Le cinéaste Eskil Vogt est reconnu pour être le partenaire d’écriture du réputé réalisateur Joachim Trier. Leur dernière collaboration, The Worst Person in the World, leur a d’ailleurs valu une nomination aux Oscars plus tôt cette année.
En tant que réalisateur, Vogt nous avait offert son premier long-métrage Blind en 2014, où une femme aveugle se bat pour accepter son état. Il atteint toutefois un véritable sommet avec son second film, Les Innocents, qui prenait l’affiche en salle le 13 mai — lisez notre critique. Ce dernier raconte l’histoire de quatre enfants se découvrant certains pouvoirs étonnants et éventuellement très dangereux.
Horreur Québec a eu envie de s’entretenir avec l’homme pour mieux comprendre le processus de création qui a donné naissance à une œuvre de genre aussi marquante.
Horreur Québec: En regardant Les Innocents, on peine à croire que votre titre interpelle les enfants, sauf avec ironie. Je doute aussi que vous réserviez cette appellation aux adultes. Qui sont les innocents du titre?
Eskil Vogt: Plusieurs pensent que le titre est ironique, comme vous le mentionnez. Évidemment, les enfants ne sont pas innocents. En Norvège, on vit avec ce cliché que les enfants sont des anges et qu’ils sont purs. Je ne crois pas que c’est vrai. Je les trouve davantage narcissiques, égocentriques et presque sociopathes. Ils doivent apprendre l’empathie et à avoir des valeurs morales. En même temps, ils sont innocents au sens juridique du terme. Ils ne sont pas responsables de leurs actions. Je ne voulais donc pas un personnage qui soit purement méchant. Personne n’est méchant entièrement.
Vous savez, les notions du bien et du mal sont très chrétiennes et je n’y crois pas. Les enfants sont simplement des êtres humains. Parfois, ils sont moins gentils, d’autres fois, plus nobles. S’ils développent un sentiment d’empathie trop tard dans leur vie, ils ont amplement le temps de commettre des erreurs assez graves. Mais, oui, d’une certaine manière les enfants du film sont innocents.
HQ: En Amérique, des films de superhéros avec des adolescents découvrant certains pouvoirs, il en pleut. Les Innocents reprend certains codes de ces films, mais en les déconstruisant complètement. Votre film reprend l’idée de la découverte de facultés et même de l’affrontement final de ces films. Est-ce que c’était volontaire?
EV: Je ne savais pas que j’avais fait un film de superhéros avant que mon film ne sorte à Cannes. Les journalistes américains ont fait le lien. Je savais bien sûr que j’abordais la magie de l’enfance et je voulais montrer qu’elle existait vraiment. Les pouvoirs surnaturels permettaient de montrer cette magie. En parlant de mon synopsis à ma productrice, je me suis rendu compte que je lui racontais le synopsis de tous les films de superhéros qui se font présentement. J’avais l’intuition que c’était différent, cela dit. La différence, c’est que ce sont de jeunes enfants. La plupart des autres films montre les pouvoirs comme une métaphore de la puberté. Peter Parker qui s’enferme aux toilettes pour ne pas que sa tante le surprenne…
HQ: En même temps, ce qui rend vos enfants si attachants, c’est qu’on les voit évoluer avec des tâches qu’on devrait attribuer aux adultes.
EV: Mon idée était de me questionner sur ce que font les enfants quand leurs parents sont absents. Aucun adulte ne peut être toujours là. Mais même en Norvège, qui est pourtant l’un des pays les plus riches du monde, plusieurs enfants demeurent très négligés et grandissent dans des conditions impossibles. Un enfant seul se laisse souvent attribuer des responsabilités d’adulte. Ils ne sont pas prêts à ce genre de charge.
HQ: Les fans d’horreur vont percevoir certaines références à Village of the Damned, mais on peut aussi ressentir une approche dans la lignée de Tarkovsky. Aviez-vous des influences directes en faisant votre film?
EV: J’aime le Village of the Damned original et j’adore la manière dont les enfants sont liés. Je l’ai revu en écrivant ce film, mais je ne me souviens pas de la version de Carpenter. Je suis un grand admirateur de Tarkovsky. J’aime l’aspect tactile de ses films et la sensualité qui en découle. On a l’impression d’être immergé dans la pureté de son cinéma. Ce que vous me dites me fait sourire puisque j’ai beaucoup parlé de ça avec mon directeur photo. Les enfants découvrent le monde avec leur mains. Je voulais savoir comment filmer ça et capter cette sensualité. Si mon film à l’écho de Tarkovsky, j’en suis honoré. Son film Le Miroir est l’un de mes préférés.
HQ: À mon avis, la finale de Les Innocents est délicieuse et présente un affrontement final aux antipodes de ce que l’on peut voir chez Marvel et DC Comics. Un drame survient et des dizaines d’adultes présents circulent sans en avoir conscience. D’où vous vient cette idée ingénieuse?
EV: C’était l’une de mes premières idées de conclure le film comme ça. Les adultes ne se rendent compte de rien. Ça vient peut-être du fait que je voulais aussi faire un film sur le monde des enfants. C’est tellement différent d’être un enfant et un adulte. La conception du temps est différente, on est plus ouverts quand on est très jeunes. Les adultes ont l’impression de tout savoir et n’ont plus cette dévotion. Les deux vivent dans deux mondes parallèles. La distance entre eux est importante dans le film.
HQ: Dites-moi comment on prépare un jeune garçon à jouer le meurtre d’un chat avec sa chaussure?
EV: On a fait un casting pendant presque un an et je travaillais beaucoup avec les jeunes acteurs. On avait peur de leur faire jouer des scènes traumatisantes ou qui pourraient leur faire peur. Ce sont cependant souvent les passages qu’on craignait le plus de tourner qui ont amusé les enfants. C’est vite devenu très technique. Évidemment, ce n’était pas un vrai chat et ils ne sentaient pas autant l’émotion lors de ce passage parce qu’il y avait des effets en scène. C’était très clair pour eux la différence entre leur personnage et la réalité. Ça devenait amusant pour eux de se mettre dans la peau d’un protagoniste qui se permettait des choses qu’eux ne se permettraient jamais. Ben est aussi une victime vous savez. J’ai choisi un acteur totalement différent du rôle.
HQ: Vous venez de mentionner que votre casting s’est étendu sur une année complète?
EV: On a mis un an à trouver nos acteurs. J’ai été très ouvert dans mon processus. J’ai même modifié certains éléments du scénario pour pouvoir y intégrer ces quatre jeunes acteurs. J’ai changé le sexe de mes personnages. Il s’agissait de deux frères au début, et je les ai transformés en deux sœurs. Contrairement à la croyance populaire, c’est très agréable de travailler avec des enfants. Les chats, par contre, ils font un peu leur diva. J’imagine que les chiens sont plus faciles.
Horreur Québec ne peut qu’encourager ses lecteurs à se déplacer en salle pour voir Les Innocents, et nous avons déjà hâte de savourer les films d’Eskil Vogt à venir.
Les Innocents arrive également en vidéo sur demande le 20 mai prochain.
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