Dans l’Amérique ségrégationniste des années 50, Atticus, un jeune noir vétéran de la guerre de Corée, part à la recherche de son père disparu, parcourant les routes de la Nouvelle-Angleterre accompagné de son oncle George et de Letitia, une amie d’enfance. En plus d’être confrontés au racisme et à la répression policière, les trois comparses devront tenir tête à une secte de sorciers pratiquant des rituels de sacrifices humains et qui noyaute les plus hautes sphères de la société américaine.
Faisons une précision dès le départ: ce roman publié en anglais en 2016 n’est pas un hommage à l’auteur H.P. Lovecraft. Le choix du titre — Lovecraft Country — est plutôt opportuniste. Premièrement, Lovecraft est un nom qui fait vendre. Ensuite, comme l’écrivain de Providence est reconnu pour avoir tenu des propos racistes principalement dans sa correspondance, le choix du titre permet de créer une image forte pour dépeindre les États-Unis et les tensions raciales qui l’accablent depuis des siècles. Sinon, notons que son auteur, Matt Ruff, n’est pas Noir: il est originaire du Queens à New York et sa bibliographie contient une demi-douzaine de romans qui flirte avec plusieurs genres littéraires tels que la science-fiction, la fantasy, le thriller ou la satire.
Même si le thème principal est le racisme, Lovecraft Country demeure un roman profondément fantastique bourré de références aux classiques du genre: on y fait la rencontre de sorciers, de fantômes, de livres maudits, de créatures monstrueuses, de poupées possédées, et même, d’une machine diabolique qui permet de se téléporter sur d’autres planètes. Ne contenant aucun chapitre, le roman est divisé en plusieurs petites histoires — ou épisodes — qui sont toutes racontées du point de vue d’un personnage différent et qui sont tous liées ensemble par une intrigue principale, celle de la fameuse société secrète qui a kidnappé le père d’Atticus. Autre point commun: les personnages font tous partis de deux familles noires qui habitent à Chicago.
Ce qui fait la force du roman de Matt Ruff, c’est que chaque histoire traite d’un aspect particulier de la manifestation du racisme aux États-Unis et que l’auteur parvient à illustrer brillamment ces problématiques en les croisant avec des thèmes propres au fantastique et à la science-fiction. On y aborde la violence policière, les lois Jim Crow (à l’origine de la ségrégation raciale), les nombreuses embûches pour avoir accès à la propriété, les mariages mixtes, la discrimination à l’emploi, parfois du point de vue d’un homme, d’une femme ou même d’un enfant. Cette construction chorale du roman permet d’enrichir le sous-texte et de nous sensibiliser plus efficacement à la discrimination que subissent les personnages. Le lecteur ressent donc peu à peu la terrible anxiété que peut vivre au quotidien les membres de la communauté noire américaine. Ainsi, l’horreur qui fonctionne le mieux dans le roman n’est pas celle qui est provoquée par les éléments fantastiques du récit, mais bien celle issue du réel.
Il n’est pas étonnant que HBO ait acquis les droits pour en faire une série télévisée, surtout dans le contexte actuel. Pas plus qu’on n’est surpris qu’elle ait donné le mandat à Jordan Peele (Get Out, Us) de la produire tellement la démarche de ce dernier est similaire à celle de Matt Ruff. Est-ce que la série sera aussi réussie que le roman? La réponse le 16 août prochain.
Lovecraft Country est disponible en français en format poche chez l’éditeur 10/18 depuis le 18 juin 2020.
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