, qui tient un couteau, s’avance pour le trancher. Coupure (au noir).

On ne verra pas l’acte en tant que tel, mais la scène décrit bien le film dans son ensemble: l’horreur y sera souvent suggérée, en hors-champ ou à peine montrée. Elle planera, tout au long, comme la menace de la sorcière sur cette première œuvre de Robert Eggers basée sur d’authentiques fables folkloriques (le sous-titre en est d’ailleurs A New-England Folktale). Notons qu’il a obtenu le Prix de la mise en scène au festival de Sundance en 2015.

Nous sommes en 1630. Les Lumières n’ont pas encore sorti le monde de l’obscurité. La religion régule tout et les habitants d’un petit village de la Nouvelle-Angleterre décident de bannir William et Katherine à cause d’une divergence d’interprétation biblique. En parias, ceux-ci fuient le hameau avec leur progéniture pour démarrer leur propre ferme, à l’orée d’un épais bois. «We will conquer this wilderness, it will not consume us!» chantent-ils en avançant avec leurs cinq enfants vers les arbres menaçants. Ils ne savent pas à quel point ils ont tord.

the-witch-final-posterSans trop dévoiler l’intrigue, l’un des leurs disparaitra et commencera alors le cauchemar sans fin de ce cette famille abandonnée par leurs pairs – et semble-t-il par Dieu. Mais à qui est la faute? Celle de William (Ralph Ineson, The Office, très convainquant), qui a refusé de faire baptiser ses enfants? Celle de la cadette en pleine puberté Thomasin (épatante Anya Taylor-Joy aux yeux immenses, récent Morgan), que sa petite sœur accuse de diableries? Kate Dickie (aperçue allaitant son enfant-roi presque adolescent dans Game of Thrones) est remarquable dans le rôle de la mère, profondément malheureuse et poussée aux limites du désespoir par la perte de tout ce qu’elle possède.

Tout le monde a de quoi à se reprocher dans ce monde gangréné par la peur du péché et où la folie n’est jamais loin. On ne peut faire confiance à personne, pas même aux animaux.

D’ailleurs, sommes-nous sûrs de la réalité des choses dont nous sommes témoins en tant que spectateur? Certaines scènes permettent d’en douter, comme si tout cela n’était qu’une hallucination, à l’image de celles induites par la belladone, puissante plante toxique dont les «sorcières» enduisaient leurs balais et qui par contact de la vulve leur donnait l’impression de s’envoler.

L’époque est dépeinte avec brio, le réalisateur étant allé jusqu’à consulter des experts en agriculture par soucis de réalisme. La misère se sent dans les bâtiments et les vêtements crasseux, à travers une cinématographie granuleuse presque monochrome et cadrée dans un format daté, loin du plein écran habituel.

La musique, comme la forêt, est un personnage à part entière. Les violons discordants viennent ponctuent les scènes-clés et nous amènent parfois au bord de la crise de nerf, rappelant la trame originale finalement non sélectionnée de The Exorcist.

The Witch ne s’adresse pas aux amateurs de films d’horreur au rythme rapide et aux effets grandiloquents (à ce propos, je suggère une écoute en solitaire plutôt qu’en groupe, de même que l’utilisation des sous-titres puisque le vieil anglais y est ardu). L’horreur y est distillé au compte-goutte, elle agit comme les coups de pinceau sur un tableau impressionniste: à la fin, on est saisi par l’ensemble et les scènes finales, jouissives, nous récompensent d’avoir persévéré malgré la rareté des moments vraiment horrifiants (mon seul bémol, j’en aurais aimé davantage). Les dernières images nous plongent en plein Häxan, Witchcraft Through The Ages, classique de 1922. On sent un amour et une grande recherche du sujet de la part du cinéaste.

Ce film, parent des contes des frères Grimm et sorte de genèse à Blair Witch Project, est une première œuvre réussie pour Eggers. Un cinéaste très prometteur qui, après les sorcières, s’attaquerait bientôt aux vampires en adaptant le Nosferatu… aussi de 1922. On a déjà très hâte!

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