Si vous suivez le festival de Fantasia actuel, vous avez possiblement entendu parler du film allemand Luz, un coup de cœur par l’ensemble de nos collaborateurs couvrant l’événement.
C’est avec un grand plaisir qu’Horreur Québec est allé rencontrer le réalisateur de l’oeuvre, Tilman Singer:
Horreur Québec: Luz est votre premier film et c’est littéralement un chef-d’œuvre. Vous avez une maîtrise totale du langage filmique. Vous avez expliqué qu’il s’agissait d’un film scolaire, mais pouvez-vous nous parler davantage de la genèse du film?
Tilman Singer: Merci beaucoup. Si je pense au film, ce que j’aurais envie d’ajouter c’est qu’il s’agit d’une histoire très simple, mais raconter d’une manière extravagante. J’ai toujours écrit avec une grande liberté toutes les idées qui me venaient à l’esprit. Dans ma rédaction, j’étais conscient de nos limites, et de ce que nous avions. Par exemple, nous n’avions qu’un seul endroit où filmer. À un certain niveau, je pourrais dire que j’ai travaillé avec une approche pratique sur mon histoire. Je savais qu’il s’agissait d’un film étudiant et qu’on devait tourner avec peu de moyens, mais j’ai essayé de créer en utilisant mon propre cosmos intérieur des images démentes que j’avais en tête. Parfois, les contraintes nous poussent à un différent niveau de créativité et je me suis inspiré de plusieurs films qui me tiennent à cœur.
HQ: On croit y percevoir l’influence de Żuławski ou même de Cronenberg, mais qui sont justement vos inspirations?
TS: Réaliser des films pour moi est attraper au passage des idées que j’ai moi-même vu dans d’autres longs-métrages. Je vole ces idées. En effet, il y a possiblement du Żuławski et du Cronenberg dans mon film. Je crois que j’ai loupé quelques-uns de ses premiers, comme Rabid. Un ami à moi a vu Luz et il m’a félicité de la manière avec laquelle je m’inspirais de ce film, mais je ne l’ai pas vu! Un de mes réalisateurs favoris est Paul Thomas Anderson, mais je doute que mon film puisse faire penser aux siens. Il y arrive parfois que nos inspirations ne paraissent absolument pas à l’écran.
HQ: En êtes-vous certain? Les jeux de montage, l’univers chaotique, la caméra hypnotique et certains ajouts symboliques. Je pense pouvoir lire certains liens.
TS: Peut-être, mais je ne pense pas que ce soit si visible.
HQ: Si on parlait justement de symbolique et de lecture multiple qu’on peut faire d’un film; je ne veux pas vous demander d’explications plus ennuyantes qui pourraient réduire le champ des possibles du film. Pour vous, brièvement, qui est Luz?
TS: Mon interprétation, si ambiguë soit-elle, c’est que c’est une jeune fille qui a étudié dans un collège chilien. Elle a peut-être eu un intérêt amoureux à l’école et a été jalouse. Cela a pu la pousser à expérimenter des choses plus démoniaques. L’une de ces entités l’a trouvée intéressante à suivre et est tombée amoureuse d’elle. Le mot amoureux n’est pas entièrement juste, mais le démon a tout fait pour rester avec elle.
HQ: Mais au-delà de l’histoire plus linéaire, on peut quand même y lire une multitude d’interprétations. Est-ce que pour vous le démon du film s’associait à une idée ou à une émotion précise?
TS: Oui, bien sûr. Je ne dirais pas que c’est l’amour. Si j’avais à pointer du doigt un sens ou un sentiment pour aborder mon démon, ce serait le désir ou la luxure. Ce n’est pas nécessairement des actions ou des sentiments négatifs, mais ce monstre est destructeur. Il est quelque chose de toxique et il doit penser que ce qu’il ressent est de l’amour.
HQ: Autre fait qui m’a excessivement fasciné dans votre film, c’est la difficulté à l’ancrer dans une période précise. La casquette du personnage rappelle celles portées dans les années 1990, mais les outils des policiers semblent dater encore plus. Je suis certain que toute cette confusion sur la temporalité était un jeu de votre part.
TS: Bien sûr (rires). J’ai eu du plaisir à jouer avec différents éléments, dont les vêtements. Je voulais aussi créer une sorte d’ambivalence. Je dirais aussi que de mon côté, ce qui était important c’était de me dire que cette histoire se déroulait dans le passé. L’intrigue se rapporte en quelque sorte à ma femme lorsqu’elle était enfant et je voulais que le film puisse avoir l’air de se dérouler à son époque. Mais nous avons volontairement joué avec les années. J’aimerais faire un film qui se passerait au présent.
HQ: Vous avez tourné en 16 mm et le côté granuleux de l’image combiné aux éclairages m’a réellement rappelé certains gialli italiens.
TS : Oui, J’aime beaucoup les gialli. Dario Argento a eu une grande influence sur le cinéphile en moi. Je ne pourrais pas dire que je connais chacun de ses films par cœur, comme certains, mais Suspiria était somptueux. Juste cette manière d’exprimer les couleurs et sa façon de focusser sur le langage cinématographique. Personne n’avait fait ça à ce point avant. Cela m’a beaucoup touché, et c’est devenu un peu mon approche. Je voulais essayer de trouver un langage cinématographique.
HQ: Le travail sur le son est impeccable dans le film, et je me demandais s’il était le résultat de certaines expérimentations lors du tournage ou en post-production ou si chaque détail était pensé à l’avance.
TS: Absolument tout était planifié. C’était dans mon scénario. C’est venu instinctivement lors de l’écriture et c’est quelque chose que j’aimerais expérimenter à nouveau.
HQ: Quand on atteint une telle qualité avec un premier film, est-ce que ça ne devient pas un peu inquiétant de se lancer dans le second?
TS: Je vous avoue l’être un peu. Je me sens si reconnaissant. Parfois, je me dis: «Oh merde, qu’est-ce que je vais faire?». Je trouve intéressant aussi de me lancer et de me dire: «Je peux quand même faire ce que je peux.» Si les gens n’aiment pas, ils vont peut-être me pardonner et risquer un long-métrage ultérieur.
HQ: À quoi doit-on nous attendre avec ce prochain projet?
TS: Ce sera de l’horreur et du surnaturel, mais j’aimerais plonger aussi dans le drame familial. Je vois ça comme une continuité de ce que j’ai commencé à expérimenter.
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