Journaliste pour Le Devoir depuis 2008, François Lévesque se distingue de ses collègues notamment grâce à son amour pour l’horreur, la science-fiction et le fantastique. Également auteur de plusieurs œuvres littéraires, dont Un automne écarlate, La Noirceur et son petit dernier Le Nord retrouvé, on se devait de lui demander ses 5 coups de cœur du cinéma d’horreur!
J’ai l’âge que j’ai – 42 ans – donc sans grande surprise, mon palmarès de film d’horreur est constitué de titres plus poussiéreux. Les années 1980 sont surreprésentées, non parce que j’ai bu le Kool-Aid nostalgique Stranger Things (que j’aime bien), mais parce que je suis un enfant de cette décennie et que c’est en l’occurrence par les films d’horreur que j’ai découvert le cinéma; le cinéma qui m’a aidé, plus que j’en ai été conscient alors. Entre l’épouvante et moi, ce fut le coup de foudre instantané, et bien que j’aie eu tôt fait d’élargir mes horizons cinéphiles, je suis toujours resté fidèle à mes premières amours. Dans mon métier de critique, les films d’horreur sont souvent ceux que j’attends avec le plus d’impatience, comme un ti-cul, son anniversaire (c’est parfois vain, hélas). Les films énumérés plus bas sont ceux qui ont eu un impact durable sur mon imaginaire, d’où l’absence de titres qu’il convient habituellement de nommer (The Innocents, The Haunting, The Shining, Rosemary’s Baby, etc). Leur influence est discernable dans plusieurs de mes romans, c’est dire qu’ils m’habitent en permanence.
A Bay of Blood (La Baie sanglante) (1971) de Mario Bava
Contexte: je suis adolescent, et à défaut d’être en mesure de voir tous les films que je veux, j’ai commencé à lire sérieusement sur le cinéma; je n’en ai alors que pour Henri George Clouzot et Brian De Palma (ça ne me passera jamais vraiment), et durant cette période, je snobe un peu l’épouvante (étant passé par-là de bonne heure, je n’ai pas eu à refaire ce numéro durant mes études. Un certain samedi que je passais chez un ami dont les parents possédaient un dépanneur-club vidéo, ce dernier m’a demandé: «Veux-tu voir un film avec plus de meurtres que dans Vendredi 13?». Le snobisme a pris le bord drette là. La baie sanglante reste pour moi le premier – et le meilleur – slasher (Peeping Tom de Powell et Psycho de Hitchcock comme précurseurs, oui oui). Une comtesse dont le manoir est sis en surplomb de la baie du titre est assassinée dès les premières minutes (un meurtre stylisé comme dans les meilleur gialli) et il se trouve que l’endroit est très convoité. Voisins et membres de la familles ont des visées sur l’endroit, mais tous tombent comme des mouches, chacun leur tour. Le gore est copieux et a manifestement inspiré Tom Savini pour des jobs de makeup chez Romero et dans Friday the 13th. Mais c’est la mise en scène virtuose de Bava, entre kitsch et baroque, qui m’a ébloui. Et contrairement à la majorité des gialli alors en vogue et des slashers américains venus ensuite puiser dans ce cru italien, l’intrigue est très bien ficelée, sa structure gigogne multipliant les retournements et révélations. On est proche du whodunit à la Agatha Christie (genre And Then There Were None), dont les romans comptent parmi les premiers que j’ai lu tout jeune, tiens. J’écris du noir, de l’épouvante et du policier: ceci expliquant cela, nul doute. J’ai subséquemment tâché de voir tous les films de Bava, souvent dans des versions remontées boboches. Le corps et le fouets, une fantasmagorie gothique remarquablement mise en scène, est un autre favori avec son travail sur la couleur sublime, souvent en saturation chromatique (Argento l’avait certainement en tête en concevant Suspiria).
The Changeling (L’enfant du diable) (1980) de Peter Medak
On recule dans le temps: je suis tout gamin, et il y a peu de choses que j’aime plus qu’une bonne histoire de fantômes. C’est en plein ce qu’offre The Changeling. George C. Scott (qui est excellent de retenue pour une fois) vient de perdre sa femme et sa fille dans un terrible accident et, why not, il emménage dans une immense demeure qui paraît n’avoir été construite que pour être éventuellement hantée. Il y a tout, là-dedans: un beau crescendo de phénomènes étranges (la balle dans l’escalier est une séquence emblématiques ayant fait l’objet de maints hommages), des murmures d’outre-tombe, une pièce secrète, une séance de spiritisme qui vire mal, une dépouille dans un puits avant Ringu, et l’esprit vengeur d’un enfant mort qui cherche à faire éclater la vérité quant aux circonstances de son trépas. La réalisation de Medak est hyper efficace, ingénieuse mais jamais tape-à-l’œil. Là encore, il y a un élément de whodunit par l’entremise du mystère qui transforme Scott en détective amateur. La musique de Rick Wilkins est superbe. Le film que mon grand frère et moi avons loué le plus souvent, flos – en cassette beta, rien de moins.
Fright Night (Vampire, vous avez dit vampire?) (1985) de Tom Holland
Objectivement, ce film a mal vieilli – on devine le quartier construit en studio et les effets spéciaux à l’époque incroyables font désormais sourire (sauf le rictus carnassier d’Amy qui torche encore). Mais. Cette presque comédie d’horreur est l’un des premiers films que j’ai vu, gamin, et il m’a marqué d’une manière particulière. Le héros Charlie Brewster, un adolescent qui constate avec effroi que son nouveau voisin est un vampire, m’a laissé indifférent. Ledit voisin vampire, en revanche, Jerry Dandridge, fut l’un de mes premiers crushs de petit garçon déjà très conscient de son homosexualité. En fait, je m’étais beaucoup identifié au personnage du meilleur ami «Evil Ed»: il est gai, laisse sous-entendre le film (ce qui n’était pas coutumier à l’époque pour un film hollywoodien), et est «séduit» par Jerry Dandridge qui lui promet: «Ils ne se moqueront plus de toi». L’intimidation scolaire qui m’a pourri la vie du primaire au secondaire était déjà commencée à ce stade précoce de mon existence, et ces mots-là ont résonné en moi plus que je n’aurais su le dire. Avec des yeux d’aujourd’hui, tout cela est zéro subtil, mais dans le temps, c’était comme si les personnages du film m’adressaient un clin d’oeil complice, l’air de dire: «T’es pas tout seul, mon homme». Sans que je l’aie prémédité, j’ai intégré Fright Night à mon premier roman, Un automne écarlate, paru en 2008, et dont l’action se déroule en 1986.
The Company of Wolves (La compagnie des loups) (1984) de Neil Jordan
Décidément, mon top est tributaire des films qui m’ont impressionné jadis. Celui-ci tient plus du conte de fées horrifique que du film d’horreur à proprement parler. Je me souviens avoir été d’emblée captivé par l’affiche, aperçue en encart publicitaire dans le journal: le film jouait au ciné-parc de la ville voisine, si je ne m’abuse (en programme double avec La maison près du cimetière, de Fulci?). Bref. On pouvait y voir une gueule de loup sortant de la bouche étirée d’un homme sur fond de pleine lune. J’en ai conclu qu’il s’agissait d’un film de loups-garous, et comme le tout premier film que j’avais vu était An American Werewolf in London et que j’avais ADORÉ, j’en ai pris bonne note. J’ai mis du temps à pouvoir le visionner. Le club vidéo de ma petite ville d’Abitibi n’en avait pas de copie et finalement, je suis tombé dessus par hasard, en fin de soirée, sur une chaîne anglophone (ASN, où j’ai aussi pu voir tout le cycle Poe de Roger Corman). Cinq ou six ans s’étaient écoulées mais l’attente en avait valu la peine. La jeune fille qui s’endort dans cette maison d’un autre temps à la campagne, et qui rêve d’une forêt sinistre où se joue une version étrange, sensuelle, et passablement freudienne, du petit chaperon rouge… Il y a tellement de fulgurances oniriques mémorables: la grande soeur poursuivie par les loups courant parmi des champignons géants phalliques à souhait; la femme-louve qui sort du puits du village, une nuit, dans le méta-récit; le Diable gentleman incarné par Terrence Stamp le temps d’une apparition dans un autre méta-récit; la tête de mère-grand qui vole en éclats comme une porcelaine… Ça m’a envoûté, et j’ai vite cherché à mettre la main sur le recueil de nouvelles d’Angela Carter. Quant au réalisateur Neil Jordan, il a longtemps compté parmi mes préférés (Butcher Boy!) et je me désole de son creux de vague qui semble vouloir perdurer. Mon roman L’esprit de la meute doit énormément à ce film (à part égale avec le Cat People de Paul Schrader).
The Thing (L’effroyable chose) (1982) de John Carpenter
J’ai vu E.T. au cinéma, mais le film d’extraterrestre de cette année-là qui s’est imprimé dans ma mémoire pour la vie, c’est The Thing, vu plus tard à la télé. Lors de mes premiers visionnements (la manie de revoir les films en boucle m’est venue très tôt), les différents membres du groupe coincé avec «l’effroyable chose» dans cette station en Antarctique étaient interchangeables à mes yeux, hormis MacReady (alias Kurt Russell, autre crush). Les effets spéciaux débridés de Rob Bottin ont mis mon esprit en ébullition, et le fait que le film se termine sur une fin ouverte était inusité, et ça m’a plu au boute. Je crois, a posteriori, que le concept m’a instinctivement interpellé, à un niveau inconscient: j’étais un rejet qui aurais voulu faire partie du groupe, «s’y fondre», et voici un film dont le héros se tient volontairement en retrait dès le départ et où l’ennemi est dangereux justement parce qu’il «se fond» dans le groupe. Non seulement MacReady ne s’en trouve pas plus mal, mais ça lui permet, pour un temps, de maintenir une longue d’avance. Mais je digresse… Des années après, j’ai redécouvert le film, sa virtuosité, lors de la sortie DVD dans le bon ratio d’image (c’est un film que j’ai acheté en VHS, DVD, Blu-ray et j’attends le 4K). La réalisation est parfaite d’économie. Chaque plan a un sens, une raison-d’être; ni trop, ni trop peu. La photo glacée de Dean Cundey – come on! Et la musique d’Ennio Morricone, très… John Caprenter. Une extase renouvelée, encore et encore. Je garde un gros faible pour Carpenter, que j’ai eu le bonheur de voir en show. Entre Assault on Princinct 13 et In the Mouth of Madness (meilleure adaptation de King et Lovecraft basée sur aucun de leurs romans), j’aime pas mal tous ses films (à divers degrés et j’exclus les téléfilms), surtout Starman et Christine, qui gagne à être revu là encore pour le brio discret de la mise en scène (et pour la musique de Caprenter).
Ah et puis tant que j’y suis, en vrac… L’échine du Diable (2001), de Guillermo Del Toro, un cinéaste fétiche, qui réunit ma prédilection pour les histoires de fantômes et mon appétit pour des approches esthétiques recherchées, avec en plus un sous-texte sociopolitique fascinant… Dawn of the Dead (1978), de George A. Romero, un incontournable, avec une débauche de gore, de l’humour et une métaphore sociale jamais aussi pertinente que maintenant… The Exorcist (1973), de William Friedkin, un autre monument, même si je n’ai jamais cru au diable… The Witch (2015), de Robert Eggers, superbe, superbe film, complètement maîtrisé et exsudant une atmosphère de conte austère absolument irrésistible… An American Werewolf in London (1981), de John Landis, parce que tout a commencé là pour moi; autre séquence onirique qui a frappé mon imaginaire lorsque David court nu en forêt pour ensuite se repaître d’un cerf… The Brood (1979), de David Cronenberg, cinéaste fétiche également dont j’ai toutefois décroché, mais dont j’aime pas mal toute la filmo entre Shivers et A History of Violence… Carrie (1976), de Brian De Palma, un de mes films phares et la seule raison pour laquelle il n’apparaît pas dans mon top 5 est que je ne l’ai jamais considéré comme un film d’horreur, plutôt comme un drame psychologique avec un brin de fantastique: oui, je me suis identifié à Carrie, et au secondaire, j’aurais vraiment aimé posséder un don de télékinésie…
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