Les amateurs d’horreur connaissent bien l’immortel cinéma mort-vivant de l’influent réalisateur George A. Romero (1940-2017). On parle bien évidemment de ses films de zombies — son cycle «of the (Living) Dead» comptant quand même six films — dont les classiques que sont Night (1968) et Dawn (1978). Entre ces deux derniers, on retrouve deux longs-métrages appréciés des plus grands fans du réalisateur, soit l’infectieux The Crazies (1973) et le vampirique Martin (1977). Or, rares sont celleux qui ont pu visionner The Amusement Park avant maintenant. Tourné en 1973 au défunt West View Park (1906-1977) et retrouvé par sa veuve en 2017, il arrive enfin sur la plateforme Shudder le 8 juin prochain après avoir eu sa première mondiale en 2019 à Pittsburgh, ville fétiche du réal, où furent tournés bon nombre de ses films, incluant celui-ci.
Mais qu’est-ce que raconte ce film perdu dans son décor de fête foraine? Essentiellement, c’est à propos de la peur de vieillir. Mais pas que. Car le film, cette terrifiante métaphore sur les périls liés au troisième âge, est d’abord et avant tout un constat aussi lucide que déplorable sur les menaces qui planeront éventuellement sur chacun d’entre nous, inévitablement. Qui plus est, la situation était (et est toujours) bien pire encore chez nos voisins du sud, pour qui l’assurance maladie reste un concept assez abstrait merci. Après une courte introduction (façon The Twilight Zone) en mode commentaire social, on se retrouve dans une pièce toute blanche, avec un vieil homme salement amoché (Lincoln Maazel) face à son double intrigué, vêtu du même complet-cravate immaculé. Après avoir rapidement quitté, ce dernier débarque en plein milieu d’un parc d’attractions rempli de fêtards, digne d’un cauchemar éveillé.
En guise de récit, on pourrait très bien s’arrêter ici, tant la suite des scènes ne sont que différentes déclinaisons, souvent brillantes certes, de ce qu’est la maltraitance des aîné.e.s, phénomène hélas tristement toujours d’actualité même après presque cinquante années… Il est indubitablement question de perte d’autonomie, alors que la grande faucheuse rôde ici et là, sur fond de musique de forains distorsionnée. Sous le couvert de l’horreur, la vraie, Romero fait beaucoup de parallèles à ce qui nous devient interdit ou difficile en vieillissant, comme conduire, faire des sorties ou même son épicerie. Le tout en revisitant les classiques de ces attirants parcs: comme les autos tamponneuses, la maison hantée et même la diseuse de bonne aventure, qui voit le triste et précaire futur d’un couple, victime notamment du manque de compassion du système de santé américain.
Au final, on ne peut que se désoler pour notre protagoniste pour qui tout va trop vite, emberlificoté par de charismatiques escrocs, avant de sombrer dans la détresse et la solitude. Un film qui fait peur (on se souvient toutes et tous de ce qui est arrivé l’an dernier dans nos CHSLD), et ce, même si on est à mille lieux au niveau du ton de The Funhouse (1981) de Tobe Hooper. À l’affiche de cette très brève œuvre posthume (54 minutes au compteur) figure deux fidèles collabos de Romero: le directeur photo Michael Gornick (le réalisateur de Creepshow 2 est ici au son et parfois derrière la caméra), de même que le producteur Richard P. Rubinstein (The Stand, Dune 2021), qui ont tous deux épaulé le défunt réal sur Knightriders, Dawn et Day of the Dead, Creepshow et l’excellent Martin — dans lequel a aussi joué Maazel (1903-2009; oui, il est mort à 106 ans!).
Bien que le long-métrage ait initialement été une commande d’une association religieuse (visant à sensibiliser le public sur le sort des personnes âgées), on reconnaît bien la patte du maestro, qui était en début de trentaine au moment du tournage et qui n’avait alors qu’une poignée de titres à son actif. On note aussi que Romero semble toujours avoir été un vecteur de changement, à contre-courant, critique envers les travers de la société et attiré par la marge, notamment, avec cette scène mettant en vedette des motards (dont un sosie — avant l’heure — de Rob Zombie!), ou lorsqu’on constate que plusieurs figurants sont issus de la communauté afro-américaine. Par ailleurs, d’entrée de jeu, on nous apprend que mis à part Maazel, la grande majorité de la distribution est composée de non-acteurs, renforçant ainsi le côté cinéma-vérité de l’œuvre.
Manifestement, The Amusement Park se veut beaucoup moins un divertissement à glacer le sang qu’un important et pertinent avertissement pour les plus jeunes générations, les invitant à se réveiller et à agir dès maintenant, afin de changer le monde de demain (rien de moins). Sinon, on risque toutes et tous de vivre l’horreur, la vraie.
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.