Après un accueil globalement positif à Fantasia cette année, le film indépendant Lifechanger arrive en vidéo sur demande cette semaine. Nous nous sommes servis de ce prétexte afin de nous entretenir avec son réalisateur et scénariste Justin McConnell sur l’origine du projet ainsi que sur ses influences lors du tournage.
Retour sur le destin d’un film porté à bout de bras par une petite équipe de passionnés de cinéma:
Horreur Québec: Lifechanger est un film assez atypique avec une prémisse plutôt originale. Peut-on savoir comment vous est venue l’idée de parler d’une créature métamorphe sous cet angle?
Justin McConnell: J’essayais d’arriver à trouver une idée de film que je pourrais tourner avec un très petit budget dès 2014. En fait, je tentais au même moment de démarrer la production de deux autres plus gros projets, mais aucun de ceux-ci n’était envisageable au niveau monétaire. J’ai donc commencé à «brainstormer» sur une idée que je pourrais démarrer avec un petit budget composé du peu d’argent que je pourrais réunir. Or, un jour, dans l’autobus, j’ai eu cette idée qui m’a frappée: «Et si je me voyais moi-même en public?». Cette idée est grosso-modo la prémisse de Enemy de Denis Villeneuve [rires], mais ça a vraiment été le point de départ qui a tout mis en place pour que l’idée grandisse en moi.
J’étais aussi dans une phase un peu plus dépressive et je vivais certains creux qui me plaçaient vraiment dans un contexte de réflexions sur moi-même et sur la vie. J’avais perdu quelqu’un qui m’était vraiment cher quelques temps avant et cela a grandement teinté le ton que je voulais donner au film. J’avais un premier brouillon dès 2014 et, de là , nous avons démarré les démarches pour pouvoir enfin débuter le tournage en 2017.
HQ: Effectivement, il y a vraiment ce jeu sur le ton dans Lifechanger: certaines scènes sont baignées de violence, mais dans l’ensemble, ce qui ressort du film est une sorte de sentiment de mélancolie. Vous avez cité Enemy; pour ma part, j’ai vu quelques parallèles avec The Fly de David Cronenberg. Y-a-t’il d’autres oeuvres qui vous ont inspiré pour la forme que vous avez donné au film?
JM: Rien de spécifique, mais j’ai grandi en regardant tous les films d’horreur sur lesquels je pouvais mettre la main et, en fait, tous les films sur lesquels je pouvais mettre la main. J’ai été un cinéphile depuis un très jeune âge, donc j’ai vu les Invasion of the Body Snatchers (Philip Kaufman, 1978), The Hidden (Jack Sholder, 1987) et autres films abordant les questions de conscience, de changement d’un corps à un autre et toutes ces thématiques que l’on retrouve dans Lifechanger. Toutes ces oeuvres m’ont forgé d’une certaine façon et il est certain que l’on retrouve une partie de leur ADN dans mon projet. Toutefois, je n’ai pas spécifiquement tenté de faire des hommages en tentant de reproduire certaines scènes, par exemple. C’était plutôt un truc organique qui a émergé de l’écriture et durant le tournage!
HQ: Par rapport au tournage justement, je me demandais comment vous aviez préparé tous les acteurs et actrices qui avaient à jouer le métamorphe: ont-ils travaillé en équipe pour développer le caractère du monstre, se sont-ils tous rencontrés avant le début du tournage?
JM: Je savais que cet élément serait un défi que nous allions rencontrer, car il fallait vraiment, pour le bien du film, que les performances soient d’une certaine uniformité… que tous semblent réellement avoir la même identité dans tous ces corps. Donc ce que j’ai fait, c’est qu’avant le début du tournage, j’ai donné à tous les acteurs un petit document qui contenait le «back-story» de la créature pour qu’ils puissent tous la lire et intérioriser son histoire et comment elle pense. Ensuite, nous nous sommes tous réunis pour discuter de comment on pourrait lui donner des tics et une manière de marcher, par exemple, qui lui serait caractéristique. Au moment du tournage, je les ai donc laissés un peu improviser, mais à la fin, je me suis donné le droit de couper tout ce qui ne me semblait pas être en adéquation avec le personnage. Donc ça a été un élément de plus à gérer, mais au final, l’essentiel était que l’on sente le personnage dans toutes les performances.
HQ: En ce sens, comment a fonctionné le casting de ceux qui interpréteraient la créature? J’ai remarqué que vous partagiez certains acteurs avec le film Fugue, sorti à peu près en même temps.
JM: Oui! En fait cela est dû au fait que nous partageons tous les deux Avi Federgreen comme producteur pour nous et producteur exécutif pour Fugue. Donc quand nous en sommes arrivés au moment de «caster» Jake Foley dans le rôle de Robert par exemple, cela venait du fait qu’Avi nous avait proposé de jeter un œil à son travail. Après l’avoir rencontré, il s’est vraiment démarqué rapidement comme étant le bon choix pour le rôle. En fait, au niveau du casting, je voulais surtout m’assurer que tout le monde ait l’endurance pour travailler à un tel projet et aussi que tout le monde ait un véritable intérêt pour l’histoire que nous souhaitions raconter, car on ne peut pas faire semblant par rapport à ces choses-là.
HQ: Nous avons récemment discuté avec le cinéaste Lowell Dean qui officie dans les prairies et qui avait de sérieuses critiques à faire au système de financement au pays. Partagez-vous son avis? Que pensez-vous de la scène indépendante au Canada; croyez-vous que la situation actuelle est viable pour les créateurs?
JM: Je crois que ça dépend de ce que vous cherchez à faire… Évidemment, la situation n’est pas optimale, mais au moins, il y a un circuit vraiment sain de créateurs qui réussissent à s’entraider en dehors des circuits traditionnels comme Téléfilm ou encore la SODEC chez vous. Il y a une belle communauté de producteurs et de distributeurs prête à travailler sur des projets à très petits budgets. Mais effectivement, réunir de l’argent reste problématique et je crois que cela vient en partie du au fait que nous n’avons pas vraiment une structure d’entrepreneuriat lorsque nous voulons financer des films. On tente toujours un peu de se reposer sur le système de financement public et au niveau privé, c’est encore un peu compliqué. Mais il y a définitivement des gens très talentueux qui font des pieds et des mains pour améliorer les choses et qui produisent du contenu de grande qualité et ça, c’est encourageant.
HQ: Sur ces belles paroles, pour terminer, pouvez-vous nous glisser deux mots sur vos prochains projets?
JM: Oui, maintenant je m’attelle à compléter trois projets qui me tenaient vraiment à cœur. Je suis actuellement en post-production pour un documentaire intitulé Clapboard Jungle: Surviving the Independent Film Business, qui se veut une sorte de classe de cinéma en boîte dans laquelle on apprendra plusieurs trucs à travers des entrevues que je mène depuis de nombreuses années au près d’intervenants du milieu. Aussi, je travaille sur une adaptation en long-métrage d’un de mes anciens courts qui s’appelle Do You See What I See, que nous espérons tourner ce printemps et, finalement, on commence à envisager également le tournage d’un autre long-métrage qui s’appelle Mark of Kane qui est très emballant!
En attendant de manquez pas Lifechanger, disponible sur les plates-formes VSD depuis le 1er janvier.
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