Le 18 septembre, le Festival du cinéma de la ville de Québec projettera le chef-d’oeuvre d’Harry Kümel Daughters of Darkness (Les lèvres rouges), dans le cadre d’un hommage à Danielle Ouimet. L’actrice québécoise y incarnait le personnage de Valerie, une jeune femme qui fait la rencontre de la mystérieuse Comtesse Bathory (Delphine Seyrig) lors de son voyage de lune de miel.
Vouant un culte à ce très beau film de 1971, Horreur Québec a eu la chance de faire un brin de causette à cette grande dame de la communauté artistique québécoise:
Horreur Québec: Des années après sa sortie, on parle encore du film Les lèvres rouges.
Danielle Ouimet: Il a eu plusieurs titres. Au Québec, c’était Le Rouge aux lèvres. Ça dépend du pays où le film a été acheté, et il l’a été par plusieurs pays. On m’a d’ailleurs fait comprendre en m’engageant que les comédiens étaient engagés pour s’assurer une distribution dans leur pays. Avec moi, au Canada, Andrea Rau était Allemande alors ils s’assuraient d’avoir une distribution là-bas aussi. En France, c’était Delphine Seyrig, et aux États-Unis, John Karlen.
HQ: Est-ce que vous connaissiez Kümel de réputation auparavant? Qu’il s’agisse de ses films ou de réputation?
DO: (Rires) Si je l’avais connu, je me serais préparée. Henry Lange était adorable, mais malgré son talent et son extraordinaire filmographie, je dirais qu’Harry Kümel était angoissé. Il arrivait très rarement à trouver des scènes où il était satisfait. Au début du film, il y a une scène dans un train. John Karlen et moi sommes supposés être en voyage de noces. Il voulait qu’on soit plus osés dans nos actes, et il ne savait pas comment nous diriger. Il avait fait venir un livre de Suède avec des positions et nous avait noté les pages qu’on devait reproduire. Je vous jure que c’est vrai! (rires)
HQ: Vous m’aviez déjà mentionné lors d’une rencontre à Toronto que le réalisateur en était venu à vous frapper, et que vous l’aviez frappé en retour. Comment on traverse un tournage comme celui-là?
DO: Je lui avais été imposée. Je n’avais fait que deux films à l’époque et avec la même personne, alors j’avais tendance à m’en laisser imposer. Denis Héroux avait été une soie, et lorsque je suis arrivé avec un réalisateur plus rigide, je ne me pliais à ça. Comme il était lui-même insécure, il a senti mon insécurité, et c’est sur moi qu’il jetait toute sa hargne. Il ne pouvait rien dire à Delphine Seyrig, qui était l’une des plus grandes stars qui soit. John Karlen était un homme et parlait juste en anglais, alors ils ne pouvaient pas s’exprimer ensemble aussi facilement. Andrea Rau ne restait jamais sur le plateau et passait beaucoup de temps dans sa loge. Moi qui voulais apprendre, j’étais pas mal partout et il a décidé de me prendre en grippe. S’il y avait un retard sur le plateau, c’était de ma faute. Si on avait de l’avance, je les dérangeais. Il y avait toujours quelque chose qu’il n’aimait pas.
Un jour, j’ai eu la visite de Guy Latraverse sur le plateau. C’était un agent d’artiste et il venait me voir. Il m’a dit d’arrêter de me laisser faire comme ça, et qu’avec les semaines de tournage qu’il restait, il me fallait régler ça avec le cinéaste. À un moment donné, il devait faire recoudre un costume et il ne l’a pas fait. Je suis arrivée en retard sur le plateau car il a fallu le retoucher. Il s’est remis à me crier que j’étais encore en retard. Quand j’ai essayé de m’expliquer, il a ajouté que je n’avais pas à lui parler comme ça devant son équipe et j’ai craqué. Je lui ai dis: «Je vais vous parler comme bon me semble monsieur Harry Kümel». Il a levé la main et il m’a frappé. J’ai répliqué. Une dame était en train de s’occuper de mes cheveux. J’ai pris sa brosse et je me suis mise à labourer Harry à coup de brosse à cheveux. Il m’a demandé d’aller dans une autre pièce et je lui ai mentionné que je ne laisserais plus jamais me parler comme il le faisait. Il a levé encore la main et j’ai sauté dessus (rires). Les meubles se sont mis à tomber sur nous et c’est l’équipe qui est venue nous sortir de la salle.
Par la suite, je pleurais et j’ai expliqué la situation à John Karlen, qui me demandait ce qui n’allait pas. Il a quitté la pièce, enragé. Il est revenu quelques minutes plus tard en me demandant si c’est moi qui avais commencé à frapper Harry en premier. J’ai répondu que non et qu’il pouvait le demander à n’importe qui. John m’a dit: «Il t’a frappé et en plus, il m’a menti». Il reparti voir Harry et il l’a frappé à son tour. Le réalisateur est tombé par terre. Comme vous voyez, c’était rendu général.
Après, j’ai eu très peur parce que c’était devenu assez sérieux. Un autre directeur de plateau a téléphoné à Henry Lange à Paris en disant: «Il y a un gros problème. L’actrice et le réalisateur se frappent!» (rires). Henry a pris l’avion et est venu me voir. Il m’a dit qu’il allait questionner tout le monde et que si j’étais dans le tort, je devrai préparer mes valises. Il est revenu me voir en me disant que l’ensemble de l’équipe lui avait confirmé que c’était Harry qui était invivable et qu’il mettait une grosse pression sur l’équipe. Il m’a rassuré en me disant qu’ils me gardaient, et que si Harry continuait, c’est lui qu’il allait changer.
HQ: Avec le temps, est-ce que vous avez eu la chance de lui reparler et de vous raccommoder avec lui?
DO: Oui. Ça s’est très bien réglé par la suite. Il a compris qu’il ne fallait pas qu’il fasse ça. Le lendemain, j’avais la fameuse scène où Delphine et moi s’embrassions. Ensuite on voit du sang sur mes lèvres. C’était une scène très précise où l’éclairage devait être parfait. Delphine Seyrig l’a fait venir devant moi et lui a dit ceci: «Jacques Demy me disait que sur un plateau, quand les comédiens ont du talent (elle me pointait du doigt en le disant), un réalisateur est totalement inutile». Avoir été remis à sa place par Delphine, qui était une grande vedette, l’a complètement détruit. Il est devenu beaucoup plus conciliant par la suite.
HQ: Après le tournage, et au travers des décennies suivantes, lui avez-vous adressé la parole?
DO: Oui. Je lui ai reparlé il y a cinq ou six ans et j’ai son courriel. Quand on a discuté, il a fait comme si de rien n’était. Mais vous savez, le temps passe. J’avais environ 22 ans à l’époque. Aujourd’hui, j’en ai 72. Avec le temps, on regarde ça avec un sourire. Comme si on était impétueux. Au moment du tournage, c’était grave, mais au final, ce n’était pas si terrible que ça.
HQ: En 2017, Harry Kümel a annoncé qu’il travaillait sur une suite au film Les lèvres rouges, comme vous le saviez probablement.
DO: (Grand éclat de rires) Non, je ne le savais pas!
HQ: Aimeriez-vous revenir après toutes ces années et jouer cette fois peut-être un rôle similaire à celui de Delphine Seyrig?
DO: J’aimerais ça. Ce serait amusant. Je doute que ce soit sérieux. Il a peut-être fait passer cette rumeur pour se donner du travail. John Karlen est mort, mais il pourrait peut-être revenir s’il avait été vampirisé. Vous savez, j’ai essayé de rejoindre John, il y a sept ou huit ans, et il vivait dans un Ramada Inn. C’était une déchéance, ou je ne sais pas trop quoi. Il était spécial. Je n’ai pas eu de nouvelles d’Andrea Rau. J’ai vu sur Internet qu’elle avait fait plusieurs films.
HQ: Delphine Seyrig était quand même reconnue pour être une grande féministe et votre film Valérie est à quelque part un hymne à la liberté de la femme. Est-ce qu’elle avait vu le film quand vous avez travaillé avec elle?
DO: Elle n’avait pas vu le film, mais elle m’aimait beaucoup. Elle avait sa propre façon de me le montrer. Son amoureux était avec elle, le comédien Sami Frey, et ils passaient beaucoup de temps ensemble lorsqu’on ne tournait pas. Quand elle voyait que j’avais de la difficulté avec certaines scènes à cause de mon manque d’expérience, elle me lançait: «Vous savez Danielle, je ne crois pas trop me souvenir de mes lignes, est-ce que vous aimeriez qu’on répète?». C’était pour me faire répéter moi, et non pas elle. Elle était très délicate. Jamais elle ne m’aurait dit que je n’étais pas prête. Elle disait que c’était elle. Elle voulait m’aider.
HQ: À l’époque où vous l’avez rencontrée, elle avait tourné avec les plus grands cinéastes français. Étiez-vous nerveuse lors de votre première rencontre avec elle?
DO: Pas réellement. Je respectais son travail et je connaissais son aura d’actrice. J’étais impressionnée de ce que je pourrais apprendre d’elle, et non pas de la star qu’elle était.
HQ: Vos fans savent que vous avez vu le film pour la première fois à New York, et que la version présentée était censurée. Est-ce que, sur le coup, vous étiez déçue de ne pas voir certaines scènes?
DO: Quand j’ai vu le film, je pensais voir la version finale. Je ne pensais pas qu’on avait enlevé des choses. Quand je l’ai revu, j’ai compris que ça avait été trafiqué. Vous savez, un film ne nous appartient pas une fois qu’on l’a tourné. Ils ajoutent ou retirent des scènes. Il faut se fier à ce que le réalisateur, le monteur et ceux concernés souhaitent comme résultat. Sur le coup, je me suis dit que c’était peut-être mieux comme ça. Valérie avait aussi été très censuré en Ontario. C’est la dernière province qui a accepté le film. On a toujours été des précurseurs, et à cette occasion-là, c’était très marqué. Le film a été vendu dans quarante pays. C’est quand même merveilleux, puisque j’ai deux films cultes à mon actif. Il y a des gens qui m’ont rapporté que Valérie avait été projeté en Afrique durant un an, dans le même cinéma.
HQ: Vous avez tourné en 1972 Le Diable est parmi nous de Jean Beaudin, qui parle de messes noires, et le cinéaste a été désavoué à cause du montage des producteurs. Pouvez-vous nous en parler?
DO: Il m’a toujours dit qu’il allait le signer par respect pour ses comédiens, «(…)mais ce ne sera pas mon film, et je ne le considérerai pas comme tel». Il avait bien raison. Il était le réalisateur. C’est un coup de Cinepix. Ils voulaient que la nudité prennent le dessus du film, mais sur une forme surnaturelle. Ils ont donc mis toute l’emphase sur ces scènes. Beaudin n’était pas content et a mentionné: « Ce n’est pas ça que j’ai fait.» Il avait bien raison. Et laissez-moi vous dire, j’avais même fait des cascades et j’étais l’une des rares. Je travaillais avec le gars qui avait fait les effets dans 2001: A Space Odyssey. C’était un Québécois qui vivait à Dollard-des-Ormeaux. Il travaillait dans un petit centre d’achats là-bas. Il m’avait fait une sorte d’attelle pour une scène de pendue. C’était une tige en métal sur laquelle il y avait un siège de bicyclette soudé. J’étais donc assise dans les airs sur le siège. Très peu de gens le savent. C’est une autre chose incroyable de vie (rires). J’ai travaillé avec le gars qui a fait les effets de ce classique-là. Ce qui est bizarre, c’est que par la suite, j’ai versé dans le film comique (rires).
Nous remercions madame Ouimet pour son temps et son extrême gentillesse.
Ne manquez pas Daughters of Darkness (Les lèvres rouges) en présence de l’actrice le 18 septembre dans le cadre du Festival du cinema de la ville de Québec.
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