Grosse année pour Patrick Senécal pareil. Avant le lancement de son petit dernier (Flots), il débarque dans les télés. Évidemment, les mots de Senécal ont déjà été adaptés dans le passé: déjà trois longs-métrages (Sur le seuil, 5150 rue des Ormes, Les 7 jours du talion) et une bande dessinée (Aliss), de même qu’une web-série (La reine rouge) et un balado de fiction (Écho). Or, comme pour ces deux dernières, on est dans l’inédit, puisque ces nouvelles histoires n’ont jamais été publiées auparavant.
Tel qu’annoncé en 2019, pour ensuite être officiellement annoncé à nouveau début février et détaillé mardi, on aura enfin droit à notre grosse série d’anthologies à nous, mettant en vedette le plus grand romancier horrifique d’ici. Et il était temps, étant donné que depuis les années 1950, se sont succédés tellement de classiques du genre, tels que Tales from the Crypt et The Ray Bradbury Theatre.
Avec Patrick Senécal présente (les cinq premiers épisodes sont disponibles sur Club Illico dès aujourd’hui), non seulement l’auteur signe le scénario original de chaque épisode, mais il ouvre également ceux-ci — à la Alfred Hitchcock Presents — en récitant les premières phrases du récit. «L’idée était de créer un mythe avec Patrick, en faire une icône à la Edgar Allan Poe ou Stephen King», mentionnait Stéphane Lapointe (Tout sur moi, Faits divers), le réalisateur des dix épisodes composant la série anthologique, lors d’une conférence de presse virtuelle.
L’horreur
Si Lapointe se disait inspiré des films d’horreur des années 1970 l’ayant marqué (Rosemary’s Baby, The Exorcist, The Omen et Carrie comptent parmi ses favoris), Senécal avouait ne pas trop être fan des trucs sanglants à la Friday the 13th. Avec cette série, on n’est pas trop dans le graphique, préférant plutôt jouer sur le plan psychologique façon The Twilight Zone, série que Lapointe aime beaucoup avec Black Mirror. Lorsqu’interrogés sur leurs séries d’anthologies préférées, Lapointe et Senécal ont ajouté avoir été également fans jadis d’Au-delà du réel (The Outer Limits) et Bizarre, bizarre (Tales of the Unexpected).
Selon le diffuseur, le public visé serait les jeunes adultes, alors que Senécal avouait ensuite ne jamais écrire avec un public en tête. Du coup, l’auteur disait également n’avoir pas cherché à inclure de clins d’œil à ses romans dans la série, mis à part la mention de la rue des Ormes dans le troisième épisode. Impossible de ne pas mentionner l’apport de l’artiste-maquilleur Rémy Couture qui a eu du pain sur la planche au niveau des effets spéciaux selon Senécal (avec qui il a pu travailler sur La reine rouge). Apparemment qu’il avait parfois peur d’en mettre trop et que le dernier épisode (qui doit être tourné cet été) est quelque chose. L’art de nous faire languir…
La critique
Et puis, l’attente en a-t-elle valu la chandelle? En trois mots: oh que oui! D’emblée, avec son romancier dont les histoires sordides prennent vie, on se souvient de celui de Sur le Seuil, de même que le Sutter Cane du grand John Carpenter (In the Mouth of Madness). Et force est d’admettre qu’ouvrir chaque histoire avec un Senécal stoïque tapant sur sa machine à écrire dans un décor magnifiquement gothique fonctionne plutôt bien.
Dans Seule, on suit Julie (Mylène Mackay, excellente; Mafia inc.), une nouvelle banlieusarde fraîchement débarquée à Cerbois, juste à côté de chez Olivier (Sébastien Huberdeau; Polytechnique), un voisin sympa qu’elle trouve de son goût. Elle s’installe et tout va pour le mieux, jusqu’à ce que deux meurtres surviennent, vraisemblablement un tueur en série sévissant dans le coin. Plusieurs fausses pistes vont et viennent, en plus de cette tension sexuelle qui monte… jusqu’à l’efficace paroxysme. La réalisation y est inspirée, il y a de belles images (parfois en mode technicolor à l’italienne) et une fort jolie trame sonore classique juste assez appuyée; bref, ça lance fort bien la série.
Lors d’Audition, Gabriel Fortin (Théodore Pellerin, habité) doit en effet auditionner pour un rôle qu’il ne connaît même pas. Alexa, une metteuse en scène blasée (l’inimitable Anne-Marie Cadieux), et son assistant (Sébastien René, inquiétant; Série Noire) mettront tout en œuvre pour tenter d’obtenir de Gabriel une performance crédible, vraie, authentique, transcendante. Se mêleront avec brio naïveté, paranoïa, amnésie et effroi, dans un univers surréel mais minimaliste, rappelant un peu les anxieux frères Coen et Charlie Kaufman, mais surtout l’irréel David Lynch — on est quelque part entre Lost Highway et Twin Peaks. Le rouge des bancs du somptueux Cinéma Impérial (où fut tourné l’épisode) y est sûrement pour quelque chose.
Ensuite, Sans génie, c’est un peu le maillon faible du quintette. D’emblée, impossible de croire qu’une gueularde gotico-industrielle fera la première partie d’un chanteur-guitariste folk le soir même au Café Campus. Et un génie dans un téléphone cellulaire? Désolé, on décroche. Ça doit être l’humour, qui nous semble un peu trop appuyé. Suivant!
Il est rapidement pardonné par Interrogatoire, qui est probablement le plus sombre du lot. Noir comme ton âme comme disait jadis Reznor. Laura (Karine Gonthier-Hyndman, à fleur de peau; C’est comme ça que je t’aime) est une enquêteuse qui, comme la plupart des protagonistes de la série, ne passe vraiment pas une bonne journée. Elle cache un terrible secret, qui sera graduellement dévoilé lors d’un cauchemar éveillé mettant en vedette un itinérant (David Lahaie, hirsute et sale; Dans le ventre du dragon) qui semble en savoir beaucoup trop sur ses problèmes familiaux. Lahaie surprend en incarnant ici un personnage des plus intrigants.
Finalement, dans Par effraction, Benoit (Steve Laplante, affolé; Terreur 404) se retrouve prisonnier d’une lugubre maison, dont l’issue aurait très bien pu avoir été imaginée par Stephen King lui-même. Un étrange immeuble désaffecté, un trio d’enfants esseulés, un ballon dans l’escalier (nous renvoyant à l’excellent The Changeling), une insolite poupée en papier mâché… en dévoiler plus mériterait d’être lapidé. Éclairé à la lampe de poche (encore plus stressant), on plaint notre désemparé héros jusqu’à une finale joliment grand-guignolesque, qui fait plisser du nez.
Le verdict
Impressionnant. Surprenant même. Patrick Senécal présente est une série horrifique de qualité, produite chez nous, débordante d’excellentes performances et dotée d’une réalisation sans faille. Sans oublier ses effets spéciaux très fun et ses twists/finales bien relevés: juste pour vous donner une idée sans rien divulgâcher, l’un des épisodes rappelle même par moments le film français Haute Tension (mais heureusement sans le côté frustrant de son dernier acte). Ou ce personnage rappelant le spectre d’An American Werewolf in London en mode Jigsaw, genre. Sérieux, même avec son classement «13 ans et plus» on a droit à de l’occulte, des démembrements, du cannibalisme, des empalements, des squelettes, de la nécrophilie (oui!) et même plus encore… sans jamais pour autant sombrer dans le gros gore qui tache vraiment.
Bref, on a vraiment hâte de connaître la suite, alors qu’on ne pourra visionner qu’à l’automne prochain les cinq autres épisodes, incluant notamment Rémi-Pierre Paquin, les SFX de Couture et même un épisode de Noël!
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