Marianne Pon-Layus, artiste en arts visuels d’origine montréalaise, présente durant le mois de janvier sa nouvelle exposition La dernière fille, combinant ses deux passions: la peinture et l’horreur.
Horreur Québec a eu le privilège de s’entretenir avec elle pour l’occasion:
Horreur Québec: Pour ceux qui ne te connaissent pas, peux-tu nous expliquer ton parcours artistique?
Marianne Pon-Layus: Je travaille la représentation de la femme en peinture, c’est mon sujet en général. Techniquement, j’ai commencé pour être en opposition avec une façon traditionnelle de peindre les femmes dans la peinture classique, par exemple: une mère aimante et attentive ou un bel objet à regarder. Mes premières peintures mettaient donc en scène la femme agressive ou violente que je présentais comme sujet plutôt qu’objet. J’ai fait beaucoup d’auto-représentations pour avoir la même fille démultipliées se battant avec elle-même dans des peintures. Par contre, dernièrement, j’ai arrêté de me peindre parce que j’étais tannée, ça devenait trop répétitif et j’avais besoin de nouveauté.
J’ai toujours aimé les films d’horreur en général et j’avais même un groupe de personnes avec qui j’écoutais des films d’horreur presque une fois par semaine à une certaine époque, alors ça fait vraiment partie de ma culture. J’ai décidé de joindre les deux choses que j’aimais, donc, la peinture et les films d’horreur, et de représenter des femmes dans des films d’horreur qui sont entre victimes et agresseurs [sic]. Est-ce que j’ai répondu à quatre questions d’un coup? [rires]
HQ: [rires] C’est parfait! Alors c’est de là que vient l’inspiration pour ton exposition La dernière fille?
MPL: Exactement! La dernière fille, c’est le concept de la “last girl” en cinéma d’horreur, quand, dans un film où tout le monde se fait tuer l’un après l’autre par un psychopathe, c’est la plus maligne qui survit. C’est super sexiste, d’une certaine façon, parce que c’est la fille qui n’a pas de sexe et qui prend les meilleures décisions qui a le droit de survivre. Il y a quelque chose du contrôle de la femme. En même temps, elle est plus intelligente, habile et agile que des gros gars tough, alors d’un autre côté, c’est féministe; on est entre les deux messages. Je travaille tout le temps dans la dualité, mes peintures sont toujours dégradantes et empowerment [sic], victimes ou agresseurs. Je fonctionne bien dans les doubles sens. [rires]
HQ: D’où te vient cette passion pour le cinéma d’horreur?
MPL: Ça vient du fait que j’étais très peureuse enfant, et même adulte. Plus jeune, ma mère m’a beaucoup protégée de la télé et du cinéma [d’horreur]. À l’époque, c’était la pire chose que tu ne pouvais pas montrer à un enfant et comme c’est une bonne pédagogue [la mère de Marianne est éducatrice en garderie], elle s’est dit: «On va lui montrer juste des films pédagogiques».
Alors j’étais un petit peu en retard sur les autres sur les films d’horreur ou les choses effrayantes et quand j’ai commencé a en écouter, j’étais terrorisée! Même jeune adulte, j’avais vraiment peur de pas mal de tout. J’étais facilement effrayable [sic] et ça m’énervait. Alors je me suis fait une auto-thérapie qui consistait à vraiment écouter des films d’horreur et des choses qui me faisaient peur comme des fantômes ou la forêt ou les endroits sombres. C’était des choses qui me faisaient peur même dans la vraie vie. J’ai donc écouté plein de films là-dessus et ça a fonctionné, j’ai comme été désensibilisée. C’est donc mon premier rapport avec le film d’horreur: c’est thérapeutique [rires], ce qui est une bonne chose!
Après ça, il y a un amour pour le film de série B, pour des films qui sont faits avec amour par des gens qui ont un talent discutable, mais ça donne des choses vraiment intéressantes.
HQ: Si on revient à ton expo, tu l’as déjà présentée à Winnipeg et au Yukon. Quelle a été la réaction du public?
MPL: Étrangement, ça été une bonne réaction. J’avais peur que les personnes un peu plus âgées, qui sont souvent les gens qui vont dans des vernissages et qui sont membres des musées, ne comprennent pas. Mais finalement, la plupart trouvaient ça très ludique, amusant. Et c’est quelque chose qu’ils peuvent comprendre parce qu’il ne faut pas oublier que dans les galeries, il y a aussi toute une part de l’art qui est très conceptuelle ou minimaliste. Alors quand tu fais des choses qui sont figuratives et qui parlent de narration, les gens comprennent et ils aiment ça comprendre, ça les rassure [rires].
D’habitude, les gens comprenaient bien ce qui se passait. Je n’ai pas eu à beaucoup expliquer: ils voyaient les toiles et ils voyaient un peu la référence. Ils se posaient juste un petit peu de questions, des fois à savoir si j’allais bien, si ce n’était un appel à l’aide [rires]. Mais une fois que je leur expliquais que c’est juste un sujet que je j’aime aborder, ils trouvaient ça drôle. J’ai juste eu deux ou trois petites critiques sur le fait que c’était violent et que la violence c’est mal, mais… ça arrive tout le temps [rires].
HQ: Quels sont les films qui t’ont inspiré pour ton exposition?
MPL: Il y en a qui sont vraiment clairs et j’ai même pris les titres pour les toiles que j’ai faites, pour citer ma référence. Ce ne sont pas toutes mes toiles qui sont directement issues d’un film, mais il y a en a quelques-unes. Entre autres, il y a Mais ne nous délivrez pas du mal de Joël Séria, dont j’ai tiré trois toiles. C’est l’histoire de deux petites filles dans une école catholique privée qui décident de se revirer de bord et de vénérer Satan. Spoiler alert: à la fin, elles se mettent en feu sur une scène devant tout le monde après avoir récité un poème de Lautréamont, car elles ont commis des choses atroces. J’ai trouvé génial et inspirant.
Sinon plus récemment, il y a Dig Two Graves, Prevenge, Cam, Grave, The Blackcoat’s Daughter et Veronica. Ce dernier n’est pas vraiment bon, mais il y a de belles images et le personnage est parfait pour ma démarche, car elle est à la fois victime et agresseur [sic].
HQ: Tu t’inspires donc de films qui ne sont pas nécessairement bons, mais qui sont visuellement intéressants?
MPL: Oui et de toute façon, en général, je vais changer l’image. Ça ne sera jamais clairement l’image du film, mais plutôt une reconstruction. Il faut que l’image m’allume. S’il y a une ambiance creepy et qu’une image me marque, je vais la reconstruire complètement. C’est toujours retravaillé sous un nouvel angle pour que ce soit intéressant au niveau de la peinture.
HQ: Qu’est-ce que tu dirais à des gens qui ne sont pas habitués de visiter des galeries, mais qui adore l’horreur, pour les inciter à voir ton expo?
MPL: Les gens sont souvent gênés d’assister à des vernissages, car ils croient que tout le monde se connaît et qu’ils ne seront pas intégrés. Pour cette exposition, il risque d’y avoir une petite communauté d’amateurs de films d’horreur puisque j’ai invité des gens qui en consomment. De plus, pour quelqu’un qui est moins habitué à l’art contemporain, mais qui aime ce genre de films, ce sera intéressant de jouer le jeu et d’essayer d’identifier la source qui a inspiré la toile, et peut-être d’amorcer une réflexion sur le cinéma de genre.
HQ: Pour terminer, peux-tu nous nommer tes films d’horreur préférés?
MPL: Possession d’Andrzej Zulamski: parce que c’est un chef-d’oeuvre de l’horreur, pour son personnage féminin fort, incompréhensible. Il y a 56 sujets dans ce film et ils sont tous bien développés.
The Blackcoat’s Daughter d’Oz Perkins: une histoire d’exorcisme qui renouvelle le genre et pour, encore, la présence de femmes inquiétantes.
Otto; or, Up With Dead People de Bruce La Bruce: c’est un zombie soft-porn, mais c’est vraiment bon [rires]. C’est weird! Et ça fonctionne. J’aime le côté revendicateur de Bruce La Bruce.
Luz de Tilman Singer: parce qu’on n’en parle pas assez et que c’est l’un des meilleurs films que j’ai vus. En plus, c’est un film étudiant: j’en reviens pas!
Suicide Club de Sion Sono: C’est vraiment le genre de film qui te viole le cerveau. Tu n’es plus le même après. À chaque fois que je coupais des légumes, les images du film me revenaient.
L’exposition La dernière fille sera présentée du 10 janvier au 2 février à la Galerie McClure du Centre des arts visuels au 350 ave. Victoria à Montréal. Vous êtes invités à une visite guidée par Marianne Pon-Layus le 10 janvier à 17h. Le vernissage se tiendra par la suite à compter de 18h.
Pour plus d’informations, vous pouvez consulter le site du Centre des arts visuels ou via l’événement Facebook.
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