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[Critique] «Rebecca»: dans l’ombre d’une géante

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Note Horreur Québec

À la fin des années 30, la femme d’un officier britannique déployé en Égypte allait fiévreusement coucher sur le papier son sentiment d’inadéquation. Rebecca n’est pas le premier roman de Daphne du Maurier, génie littéraire à qui l’on doit entre autres The Birds, Don’t Look Now et My Cousin Rachel, mais ce sera le plus célèbre. Le chef-d’oeuvre de romance gothique va être adapté par Alfred Hitchcock en 1940 et donnera au maître du suspense son seul Oscar du meilleur film.

80 ans plus tard, le cinéaste britannique Ben Wheatley (Kill List, High-Rise) s’attelle à la dure tâche de succéder à du Maurier et Hitchcock. Il demeure très fidèle au texte d’origine, plus encore que Hitch qui avait été embêté par le code Hays (de moralité) en vigueur à l’époque.

MV5BMWVkMTg1MWYtNDRkZi00MmIxLTgzZGMtN2EzZWQxYTk0OTEzXkEyXkFqcGdeQXVyODc0OTEyNDU@. V1Rebecca raconte l’histoire d’une jeune femme qui n’aura jamais de nom, orpheline payée un salaire de misère pour être la dame de compagnie de l’acariâtre Mrs Van Hopper. En voyage avec cette dernière à Monaco, elle fait la connaissance de Maxim de Winter. De Winter est un riche veuf hanté par le décès de sa première femme, Rebecca. Séduit par notre narratrice anonyme, il lui propose bien vite de l’épouser et de venir vivre dans son luxueux domaine, Manderlay. Sur place, la nouvelle Mrs. de Winter devra composer avec une gouvernante, Mrs Danvers, qui cherche à se débarrasser d’elle par tous les moyens possibles; le tempérament bouillant de son nouveau mari et le fantôme omniprésent de Rebecca, femme ayant marqué au fer rouge toutes les personnes qui l’ont connu.

Toujours aussi fascinante et vénéneuse, l’intrigue de du Maurier joue avec la présence in absentia de Rebecca et les manières dont celle-ci fait ombrage à notre protagoniste. Intimidée par ses nouvelles charges de maîtresse de domaine, Mrs de Winter fait tout pour plaire mais est constamment mise face à ses lacunes vis-à-vis l’immense et intouchable Rebecca. Par un glissement progressif de perspective et l’addition d’un meurtre à l’intrigue, l’autrice approfondit la dualité entre les deux personnages et propose une étude de moralité sur le coût de la conformité pour une femme dont les contours resteront flous.

On pouvait s’étonner du casting de Lily James et d’Armie Ammer dans les rôles principaux, deux interprètes dont les performances antérieures se sont souvent avérées très beiges. James est abonnée aux personnages de faire-valoir (voir Yesterday ou Baby Driver) et s’avère un casting idéal pour la déconstruction de cet archétype. L’actrice mord à pleines dents dans l’opportunité d’incarner une protagoniste complexe, une Mrs. Winter curieuse mais incertaine de son identité et soumise à un flot de pressions extérieures. On ne peut pas en dire autant d’Hammer, qui ne parvient pas à rendre les subtilités du personnage de Maxim de Winter. Son interprétation superficielle coûte à Rebecca une part de son ambiguïté.

Parfois un peu trop lustrée et kitsch, la mise en scène est au service du texte et n’a pas l’explosivité coutumière de Wheatley. Le cinéaste possède bien les outils pour créer un sentiment d’inquiétude chez son spectateur: il parvient à conjurer le fantôme de Rebecca par sa mise en scène et exploite les recoins de l’immense manoir gothique pour imager la descente psychologique de sa protagoniste.

L’ironie de Rebecca 2020, c’est que le film place son cinéaste dans l’ombre de deux géants et l’amène à se conformer plus que jamais auparavant. Il reste peu de la mise en scène anarchiste de Ben Wheatley dans le produit fini, bien qu’il parvienne à livrer une adaptation tout à fait convenable d’un texte classique. Si cette nouvelle version de Rebecca est à recommander aux allergiques du cinéma en noir et blanc, on ne saurait vraiment la suggérer à celleux qui possèdent déjà le roman et le film antérieur dans leur bibliothèque. Pour voir un cinéaste remanier cette intrigue afin qu’elle cadre avec son style et ses préoccupations, tournez-vous plutôt vers le Phantom Thread de Paul Thomas Anderson… Ou Crimson Peak de Guillermo del Toro.

Rebecca sera disponible en exclusivité sur Netflix dès le mercredi 21 octobre prochain.

Horreur Québec