Responsable de l’accident ayant défiguré sa fille, un chirurgien et son assistante s’engagent dans une série d’enlèvements de jeunes femmes pour trouver un visage à transplanter à la demoiselle sans figure.
Si la scène de transplantation de visage a rapporté au film une certaine notoriété par son atroce réalisme, le film a tellement plus à offrir. Un peu à la manière dont James Stewart joue les Pygmalion dans le film Vertigo, en transformant l’imparfaite Judy en Madeleine, le Docteur Génessier est prêt à tout pour se racheter. La similitude entre les deux films n’est pas si surprenante si l’on constate que le duo Boileau-Narcejac, aussi responsable du roman D’entre les morts, qui deviendra Vertigo sous la houlette d’Hitchcock, a travaillé sur le scénario de Les yeux sans visage. On pourrait même ajouter que dans les deux cas, ce remodelage corporel est lié à un désir sexuel. Franju lui-même mentionne une sorte d’ambiguïté pour cette relation entre père et fille. Symboliquement parlant, il serait même facile d’y voir une figure incestueuse. Un père coupable d’avoir commis un geste outrancier, privant sa fille de tout relation avec son fiancé. Il lui fait même porter un masque d’une blancheur virginal, ne pouvant regarder les dégâts de ses méfaits.
Dans les extras du Blu-ray, Georges Franju nous mentionne: «Le fantastique se crée, l’insolite se révèle.» En une phrase, il nous explique et le squelette et la chair de son film. Lentement, Les yeux sans visage s’ouvre à son spectateur comme une huître et la perle qu’il propose est un véritable ballet filmique. Le film présente une armature singulière à laquelle se greffe une excellente musique de Maurice Jarre, qui se divise majoritairement en deux tonalités. Un air plus carnavalesque ponctue à merveille les scènes de suspense, alors qu’une somptueuse mélodie angélique transpose l’aura onirique et poétique autour du personnage de Christiane. Les scènes la présentant qui déambule dans le château lui confère l’aspect d’une véritable poupée de porcelaine ou même celle d’un spectre. Peut-être est-ce la force de Franju, justement; transformer une scène pouvant presque s’apparenter à un conte merveilleux en cauchemar. Christiane fait presque plus peur avec son masque que lorsqu’on l’entrevoit défigurée. Une grande partie de la nuance du film vient du jeu de Pierre Brasseur. On le présente comme un bon père, mais aussi comme un médecin dévoué à ses patients. Une très belle scène le montre en train de traiter un petit garçon, avec cette tristesse dans les yeux. Combiné aux scènes plus violentes, ce segment est en total désaccord, et magnifie l’inquiétude chez le spectateur.
Il faut dire que cette pièce de maître n’a jamais cessé d’imprégner les artistes. La chanson Eyes Without A Face du chanteur Billy Idol fait une très belle référence au film. John Carpenter admet, quant à lui, y avoir repris la blancheur du masque pour Michael Myers. Plusieurs séquences de La piel que habito (The Skin I Live In) de ce génie qu’est Almodóvar en sont, en outre, un hommage. Qu’il s’agisse d’un hasard ou non, le cinéaste culte Jess Franco en a repris, et par deux fois, le synopsis. Franco mentionne avoir discuté avec Franju, qui n’aurait aucunement été inspiré par The Awfull Dr.Orloff, et soutient ne pas avoir été incité non plus par Les yeux sans visage. On parle ici de la genèse des projets, puisque le Franju est sorti deux ans plus tôt. Si Franco n’a aucunement tenté de calquer Franju pour son film paru en 1962, il reste à se demander pourquoi le remake (ou suite) de son The Awfull Dr. Orloff ne cesse de le faire. On est en droit de croire que le cinéaste espagnol fait une sorte de révérence à Georges Franju pour Les Prédateurs de la nuit. Plagiat, hasard ou politesse? La vérité n’est pas si importante puisque si Les yeux sans visage est un véritable chef d’œuvre et le film original de Franco, que nous pourrions peut-être aborder lors d’un texte futur, n’en est pas moins une œuvre iconique du cinéma fantastique.
La restauration en HD du film Les yeux sans visage aide certainement à son ébullition poétique. C’est-à-dire que les multiples contrastes entre le noir et le blanc nourrissent un certain lyrisme moins perceptible lors de précédentes éditions. La résolution de l’image est très bonne et on offre une compression réussie dans l’ensemble. La remastérisation du son original est la seule piste sonore disponible, mais des sous-titres anglais sont évidemment présents. Parmi les suppléments, on offre le court-métrage documentaire Le sang des bêtes du réalisateur, mais aussi une entrevue récente avec l’actrice Edith Scob qui tenait le rôle de Christiane. On y joint également une capsule vidéo présentant une courte discussion avec le cinéaste, mais aussi un micro-documentaire montrant le duo Boileau-Narcejac nous expliquer leur processus d’écriture. Un livret fourni nous offre deux essais. L’un de l’historien du cinéma David Kalat et l’autre du romancier Patrick McGrath, nous ayant donné entre autres le roman Spider, que Cronenberg a magnifiquement porté à l’écran. Dans les deux cas, il s’agit de textes intéressants proposant un approfondissement du film.
http://https://www.youtube.com/watch?v=TGNFynNqJ2A
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