L’influence de Jordan Peele sur le cinéma d’horreur a été immense. L’un des gains les plus notables de son méga succès critique et financier fut d’ouvrir les portes d’Hollywood, toujours à la ramasse sur les avancées sociales, à une vague de films de genre qui dépeignent les expériences de personnes marginalisées. Antebellum fait partie de ce nouveau courant de cinéma populaire; cependant, il peine à se forger une identité qui le distinguerait des incontournables Get Out et Kindred.
Le film nous entraîne à la fois à l’époque des plantations esclavagistes et en 2020. Au 19e siècle, on fait la rencontre d’Eden. Celle-ci est forcée de travailler dans les champs et de servir les militaires confédérés. Alors que certains esclaves entretiennent l’idée d’une révolte, Eden hésite entre se joindre à eux ou obéir aveuglément à ses bourreaux pour protéger sa vie. À l’époque contemporaine, on suit le personnage de Veronica qui est une sociologue et auteure apparaissant souvent dans les médias. Lors d’une soirée avec ses amies, elle sera confrontée aux membres d’un culte mystérieux.
C’est la mégastar musicale Janelle Monáe qui endosse le double rôle de Veronica et d’Eden. Antebellum réfléchit à l’impact du passé sur le présent en alternant entre ses deux temporalités, dont certains éléments se répondent. Au 19e siècle, les sudistes s’expriment comme les actuels fervents de l’alt-right. Dans le présent, une série de moments fugaces nous renvoient au passé pas si lointain dont a émergé la communauté afro-américaine… ou l’a-t-elle vraiment fait?
Ce high concept est à double tranchant puisque la partie se déroulant dans les plantations peine à investir le spectateur dans ses personnages et se limite à recréer les violences routinières de la période esclavagiste. On se demande à quoi rime cette entrée en matière et son esthétique un peu trop léchée. Le scénario se garde bien de nous le dire, puisqu’il mise sur une série de revirements.
Lorsque l’intrigue visite le présent, elle dépeint une tapisserie de micro-agressions que subissent les femmes racisées au quotidien. Les personnages mis de l’avant durant cet acte du film sont beaucoup plus intéressants, notamment Gabourey Sidibe (American Horror Story) dans un rôle aussi drôle que tête forte. En opposant passé et présent, Antebellum cherche à tirer une conclusion semblable à celle de Get Out sur la survivance du racisme en Occident dans des formes plus insidieuses qu’auparavant. Le récit peine toutefois à extraire beaucoup de substance de cette mise en parallèle, à l’inverse de Kindred d’Octavia Butler dont l’intrigue magistrale faisait le voyage entre les deux mêmes époques.
Antebellum veut représenter ce racisme insaisissable que plusieurs nient perpétuer à l’époque de Black Lives Matter, mais pour y parvenir, le film martèle son point avec une imagerie lourde dont il ne parvient pas à assumer le poids historique. Et contrairement à Get Out qui imageait le racisme ordinaire des libéraux bien-pensants, Antebellum nous sert en guise d’antagonistes des caricatures racistes auxquelles personne ne s’identifie. On a l’impression que le film répète très leeentement la métaphore centrale du film de Peele afin de s’assurer que tous ses spectateurs la saisissent bien. La finale, qui semble incroyablement satisfaite d’elle-même, finit d’enfoncer le long-métrage dans son univers manichéen.
Une fois que l’on accepte qu’on se trouve devant un épisode maladroit de Twilight Zone, on peut apprécier certaines qualités indéniables de la production. Un casting convaincant, quelques scènes de violence cathartiques et un humour qui fait mouche. Le film propose surtout une photographie spectaculaire, conçue en employant les lentilles ayant servi à filmer le classique raciste Gone with the Wind. Les cinéastes Gerard Bush et Christopher Renz, aussi scénaristes du film, tirent de leur expertise du court-métrage musical des moments de mise en scène très créatifs.
Suis-je la meilleure personne pour juger de la pertinence d’une histoire où une femme racisée apprend à faire entendre sa voix? Définitivement pas. Mais selon moi, Antebellum fait tache à travers une vague récente d’excellents films abordant des thèmes semblables aux siens.
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