En 2019, à la sortie de la sortie de la cinquième saison de Black Mirror, on écrivait que la fameuse série dystopique de Charlie Brooker devenait de moins en moins noire en proposant maintenant des scénarios plus loufoques et légers au menu, et force est d’admettre que la tendance se poursuit toujours quatre ans plus tard.
D’un côté, après 22 épisodes (maintenant 27 et excluant Bandersnatch) traitant d’un futur technologique plus ou moins reluisant pour la race humaine, les scénaristes avaient grandement besoin d’aller fouiller ailleurs pour renouveler la formule. Le problème, si vous êtes comme nous, c’est qu’on regarde Black Mirror pour ses histoires tordues qui laissent un drôle de goût en bouche.
Cette sixième saison de cinq épisodes qui paraît cette semaine chez Netflix tire dans tous les sens: sci-fi, démons, true crime et univers parallèles. Si on salue la diversité des sujets offerts, leur visionnement n’offre définitivement plus le même niveau de réflexion qu’auparavant et les expérimentations au niveau de la forme qui cadraient si bien avec la série (pensez The Entire History of You ou même USS Calister) se font maintenant plus rares au profit de divertissements plus accessibles. En bon langage adulte québécois: c’est pu comme dans le temps.
Joan is Awful
Une jeune femme «ordinaire» voit sa vie transformée lorsqu'elle découvre le soir en rentrant chez elle une série télévisée basée sur sa propre existence sur une plateforme de streaming bien populaire.
Netflix s’autoparodie ici avec un scénario qui traite de sujets souvent abordés dans la série anthologique tels que l’intelligence artificielle et le libre arbitre. Les commentaires sont souvent savoureux et les revirements ne manquent pas, mais l’emballage qui traite le sujet à la blague ne permet pas à l’épisode de véritablement s’élever. Il en va de même pour l’emploi de stars qui font sourire dans leur propre rôle, mais les talents de comédies de Salma Hayek — principale intéressée ici en compagnie d’un caméo «surprise» de Michael Cera — s’avèrent ici plutôt limités. En revanche, les punch lines dont ils héritent sonnent affreusement routiniers. Le très divertissement offert par la cinéaste canadienne Ally Pankiw (The Great) est appréciable, mais avec ce calibre, on aurait souhaité obtenir tellement plus en profondeur et en originalité.
Loch Henry
Un jeune couple de cinéastes se rend dans le village natal d'un des leurs pour tourner un documentaire sur la nature, mais décide à la dernière minute de changer son sujet lorsqu'une histoire locale sordide refait surface.
La plateforme utilise ici un autre sujet qui lui est cher: le documentaire true crime, et c’est plutôt étrange de l’observer maintenant réfléchir sur l’aspect éthique de ces productions chocs qui font les choux gras de son catalogue. Autrement, même si l’épisode de Sam Miller (I May Destroy You) ne parvient pas à surprendre avec son dénouement extravagant et que certaines scènes s’étirent en longueur, Loch Henry offre quelques atmosphères glauques avec ses paysages écossais reclus et son donjon aux horreurs. Le problème, c’est que la réalisation beurre un peu trop épais notamment lors de séquences snuff films qui finissent par devenir caricaturales. Le duo Samuel Blenkin (Dracula 2020) et Myha’ la Herrold (Bodies Bodies Bodies) fonctionne, mais la tragédie criminelle amenée trop rapidement autour d’eux n’offre au final rien de bien mémorable.
Beyond the Sea
En 1969, une technologie révolutionnaire permet à deux astronautes en mission de poursuivre simultanément leur vie familiale sur Terre. Un événement tragique viendra bouleverser leurs vies à la fois dans les airs que sur le plancher des vaches.
La star de Breaking Bad Aaron Paul tient la vedette en compagnie de Josh Hartnett (Halloween H20: 20 Years Later, The Faculty) pour la pièce de résistance de cette saison. Honnêtement, les habitués de Black Mirror sauront exactement dans quelle direction Beyond the Sea les entrainera, mais force est d’admettre que la situation hautement toxique et chargée en émotion qui se construit entre les deux hommes et le personnage de Kate Mara (The Martian) est excessivement bien ficelée. Outre le casting parfait (on aurait pris encore plus de Rory Culkin dans la peau du vilain), John Crowley (Brooklyn) dose habilement la réalisation de ces 80 minutes davantage slow burn qui nous laissent sur une conclusion ouverte et bien amère comme on les aime.
Mazey Day
Une paparazzi décide de prendre un dernier contrat de photos qui consiste à retrouver une populaire actrice disparue sans laisser de trace après un incident lors du tournage de son dernier film.
L’horreur arrive enfin avec Mazey Day, qui propose assurément le revirement le plus cool de cette sixième saison. Charlie Brooker, le créateur même de Black Mirror, signe le scénario de cette plongée dans l’univers vicieux et sans scrupule des photographes de célébrités qui tourne au cauchemar avec l’efficacité qu’on lui connaît. Malgré un ou deux trous dans l’histoire qu’on pardonnera au profit du divertissement, la réalisation bien tassée d’Uta Briesewitz (Stranger Things, Westworld) évite les temps morts et intègre le numérique aux effets pratiques à merveille. Les références aux années 2000 sont également savoureuses, de Suri Cruise aux flip phones, en passant par Supermassive Black Hole de Muse, utilisée à bon escient. Dommage néanmoins que l’épisode ne nous laisse au final sur aucune réflexion digne de la série.
Demon 79
En Angleterre vers la fin des années 70, une jeune vendeuse de souliers d'origine indienne se retrouve en proie à un mystérieux démon qui la force à commettre trois meurtres dans le but d'éviter la fin du monde.
Demon 79 est une drôle de bête pour conclure cette saison de Black Mirror. Les premiers instants de la fable apocalyptique résolument colorée semble proposer une esthétique rappelant celle des grindhouses classiques de l’époque, mais l’idée est rapidement oubliée pour laisser place à cet échange surréaliste tantôt répétitif, tantôt prévisible entre un pauvre diable et sa victime confuse. Si le résultat s’avère touffu, l’issue de cette histoire où notre héroïne tente pendant 75 minutes de faire du sens entre le bien et le mal, et la raison et la folie ne s’inscrira pas dans les moments marquants de l’anthologie.
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