Depuis la sortie de son intrigante bande-annonce, le dernier film d’Alex Garland (Ex Machina, Annihilation) a suscité la curiosité de beaucoup de cinéphiles. Produit par A24, Men (Eux) nous emmène dans un oppressant univers bucolique tout en laissant deviner un récit aux ramifications politiques plus profondes. Bonne nouvelle, le film est à la hauteur des attentes qu’il a créées.
Après le décès de son conjoint, Harper (Jessie Buckley) décide de se rendre à la campagne pour se reposer et faire son deuil. Une pause qui sera de courte durée, après une perturbante rencontre lors d’une promenade dans les bois.
Men est une curiosité. Film complexe aux couches narratives et thématiques multiples, il aborde de manière affective des sujets aussi divers que le deuil, la masculinité (toxique), la hantise, la répétition, la mythologie et la monstruosité. Mais limiter la production à cet enchevêtrement, aussi intéressant soit-il, ne lui rendrait pas justice. Au-delà d’un récit savamment structuré, typique de Garland, Men est aussi une expérience immersive et angoissante qui mérite amplement d’être vue sur grand écran.
Le réalisateur britannique parvient dès les premières minutes à ancrer son histoire dans un espace qui captive par sa beauté, tout autant qu’il retient prisonnier. Le cadre visuel et sonore, conçu avec ses collaborateurs de longue date (ironiquement, tous des hommes) participe pleinement à cet effet. Le spectateur se retrouve à plusieurs reprises absorbé dans les scènes, à travers un habile mélange de lents mouvements de caméras, d’insistance sur les textures (la cinématographie est assurée par Rob Hardy) et une musique aussi englobante qu’entêtante (Ben Salisbury et Geoff Barrow).
Si la forme est convaincante, le fond n’est quant à lui pas en reste. À travers ce tissu sensoriel, les scènes alternent entre tension et moments de béatitude presque mystique. Le rapport aux éléments, à la nature et aux forces anciennes qui animent le monde soulignent ce contraste. Le film s’inscrit ainsi, d’une manière quelque peu inattendue, dans une tradition britannique de folk horror, dans laquelle la figure de Sheela-Na-Gig côtoie celle de l’homme vert (une thématique de préférence pour A24 récemment, semble-t-il).
Garland réussit surtout à traduire l’anxiété constante des dynamiques de pouvoir hommes-femmes dans nombre de situations: cette aura tenace de minimisation des événements, de doutes quant à la culpabilité des personnes concernées, de l’agressivité générale du langage. Il faut dire que ces scènes sont interprétées avec talent par un casting investi. Jessie Buckley (I’m Thinking of Ending Things) embrasse tant la difficulté que la force de son rôle dans un jeu subtil que la caméra capte à renfort de gros plans, comme autant de miroirs de notre propre état émotionnel toujours changeant. Elle est accompagnée par les troublantes prestations de Rory Kinnear (Penny Dreadful, Black Mirror) et de Paapa Essiedu (I May Destroy You) qui attisent la tension du film à chaque apparition.
La fin se décline dans un crescendo viscéral absolument satisfaisant qui expose, dans la chaire, le nœud de l’intrigue. Bien que sa conclusion puisse être comprise comme quelque peu moralisatrice, il s’agit probablement de la scène du film qui restera gravée dans toutes les mémoires. Les parodies ne devraient d’ailleurs pas tarder à se multiplier.
Men représente typiquement ce film que vous allez adorer ou détester. Après visionnement, attendez-vous à des débats et des myriades d’interprétations. Toutefois, une chose est certaine, il ne vous laissera pas indifférent. Si vous vous êtes tenu.e.s sur le bord de votre siège durant la projection, il vous hantera certainement encore pendant un certain temps.
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.