Si vous êtes un enfant de la génération qui a grandi dans les années 1970 ou 1980, vous avez certainement vu un ou même plusieurs films du cinéaste Jeff Lieberman. Qui ne se rappelle pas de la jaquette impressionnante de Just Before Dawn dans les clubs vidéo, ou encore de ne pas avoir mangé de spaghetti durant des mois après être tombé sur Squirm à la télé?
Fantasia nous offrait cette année la première nord-américaine de la restauration 4K du classique Blue Sunshine, et le cinéaste culte était sur les lieux pour nous le présenter. Pour le grand plaisir de tous ses fans, Horreur Québec a eu la chance de rencontrer le réalisateur et d’aborder avec lui sa filmographie culte.
Horreur Québec: Vous êtes ici pour célébrer avec nous la restauration de votre film Blue Sunshine, et je me demandais après plus de 40 ans, qu’est-ce que ce film signifie pour vous, autant pour votre carrière qu’au niveau personnel?
Jeff Lieberman: Écoute, j’ai 77 ans et j’ai tourné ce film alors que j’en avais 30. Je n’aurais jamais pensé qu’après tout ce temps on m’inviterait dans des festivals pour venir en parler. Ça a surpassé ma génération. Je vois des gens de 30 ans regarder mes films. D’autres générations regardent Blue Sunshine et l’adorent. C’est fantastique.
HQ: Votre carrière s’est amorcé avec Squirm et vous avez maintes fois mentionné qu’il n’y avait aucun enjeu politique volontaire dans le scénario. Avez-vous quand même l’impression qu’avec tout ce qui se dit sur l’environnement, Squirm est plus d’actualité que jamais?
JL: Je ne pensais pas à ça en le faisant, mais c’est vrai. Je n’ai jamais essayé d’exposer un enjeu. Ce sont les cinéphiles et les critiques qui pensent à ces choses. Il n’y avait aucune discussion sur l’écologie quand je l’ai tourné. Peut-être qu’inconsciemment, j’ai eu cette idée de la nature se tournant contre l’homme, mais rien n’était délibéré. Vous savez, si vous essayez de faire un film avec un message, il sera mauvais. Je déteste voir ce genre de production.
HQ: On a quand même le sentiment qu’il y avait un peu de visionnaire en vous, car tous vos films gagnent en richesse avec le temps. Remote Control parlait de l’impact de sortir le cinéma des salles pour l’apporter à la maison, en quelque sorte. Les extra-terrestres choisissent la VHS pour faire des lavages de cerveaux.
JL: Oui, ça semble actuel, mais les gens trouvaient ça exagéré à la sortie du film.
HQ: Pour revenir à Squirm, la rumeur veut que vous ayez auditionné et refusé Kim Basinger pour le film. Était-elle si mauvaise?
JL: Elle n’était pas mauvaise, mais elle était d’une éblouissante beauté. Kim était mannequin je crois à cette époque et je vous assure que sa beauté était renversante. Je me suis alors dit que personne ne pourrait croire que cette sublime femme habitait près d’une ferme [rires]. J’aurais dû me dire que les jeunes hommes qui verraient le film n’en avaient rien à cirer, du moment qu’on la mettait sous la douche.
HQ: D’où vous est venue l’idée de faire un film avec des vers?
JL: Mon frère était pêcheur et il avait lu un article disant qu’on pouvait trouver des vers de terre rapidement en les faisant sortir du sol avec un court-circuit électrique. Nous l’avons essayé avec un transformateur et ça a réellement fonctionné. J’étais très jeune et ça m’a foutu la trouille.
HQ: Vous avez travaillé avec un jeune Rick Baker sur ce film. Comment il était?
JL: Nous n’avons malheureusement pas travaillé longtemps ensemble, puisqu’à l’époque il était très pris par King Kong. Il est venu et a fait la prothèse du visage avec les vers.
HQ: Les amateurs de slashers savent que ces films ont presque toujours un message caché qui prônent les règles de la religion. J’ai été fasciné d’apprendre que vous aviez réécrit Just Before Dawn justement pour y enlever les éléments bibliques. Pourquoi?
JL: Oui, en effet. Le film s’appelait alors The Last Ritual et il renfermait une série de messages sur le mariage. Mais n’oublie pas qu’aujourd’hui le terme slasher existe et est utilisé par des fans qui aiment ces films. À l’époque, le terme a été créé péjorativement pour mettre une étiquette sur des films que les critiques n’aimaient pas.
Friday the 13th a certainement aidé à établir les normes et à fâcher les critiques. Ce n’est pas le genre de films que j’aimerais faire, car j’y vois, avant tout, une exposition d’effets spéciaux sanglants très réussis. On m’a dit un jour que pour le film Just Before Dawn, il me fallait de superbes meurtres. Je n’en revenais pas. Comme si un meurtre en soi ne suffisait pas.
Très vite, on a dit que Just Before Dawn était un slasher et c’était simplement pour lui mettre une étiquette. Deliverance a été ma plus grande inspiration pour le film et tu sais ce qui empêche les critiques de le classer parmi les slashers? La présence de deux vedettes hollywoodiennes respectables: John Voight et Burt Reynold. C’est pratiquement plus violent que mon film.
HQ: Just Before Dawn demeure un film exceptionnel pour plusieurs raisons. Dès l’ouverture, vous y montrez la beauté de la nature en la filmant prodigieusement à travers le pare-brise du motorisé, et ces mêmes plans sont aussi terrifiants. Pour nous narguer, on entend Blondie nous chanter Heart of Glass en arrière-plan.
JL: C’est exactement ce que je voulais faire. Mélanger la beauté de la végétation et l’effroi qu’on peut y trouver. C’était un peu ma manière de présenter les lieux. Nous avons tourné le film à Silver Lake et l’endroit était parfait. Cela dit, le tournage a été retardé au début. Je suis arrivé à l’aéroport un 1er avril et un écriteau mentionnait que le vol était annulé à cause d’une irruption volcanique. Quand nous sommes arrivés sur place, il y avait de la cendre partout. On aurait dit de la neige grise.
HQ: Just Before Dawn contient une scène à glacer le sang. Vous savez, lorsque le couple s’embrasse dans le lac et qu’on voit la silhouette d’un des psychopathes s’avancer à travers la cascade. Comment cette scène d’anthologie vous est venue?
JL: Je voulais surtout que le public participe en voyant quelque chose que les personnages ne voient pas. On voit le type s’amener par derrière, mais aucun focus n’est mis sur lui. J’ai d’ailleurs fait l’expérience deux fois dans le film, si tu te rappelles.
HQ: Les fans de Just Before Dawn m’en voudraient si je ne vous parlais pas du son et de la musique dans le film. Brad Fiedel a fait un travail incroyable, mais quelles étaient vos recommandations?
JL: Je lui ai simplement dis que je ne voulais pas qu’il fasse une musique de film d’horreur. Nous étions autour de 1977 et Friday the 13th est sorti alors qu’on faisait le montage de Just Before Dawn. Ce genre de films devait contenir une grosse musique angoissante à cette époque. J’avais apprécié la musique d’Halloween, mais je ne voulais pas d’une trame sonore annonciatrice des moments de terreur. Je voulais une bande sonore sans indice. Si vous enlevez la musique, ça peut parfois faire un effet. Je me disais que le film n’en avait pas besoin. Fiedel a utilisé pleins de sons ambiants qu’il a travaillés pour accentuer l’environnement. Au début du film, le fameux sifflement ne veut rien dire pour le spectateur, mais Fiedel a effectué un travail fabuleux.
HQ: Pourquoi vous n’avez jamais réalisé de suite au film?
JL: Si tu te souviens, j’ai laissé sous-entendre la mort de Megan, jouée par Jamie Rose dans la chapelle, mais on ne la montrait pas vraiment mourir. On la voyait crier seulement. Dans une suite, elle pourrait réapparaître à soixante ans. Je connais très bien l’actrice et ce serait amusant. On pourrait découvrir que suite à des viols, elle aurait eu des enfants mutants des montagnards et Gregg Henry pourrait revenir en Warren et partir à sa recherche [rires]!
HQ: Je serai à la première, et avec le retour de Jamie Lee Curtis dans Halloween qui cartonne, ça pourrait fonctionner.
JL: Oui, ce serait super, je trouve.
HQ: Nous aurons la chance en octobre prochain de redécouvrir Satan’s Little Helper lors de sa sortie restaurée. Je ne peux vous laisser partir sans vous demander comment vous en êtes venu à travailler avec Amanda Plummer, qui crève l’écran dans le film?
JL: Je ne l’ai pas approché. C’est elle qui m’a demandé pour jouer dans le film. C’était bizarre, car jamais je n’aurais pensé à lui demander. Je crois qu’elle sortait encore avec Tobe Hooper à l’époque et je suppose qu’il l’a encouragée à vouloir le rôle. Comme tu le dis, elle est juste extraordinaire dans le film.
HQ: J’ai l’impression que malgré ses qualités innombrables, Satan’s Little Helper est peut-être le moins connu de vos films.
JL: C’est possible, mais j’espère que la sortie prochaine du Blu-ray va changer cela. Il y aura pleins d’extras. Tu connais cette tendance sur les bonus de films d’horreur voulant qu’on revisite les lieux de tournage des années plus tard? Je me suis offert cette visite des lieux moi-même, en expliquant ce que nous voulions faire. Nous avons aussi reparlé au garçon qui est dorénavant dans la trentaine et qui ressemble à Frank Zappa [rires].
Nous souhaitons avoir la chance de voir d’autres films de Lieberman dans le futur et ne pouvons qu’encourager nos lecteurs à découvrir ou redécouvrir sa filmographie unique.
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.