Quand Frank Appache est venu me voir pour me dire qu’il voulait faire des soirs de projections en salle pour l’édition 2021 de son festival de films graisseux, mon premier réflexe a été: «Suis-tu un peu les nouvelles, mon Frank?» On était entre deux vagues de cette pandémie sans fin et les prévisions pour le printemps n’étaient pas très reluisantes. Mais non, le gars était très au courant et même assez optimiste! YOLO; je lui ai proposé d’utiliser notre boutique en ligne, mais non sans un «cr*ss qu’on va se planter» en arrière de la tête.
La fameuse troisième vague annoncée est officiellement arrivée, la vente des billets était déjà commencée et il a fallu tout repenser; les nouvelles mesures nous obligeaient à réduire encore plus le nombre de siège disponibles et le couvre-feu de 20h était de retour. Outre «notre» petit événement, quand ça se produit, chers cinéphiles, c’est un méchant casse-tête pour les exploitants de salles qui doivent tout revoir leur fonctionnement complet et leurs horaires, notamment pour satisfaire les ententes avec les studios (deux gros monstres d’Hollywood ont été très gourmands à cet effet ce printemps). «On va tellement se faire canceler avant le jour J», avais-je toujours en tête. Pour moi, ça voulait dire éventuellement rembourser tout le monde «à la mitaine», un processus laborieux… et un peu triste. Pour le festival, ça voulait dire carrément une édition 2021 à l’eau.
Mais Frank et sa gang en ont vu d’autres. Ces montons noirs, ces punks du milieu du cinéma se sont fait dire que «ça fonctionnera pas, vos affaires» plus souvent qu’à leur tour. C’est pour ça que quand l’industrie au grand complet est pas vraiment de ton bord, tu fais ton propre festival avec tes propres règles. Bienvenue à Cabane à Sang. On salue d’ailleurs l’audace de la chaîne Frissons TV de diffuser la version télé, maintenant renouvelée pour une deuxième saison!
Cette année, Jean-Philippe Langlois venait d’ailleurs présenter en première mondiale et pendant deux soirs à guichets fermés son premier long-métrage home made, dont on parle depuis longtemps sur nos pages. Une formation en cinéma? Une aide financière quelconque? Pantoute. Le passionné de grindhouse a tout appris sur le terrain et The Impalers a été conçu avec ses propres économies et celles de son directeur photo. Dans le domaine, il s’agit d’un exemple de persévérance à l’état pur dont peu de gens peuvent se vanter. Je vous invite d’ailleurs à lire les mots très enthousiastes de notre rédacteur Kristof G. au sujet du film, qui vous en parle encore mieux que je n’aurais su le faire.
Mais Cabane à Sang, c’est aussi beaucoup pour les programmes de courts louches et comme on est ici pour parler de films trash, processons. Outre le programme de courts sci-fi présenté gratuitement sur Facebook jeudi dernier, les programmateurs avaient planifié une sélection extra-graisse, exclusivement dans les salles sombres du Starcité de Montréal — le line-up aurait probablement fait sonner l’alerte rouge dans les bureaux de Mark Zuckerberg autrement.
Dans ce qui a attiré notre attention, mentionnons d’abord le français Coup Critique! de Briac Ragot, un petit film ingénieux et surtout très drôle qui transporte littéralement l’univers des Pokémon dans notre réalité. Le monde de Comiccons et de leurs cosplayers ne seront jamais plus les mêmes après cette attaque fulgurante — et quand même assez sanglante — de ce pauvre Pikachu. Côté humour, Stuck de David Mikalson a également été un hit pendant sa projection. Un pervers rôde autour d’une salle de gymnastique et la propriétaire des lieux découvre qu’il s’est introduit pour observer ses filles à l’entraînement. On se questionne vraiment sur ce qu’on est en train de regarder pendant la première moitié de Stuck, mais lorsqu’on découvre le véritable motif de ce scénario improbable, mais ô combien hilarant, le court devient excessivement divertissant. Les effets gore et maquillages fonctionnaient plutôt bien, également!
Si on glisse du coté des films les plus dérangeants de la soirée, Tomorrow I Will Be Dirt de Robert Morgan vient instantanément en tête. L’homme bien établi dans le domaine du stop motion (on a eu droit à une rétrospective de sa carrière à Fantasia en 2006) propose un cauchemar comme lui seul peut nous offrir avec cette suite autorisée et imaginée du Schramm de Jörg Buttgereit de 1993. L’atmosphère est tellement suffocante qu’un intermède est proposée (et bienvenue!) pour nous permettre de reprendre notre souffle pendant ces 8 minutes assez douloureuses, pénis cloué en prime. Autrement, le Hospital Dumbster Divers d’Anders Elsrud Hultgree, qui venait clore la soirée, servait aussi assez bien côté malaise. Le film aurait certainement eu avantage a être resserré à certains endroits, mais proposait une direction artistique à couper le souffle avec ses visuels nostalgiques bleutés on ne peut plus crades et sa trame sonore aux synthés envoûtants, qui procuraient à l’ensemble une ambiance résolument étrange, entre l’humour et la crise d’anxiété. Avec sa créature issue de déchets biomédicaux et ses décors évoquant la maladie, Hospital est le genre de court qui lève carrément le coeur.
Autrement, le court le plus payant du festival était définitivement The Last Christmas of the Universe (La Última Navidad Del Universo) de David Muñoz et Adrián Cardona, qui croise l’univers de Mad Max avec celui du… père Noël! Oubliez le scénario, le court désopilant des cinéastes espagnols mettait en vedette un nombre incalculable de mises à mort, toutes plus inventives les unes que les autres, dans ce qui s’est avéré être le film le plus sanglant de la sélection. Qui aurait cru que la poche de cadeau du père Noël pouvait devenir aussi dangereuse? Les spectateurs en redemandaient.
On offre également des mentions spéciales à Who’s That at the Back of the Bus de Philip Hardy, très efficace pour créer une tension, mais aussi avec l’une des finales les plus WTF à avoir été mise en scène, à The Devil’s Asshole de Brian Lanano, qui détournait un des sujets les plus juvénile de la soirée (un démon à la Basket Case qui transforme les anus en portails vers l’enfer apparaît dans un chili de compétition) avec brio (!) et à L’Attaque des clowns 2 de Frédéric Lavigne, qui nous a presque causé un AVC avec son de rêve de clowns dans un rêve dans un rêve… C’est également pour ce genre de niaiseries qu’on était venu — c’est un compliment!
Bref, cette quatrième édition de Cabane à Sang s’est avérée plutôt marquante pour le festival, qui crée maintenant un précédent en s’installant dans un grand cinéma du quartier Hochelaga. Espérons que les cinq ans de l’entreprise permettront des salles pleines à craquer pour créer une ambiance encore plus survoltée, toujours propice à la découverte des propositions les plus décadentes de ce genre de projections.
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