On le sait désormais, le slasher et la série télévisée forment un mariage parfait. Un format long est l’occasion d’approfondir les obsessions du genre pour le drame adolescent et le whodunit policiertrashy. Les scénaristes y ont la chance d’insuffler un peu plus de vie aux personnages archétypaux qui servent de tapisserie de victimes à un énième tueur masqué.
La série canadienne Slasher, créée par Aaron Martin, compte parmi les succès de ce slasher nouveau genre. Martin n’est pas du type post-moderne. Il ne fait pas de clin d’oeil de connivence aux spectateurs, genre «regardez, c’est con, mais je sais que c’est con». Au contraire, il embrasse pleinement le camp, la théâtralité et la violence crade que le slasher possédait à une époque où il n’était pas hyper conscient de lui-même et de ses défauts.
Slasher semble avoir neuf vies. Les deux premières saisons furent produites par Super Channel, la troisième a trouvé refuge chez Netflix et voilà que la série passe désormais sur Hollywood Suite au Canada. Pour celleux qui l’ignoreraient, il s’agit d’une série anthologique proposant à chaque saison un nouveau tueur, de nouveaux personnages et un nouveau mystère.
Cette fois, on se trouve sur une île privée appartenant au riche clan des Galloways. Le patriarche, incarné par le légendaire David Cronenberg, est mourant. Il annonce à ses nombreux descendants qu’une seule personne héritera de la totalité de sa fortune. Pour définir qui aura cette chance, il a organisé des olympiades extrêmes. Au terme de chaque épreuve, quelqu’un est éliminé. Littéralement éliminé, puisqu’un tueur masqué se glisse dans le jeu et charcute les perdants.
Pas de doute, Aaron Martin a aimé Knives Out et Succession autant que nous. Les riches héritiers aux sombres secrets de famille sont au centre de son huis clos. Et du linge sale, la famille Galloways en a une quantité impressionnante: vos romans-savons préférés rosissent de jalousie. Enfants illégitimes, kidnappings, meurtres et autres tromperies en vrac se volent tour à tour le spotlight…
Le tout dans une ambiance de théâtre d’été extrême. Le cinéaste Adam MacDonald (Pyewacket, Backcountry), qui réalise les huit épisodes de cette quatrième saison, ne mise pas du tout sur une interprétation réaliste. On connaît le refrain de Flesh & Blood sur le capitalisme tardif: les gens sont poussés à la sociopathie par le système, se dévorent entre eux, patati, patata… Mais personne n’avait poussé les curseurs de l’hystérie collective aussi loin que MacDonald. Ses comédien.nes réagissent toujours, trop, intensément, à tout.
Si vous demandez aux personnages de fiction d’avoir des réactions minimalement réalistes, peut-être devriez-vous passer votre chemin. Mais si vous aimez la comédie noire et le splastick qui littéralisent l’aspect «se dévorer entre eux» mentionné plus haut… Vous voilà au bon endroit. En matière de violence, Flesh & Blood ne fait pas de la dentelle. En fait, quitte à créer des déceptions, on oserait avancer que c’est ce que 2021 nous a offert de plus gore jusqu’à présent.
La série rend hommage à son titre (ainsi qu’à la présence de Cronenberg) par une obsession thématique pour la chair mutilée et les organes exposés. Que ce soit avec un combat à trois absolument over-the-top dans une cuisine, une joute de paintball hardcore ou un twist digne d’une production Dark Castle… Slasher assume jusqu’au bout son côté grand-guignolesque.
Bon, un whodunit sur une île ne va pas sans rappeler un certain bouquin d’Agatha Christie. Et comme celui-ci, Flesh & Blood parvient à brouiller les cartes avec sa galerie de sociopathes de tout acabit. Personne n’est vraiment innocent parmi les Galloways, certain.es ont même déjà tué. Malgré ce ton résolument misanthrope, on regarde avec fascination les personnages de Martin et MacDonald être rongés par l’avidité et la jalousie. Le riche héritier est la matérialisation des dérapages du capitalisme: il n’a rien acquis par lui-même, ne possède aucune qualité particulière légitimant son statut et pourtant il mène une existence libre de toute contrainte matérielle grâce à… Son sang. Un sang de l’élite qui coule à flots ici, pour le grand plaisir sadique du spectateur.
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