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[Critique] Anatomie d’une chute: si «The Staircase» gagnait la Palme d’Or

Gagnant de la prestigieuse Palme d’Or de 2023, Anatomie d’une chute de Justine Triet est un film dont l’apparente simplicité formelle et esthétique est la plus grande force, puisqu’elle permet d’y cacher une complexité et des questionnements d’autant plus profonds qu’ils semblent provenir d’une situation somme toute simple.

Alors qu’une autrice de romans policiers populaires (Sandra Hüller) habite dans sa demeure reculée avec son fils et son mari, ce dernier est retrouvé sans vie, au bas de la fenêtre ouverte du deuxième étage. Aussitôt, les soupçons sont dirigés vers la femme, qui était seule avec lui dans la maison au moment de la chute. Mais si celle-ci semble convaincue qu’il s’agit d’un accident, et que le fils, souffrant de cécité, assure ne pas avoir ressenti d’animosité entre les deux adultes, l’homicide n’est pas écarté, et Sandra se retrouve au cœur d’un procès qui prendra une tournure de plus en plus complexe à mesure que différents indices et preuves resurgiront de l’abîme.
Anatomie d'une chute affiche film

Après un premier acte qui nous expose la façade des quelques personnages du récit, le scénario d’Anatomie d’une chute bascule définitivement dans les règles d’un drame judiciaire classique, où s’alternent les scènes où l’accusée tente tant bien que mal de se défendre, et une série de flashbacks présentant la situation sous différents points de vue. Mais la force du film réside davantage dans les thématiques exploitées. On aborde autant le rapport entre un artiste et son œuvre, le concept de vérité, qui est toujours relative en fonction de la perspective, et même la complexité de la barrière linguistique dans les procédures judiciaires.

Puisque la majorité des personnages gagne sa vie avec la littérature et l’art des mots, l’importance donnée au langage dans le film ne peut être le fruit du hasard. L’autrice, d’origine allemande, a épousé un homme français, et les deux vivent dans un foyer où la langue principale, issue d’un terrain d’entente, est l’anglais. Ces concessions formelles, d’apparence simple, amènent pourtant un certain niveau de complexité au reste du film. La différence de langage accentue en effet l’écart entre certains personnages. Ainsi, pendant le procès, on demandera à Sandra de décrire le moment de la mort de son mari en français, alors qu’on sait qu’elle parvient difficilement à la justesse, dans la langue de Molière. La présence du français est un obstacle constant pour elle, non seulement dans les procédures juridiques, mais également au sein même de sa cellule familiale, qui connaîtra une dissolution tout au long du film.

La réalisation emprunte l’aspect clinique des drames judiciaires, qui exposent les faits sans visiblement présenter de point de vue afin que l’intrigue se déroule d’elle-même et que les spectateur·trice·s découvrent les indices en même temps que le jury dans la salle d’audience. Pourtant, plusieurs moments précis d’Anatomie d’une chute présentent des imperfections techniques volontaires, tels qu’une caméra qui ne cadre pas au bon endroit, qui se replace, un focus qui se perd… Ces moments calculés donnent au film juste ce qu’il fallait de réalisme, au même titre que les quelques séquences en found footage ou images d’archives. L’intention de la réalisation est probablement de juxtaposer le drame familial à sa perception médiatique, froide, que le public de masse aura de la situation.

Si Sandra Hüller porte le film avec une énorme profondeur dans un jeu discret, mais efficace, c’est pourtant Milo Machado-Graner, interprétant son jeune fils Daniel, qui vole la vedette dans un personnage aussi bien écrit qu’interprété. Le jeune homme, personne malvoyante, a une perception unique de toute la scène de crime, et ses souvenirs et impressions connaîtront des bouleversements différents alors qu’il assiste à toutes les journées de procès où sa mère est accusée. L’une des scènes les plus bouleversantes vers la fin du film montre l’étendue de ses capacités d’interprète, confirmant qu’il s’agit ici d’un nom à retenir.

Anatomie d’une chute part donc d’une situation d’apparence simple, le décortiquant avec les acteurs du procès sous tous ses angles, traitant de tous les aspects relationnels, artistiques, sociaux, circonstanciels ayant entouré l’univers de la famille. Et la mise en scène de Justine Triet insiste d’ailleurs sur cette dichotomie évidente entre les émotions et sentiments réels et l’analyse méticuleuse qu’en fait l’appareil judiciaire. Cette profondeur et cette sensibilité hissant le film à un autre registre qu’un courtroom drama conventionnel lui auront mérité une Palme d’Or et une réception positive assez unanime.

Note des lecteurs64 Notes
Pour les fans...
De true crime, particulièrement The Staircase
De polars européens qui savent prendre leur temps
4.5
Note Horreur Québec

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