Suite à l’arrivée d’une nouvelle gouvernante, de mystérieux incidents se produisent dans un vieux manoir gothique, habité par deux jeunes orphelins. Cette nouvelle éducatrice soupçonne rapidement les fantômes de deux anciens serviteurs, morts dans des circonstances inquiétantes, d’envoûter les enfants, pour revivre leur lubrique passion sexuelle.
Figurant aux côtés du chef d’œuvre The Haunting de Robert Wise parmi la quintessence du film de maisons hantées, The Innocents mérite amplement sa place d’honneur au panthéon de la collection Criterion. Adapté du texte The Turn of the Screw d’Henry James, le film de Jack Clayton est aussi inquiétant, étrange et perturbant après toutes ces années. Le génie du cinéaste sera d’offrir une œuvre aussi belle que consistante. Sa direction d’acteurs est admirable. L’actrice Deborah Kerr a souvent affirmé qu’elle y concédait sa meilleure performance en carrière. Son jeu puissant offre à Miss Giddens la force et la fragilité nécessaire.
Soulignant son ton grave dès l’ouverture, lorsque la fanfare habituelle de la Twentieth Century Fox est délaissée au profit d’une ritournelle victorienne, on ressent immédiatement cette brisure de la convention. De manière habile, le cinéaste et son directeur photo, Freddie Francis, s’amusent à offrir un rapport de contradiction, autant au niveau esthétique que narratif. On choisit d’abord le cinémascope pour tourner un film d’horreur en noir et blanc, ce qui n’était pas la tendance. Ce choix permettra de donner de l’ampleur aux images, notamment en jouant sur la profondeur de champ. La cinématographie du long-métrage est à la fois sublime et ingénieuse. La manière avec laquelle la caméra réussit à se mouvoir et à se faufiler parmi les personnages magnifie automatiquement l’immersion du spectateur. Cette même composition visuelle donnera vie au manoir et au domaine l’environnant. Chaque figure qui devrait transformer ce palais idyllique en paradis terrestre devient alors ce qui le travesti en cauchemar, qu’il s’agisse des statues de chérubins crachant des insectes, du soleil éblouissant, qui aveugle au point de dissimuler la menace, ou encore de certains plans incongrus des enfants, leur conférant un air carrément diabolique. Impossible pour le spectateur de se réconcilier avec le moindre repère que sa mémoire de cinéphile a enregistré. Après son travail sur The Innocents, Francis a également rencontré un certain succès comme metteur en scène. Reconnu, entre autres, pour plusieurs réalisations au sein de la Hammer, il est avant tout un magicien de l’image.
Par ailleurs, le scénario de The Innocents est tout simplement parfait. Si l’intrigue paraît simple, les notations psychologiques soutiennent une épaisseur complètement inattendue aux personnages, mais aussi au suspense. L’insertion de connotations freudiennes donne lieu à des scènes extrêmement malaisantes. Ces dernières sont d’autant plus surprenantes qu’il nous paraît impensable qu’elles puissent avoir été mises en place à l’époque de la production du film. La rumeur mentionne que cet aspect brillant du récit proviendrait de l’esprit astucieux de Truman Capote, principal scénariste de cette adaptation.
L’utilisation de la musique est beaucoup plus sobre dans The Innocents que dans un film d’horreur plus conventionnel. On ne peut pas se fier aux sinistres notes d’un instrument à cordes pour nous prévenir que des effets de terreur sont sur le point de se manifester. Le regard apeuré de Deborah Kerr détermine la notion même de la peur avant que l’on puisse la percevoir nous-même.
Ce Blu-ray de la collection Criterion offre une restauration en 4K du film. Disons-le d’entrée de jeu, le transfert y est époustouflant. On pourrait presque affirmer que le film est en couleurs tellement la gamme de nuances entre le noir et le blanc est large. Niveau sonore, on nous offre une remastérisation impériale de la bande son originale. Aucun sous-titre français, ni version française ne figurent au menu, ce qui est déplorable. Pour un film plus daté, les extras offerts ne sont pas négligeables. On a droit à une introduction du film par l’historien Christopher Frayling, sur les lieux du tournage, qui propose aussi un commentaire audio extrêmement instructif. Revisiter le film avec son approche en voix-off offre des perspectives complètement différentes. On propose aussi un nouveau commentaire du directeur photo John Bailey (Groundhog Day) qui aborde le travail sur l’image de Freddie Francis, mais aussi une capsule avec Francis lui-même qui se remémore son travail sur The Innocents. Un livret inséré dans la jaquette livre aussi un court essaie de Maitland McDonagh, critique américaine qui a écrit plusieurs ouvrages sur le cinéma.
Un Blu-ray incontournable pour tout fan d’horreur, certes, mais pour tout cinéphile également.
http://https://www.youtube.com/watch?v=aOsF0S65RR0
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