David Holthouse se trouvait en visite chez un ami sur une ferme de plantation de cannabis au Nord de la Californie en 1993. Pendant son séjour, alors qu’il donnait un coup de main aux récoltes, les autres travailleurs ne parlaient que d’une chose: le Sasquatch. Apparement, la bête pouvait être repérée à plusieurs occasions dans les environs et terrorisait littéralement les habitants. Un soir, alors que David se repose à la maison du propriétaire, deux hommes débarquent complètement terrifiés et prétendent que le Bigfoot en personne aurait réduit en pièces trois hommes sur le terrain.
Holthouse réfléchit à cette histoire un peu folle et demeurée sans dénouement depuis maintenant presque trente ans. Aujourd’hui journaliste d’enquête — l’homme au parcours fascinant a entre autres infiltré des groupes néo-Nazis pour des papiers au cours de sa carrière —, son récit a intéressé le cinéaste Joshua Rofé (Lorena), qui recherchait un sujet plus intangible et terrifiant pour son prochain documentaire. Produite par les frères Duplass (Wild Wild Country, Creep) et présentée en première mondiale lors du dernier SXSW, c’est via Crave qu’on peut maintenant voir la docusérie Hulu de trois épisodes Sasquatch.
En effet, plutôt audacieux de vouloir construire un documentaire à propos d’une histoire aussi vieille et qui n’a jamais été documentée. D’abord, il faut savoir que la région surnommée le triangle d’émeraude, formée par les trois comtés de Mendocino, Humboldt et Trinity, est l’un des principaux lieux de production de cannabis aux États-Unis; un endroit peu recommandé pour un week-end de randonnée pédestre, disons. Ironiquement, c’est également dans les environs que le célèbre Bigfoot de Patterson–Gimlin a été capté en 1967 — Bob Gimlin vient d’ailleurs faire un tour sympathique au banc des interviewés, en plus de Bob Heironimus, l’homme qui prétend depuis 1999 se retrouver dans le costume de la bête filmée. Ensuite, certaines fermes peuvent employer des immigrants sans papier; des gens faciles à faire disparaître comme en témoignent les avis de recherches placardés un peu partout dans les villages. C’est donc à visages couverts, à voix modifiées et surtout sans autorisation de filmer que se donnent la presque totalité des entrevues avec les gens du coin… on comprend pourquoi.
Malgré son sujet difficile à capter, la réalisation créative réussit à livrer un peu plus de deux heures intrigantes à l’aide de reconstitutions en animation rudimentaire, qui sert plutôt bien le propos, et de bandes sonores lugubrement distorsionnées, juxtaposées aux images de la nature de la région. Rapidement, on devine que Sasquatch n’est pas à propos d’une chasse aux créatures mythiques, mais bien de celle de ce dangereux réseau de trafiquants et comme c’est toujours le cas, l’homme devient soudainement plus terrifiant que le monstre.
À l’issue des trois segments, et tout juste comme la docusérie donne l’impression que manquer de gaz pour se rendre au point final, le récit prend un tournant ingénieux en dressant un parallèle entre l’obsession des squatchers (ces fans et chasseurs de la créature) à trouver leur fameux monstre et celle du journaliste à percer le mystère. Au final, Sasquatch ne tente pas de prouver ou de démentir l’existence de l’énigmatique mammifère, mais réfléchit plutôt sur les sinistres raisons pour lesquelles l’Homme fabrique ces histoires depuis le début des temps. Et c’est ce qui donne véritablement des frissons dans le dos.
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