Une jeune fille arrivant dans une nouvelle école développe un certain pouvoir sur les insectes qui l’aidera à attraper le psychopathe errant dans les environs.
Phenomena figure parmi les meilleurs films du légendaire Dario Argento, malgré un accueil assez tiède à sa sortie. C’est sans conteste l’un des excellents titres d’horreur de sa décennie, également. Certains détracteurs y voient une relecture, avec moins de raffinement, de Suspiria. Ce constat paraît arbitraire et un peu injuste, à la fois pour le cinéaste et pour son film. Certes, Argento a certains tics et dans Phenomena, il semble vouloir reproduire un amalgame des meilleures choses qu’il a su expérimenter à travers l’ensemble de ses films précédents. Bien sûr, l’étrangère arrivant dans une académie rappelle son Suspiria, tout comme le côté conte macabre. Cependant le puzzle à résoudre comme pilier central du film renvoie davantage à d’autres de ses réalisations, en restant pourtant spécifique. Présentant plusieurs éléments récurrents du giallo (genre auquel le cinéaste a donné ses lettres de noblesse), le film va basculer avec une grande habilité vers un fantastique peu commun. C’est, ici, une grande différence entre ces deux films puisque Suspiria est un exercice de style surréaliste dès son ouverture. Par ailleurs, là où Suspiria est ambivalent (Est-ce que Suzie Bannion n’est pas elle-même une sorcière blanche, puisqu’elle ressent autant de choses?), Phenomena explique davantage, et ne laisse que peu d’ambiguïté. Jennifer, la protagoniste, a rapidement cette affinité avec les insectes, comme l’explique le spécialiste, incarné par Donald Pleasence (Halloween).
Le personnage de Jennifer Corvino, fille d’un célèbre acteur, délaissant sa fille dans un pensionnat huppé, serait inspiré des reproches que le cinéaste a reçus de ses propres filles. Tourné dans une période plus sombre pour le réalisateur, Phenomena pourrait revêtir d’étranges connotations psychanalytiques, si l’on constate les sorts de sa fille Fiore et de Daria Nicolodi, conjointe avec qui le cinéaste commence à éprouver certaines frictions. Si l’on ajoute à cela que la jeune Asia, selon la rumeur, prêterait sa voix au jeune Pateau (qui renvoie au syndrome de Pateau), il y certes de quoi sourire. Cet enfant protégera sa mère, un peu comme le chimpanzé prendra la défense de son père symbolique. Argento montre peut-être que la descendance se porte à la défense des parents, mais il en profite surtout pour faire un clin d’œil au The Murders in the Rue Morgue d’Edgar Allan Poe. Par ailleurs, l’anecdote que Jennifer raconte sur la fête de Noël serait une expérience vécue par le cinéaste. C’est donc un film assez personnel que nous livre ce maître.
La manière avec laquelle Argento délaisse le contexte plus urbain du giallo traditionnel, pour aborder la campagne et le fait qu’il choisisse comme victimes une série de très jeunes filles, laisse peut-être croire que l’influence du slasher, célèbre à cette époque, s’y fait ressentir. Au-delà de ces conclusions plus superficielles, on pourrait énoncer que Phenomena tente de tisser un véritable rapport organique entre la nature, son meurtrier et son héroïne. Le long-métrage s’ouvre en plein jour, sur une forêt terrifiante qui, dansant sous le vent (omniprésent dans le film), semble au service du meurtrier. Tout ceci changera avec l’arrivée de Jennifer qui deviendra presque mère nature elle-même en retournant l’environnement du film contre son psychopathe. Non seulement ce vent inquiétant qu’on surnomme «föhn» pourrait causer les crises de somnambulisme de la jeune fille, mais il pourrait aussi provoquer la folie du sadique. C’est le cosmos les entourant qui est peut-être responsable de cette rencontre avec l’assassin.
Présentant une fois de plus un film très soigné visuellement, le maestro mise énormément sur des teintes bleutées pour faire transparaître un côté onirique, autant dans les rêves du personnage que dans la réalité qui l’entoure. Le créateur ose même pousser le film vers un acte de voyeurisme inédit en nous permettant de voir un cadavre à travers les yeux d’un insecte. Comme à son habitude, plusieurs travellings surprennent par leur capacité d’immersion. Les meurtres sont originaux et gores et l’intrigue policière, que ces insectes aident à résoudre, est particulièrement captivante. Si le groupe Goblin livre au cinéaste certains de ses meilleurs morceaux musicaux, Argento alimente le suspense de plusieurs scènes avec différentes chansons hard rock provenant de différents groupes de l’époque, notamment Iron Maiden et Motörhead. Certains fans et critiques vont déplorer ce choix en le qualifiant de purement commercial. Pourtant, ces insertions ponctuent adéquatement des séquences clés du film. À ce titre, l’utilisation du morceau Flash of the Blade est particulièrement réussie. Jennifer Connelly est très crédible dans son rôle, aux côtés de Donald Pleasence et Daria Nicolodi, qui sont tout aussi remarquables.
La dernière version de Phenomena sortie en Amérique était le DVD paru chez Anchor Bay. La différence de l’image est phénoménale. Le travail du distributeur est très visible, et ce, pour chacune des versions offertes. Les couleurs, si importantes chez Argento, semblent beaucoup plus tranchantes et certains détails de la mise en scène sont plus visibles. Non seulement le film nous est présenté comme on ne l’a jamais vu, mais de différentes manières également.
Cette édition, limitée à 3 000 exemplaires, avec boîtier en métal ne contient pas moins de trois moutures du film. Nous obtenons, premièrement, cette version hybride constituée d’un mélange de la version anglaise et italienne. On y découvre donc la mouture la plus longue, soit 116 minutes. Entièrement remixée par la compagnie Synapse, cette présentation contient quelques passages en Italien, ponctués de sous-titres anglais. C’est la première fois que cette version du film paraît en Zone 1, restaurées en HD 1080p. On nous propose un son DTS-HD 2.0 pour l’anglais et l’italien. Cet assemblage est celui que vont privilégier les fans du cinéaste, évidemment.
Le second montage fourni est celui de 110 minutes, plus international, paru en 1985 sous le titre Phenomena. Cette version contenait environ 30 minutes additionnelles qui changeaient complètement le film de la version Creepers présentée auparavant. Il s’agit aussi d’une version HD 1080p, garnie d’une bande sonore anglaise DTS-HD 2.0 stéréo.
La dernière optique pour voir le film est justement cette adaptation charcutée que l’on a surnommée Creepers, destinée au marché des États-Unis. Ce visionnement n’en est pas moins intéressant qu’il expose les incohérences de la censure, mais aussi les désirs économiques d’un distributeur n’ayant que faire de l’aspect artistique du film. On nous donne l’ensemble en HD également.
Par ailleurs, on nous donne droit au documentaire Dario Argento’s World of Horror (réalisé par cet autre génie italien nommé Michele Soavi) qui est tout simplement une perle pour tout fanatique du cinéaste italien. Même s’il n’a pas exactement reçu le même travail de restauration, ce documentaire est un atout colossal. Comme si cela ne suffisait pas, on nous fait cadeau de la sublime trame sonore du long métrage, renfermant entre autres la musique du groupe Goblin.
En revanche, on aurait aimé que Synapse nous propose un documentaire plus d’actualité nous montrant Argento, aujourd’hui, nous parler de son film avec distanciation. Si Anchor Bay l’avait fait pour certaines éditions DVD, il y avait forcément possibilité de le présenter à nouveau. Que pense Argento en 2017 de son film? Comment réagit-il aux propos de Jennifer Connelly qui a abordé le film avec ironie lors d’un talkshow il n’y a pas si longtemps? Pourquoi son Phenomena 2 est-il tombé à l’eau?
Cela dit, pour tout ce qu’elle comporte, cette version vaut vraiment son achat. Il est à souhaiter que Synapse apporte les mêmes soins à sa future édition de Suspiria.
http://https://www.youtube.com/watch?v=m4ItlbA-ogo
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