Le cinéaste d’Afrique du Sud Ryan Kruger nous a proposé un premier long-métrage Fried Barry dans le cadre de cette édition 2020 de Fantasia.
Qu’on adore ou qu’on déteste l’exploration de la race humaine qu’on propose, cette visite guidée de la ville portuaire de Cape Town n’a laissé personne indifférent. Il faut dire que les différents épisodes traversés par ce camé, qui est l’hôte d’un extra-terrestre, ont de quoi en perturber plusieurs.
Horreur Québec a eu envie de parler avec le réalisateur pour essayer de mieux comprendre son film:
Horreur Québec: Comment t’es venue l’idée de transformer ton court-métrage en un long?
Ryan Kruger: En 2015, j’ai fait un court-métrage de 3 minutes qui mettait en scène Barry. Je n’ai jamais pensé au départ que ça pourrait devenir un long-métrage. C’était un court-métrage expérimental. J’ai essayé de réaliser des longs-métrage, mais ça n’a jamais fonctionné.
HQ: Après ces insuccès, tu as donc pensé qu’il fallait revenir avec le personnage de Barry?
RK: J’ai pensé que ça pourrait être intéressant, et formateur. Ce qu’il faut aussi savoir, c’est que Gary Green, mon acteur, n’a aucun entraînement. J’ai rédigé en trois jours quelques situations de départ pour un tournage de 28 jours. Chaque jour, nous improvisions. Les gens devaient travailler en harmonie avec Barry. Je lui faisais prendre certaines mimiques et faire certaines grimaces.
Tous les acteurs improvisaient outre quelques dialogues principaux. On avait donc une idée de planifiée, mais on arrivait par exemple au dépanneur et on inventait sur place des situations. Dans la scène de l’enlèvement, par exemple, je savais que je voulais voir l’extraterrestre, il y avait donc plus de détails techniques à planifier.
C’était comme un road trip movie où Barry devenait la voiture (rires). Nous avons tourné 28 jours, mais étendus sur un an et demi. J’avais donc le temps de réfléchir et je dirais que le schéma du film n’avait comme objectif que de rendre inconfortable. Cette manière de tourner m’a permise d’accentuer certaines choses. Bien sûr, je voulais un film imprévisible et divertissant. Si quelqu’un se lève pour aller se chercher à boire, je voulais que la personne se dise: «Mais qu’est-ce qui est arrivé pour que Barry en soit là?».
HQ: Malgré sa facture de divertissement, le film fait quand même réfléchir sur ses sujets tabous comme la maladie mentale ou la dépendance. Ce n’est pas un peu effrayant pour un premier film d’insérer autant de thèmes sérieux?
RK: Pas vraiment. C’est un film sombre sur la noirceur de la société. C’est certain qu’il y a des thèmes sérieux qui se cachent dans un propos plus ludique. Mon film raconte l’histoire d’un junkie possédé par un extraterrestre. Les sous-textes sont très présents, j’en conviens. Il y en a dans la relation qu’entretient Barry avec sa femme. La drogue peut tout détruire. J’aimais cette idée de faire un film difficile, mais avec des touches d’amour, d’horreur et de science-fiction.
HQ: Dans chacune des situations abracadabrantes du long-métrage, on dirait que tu normalises Barry en le confrontant à des gens plus bizarre et dérangés que lui. C’était volontaire?
RK: Absolument. Les gens assimilent que Barry sera bizarre lorsqu’ils le voient comme un drogué ou un extraterrestre. Mais ça les troubles de voir les gens autour agir de manière encore plus étrange. J’ai aussi l’impression qu’en minimisant les dialogues de Barry, l’histoire allait mieux fonctionner en ce sens. Il se promène sans parler et ses réactions restent silencieuses. Les autres parlent comme le commun des mortels et ça accentue peut-être le côté bizarre. Barry s’humanise de plus en plus.
HQ: Le film est tourné en deux langues. Est-ce que tu avais quelque chose en tête en faisant ce choix?
RK: Les gens viennent souvent tourner en Afrique du Sud. Nous avons développé notre propre industrie, qui grandit lentement. Peu proposent ce mélange de langues, qui traduit notre réalité. Je voulais que Fried Barry soit un long-métrage d’Afrique du Sud à 100%. Je voulais notre accent et assimiler un peu d’africain à l’anglais. La femme de Barry lui crie après en Afrikaans.
HQ: Est-ce que certains cinéastes ou films t’ont inspirés particulièrement?
RK: Ma plus grande inspiration pour tout ce je tourne, en particulier Fried Barry, c’est le cinéma des années 1980, car je l’adore. Sinon, il y a une touche de One Flew Over the Cuckoo’s Nest, Explorers, E.T. et Close Encounters of the Third Kind. Je voulais faire un film cool et la manière d’y parvenir est de s’inspirer de ceux qu’on a trouvés bons. C’est une question de ton aussi et d’ambiance. Les geeks aiment retrouver des références et je leur ai offert un E.T. sur le crack. On peut faire un film qui fera parler les gens. S’ils adorent, comme toi, c’est tant mieux, mais s’ils détestent, ils vont moins en parler. C’est l’indifférence qui effraie.
HQ: En même temps, si tu tournes un film avec autant de tabous et de passages plus délicats, tu n’as jamais eu peur que la censure et les exploitants des salles de cinéma ne malmènent ton film?
RK: Il y a certains pays qui n’aiment pas la sexualité entre personne de même sexe, ou même tout contenu gai. Pour d’autres, il ne faut pas montrer la consommation de drogue. Il a fallu enlever certains plans pour certains pays, mais ça ne me dérange pas vraiment. La trame du film n’en devient pas si différente.
HQ: Est-ce qu’au final le message de Fried Barry n’est pas de dire aux gens qu’ils devraient voir le monde avec les yeux de cet extraterrestre pour comprendre la bêtise humaine?
RK: Il y a plusieurs métaphores qui convergent vers ta lecture du film. Il est certain qu’on parle du regard d’un étranger. Les gens détestent Barry au début et finissent par le trouver amusant. La réalité, c’est que des atrocités comme celles du film arrivent réellement. J’imagine déjà des spectateurs se dire qu’ils ne visiteront jamais Cape Town après avoir vu mon film. En fait c’est une très belle ville trop souvent montrée sous des angles lustrés. Je voulais faire l’inverse. Dans chaque ville il y a des coins moins rassurants et des moments moins rassurants. C’est assez rare qu’il soit sécuritaire de partir prendre une marche seul en pleine nuit. Même des endroits très calmes deviennent à risque.
HQ: C’est comment pour un cinéaste qui lance son premier long-métrage de le voir offrir à la maison lors d’un festival confiné?
RK : J’aurais adoré être à Fantasia et voir les réactions des gens. C’est ennuyant, mais je me dis qu’en même temps, plus de personnes pourront y avoir accès. À la fin de la journée, ce qu’un réalisateur souhaite, c’est qu’on voit son film. Et les réponses sont positives. Je reçois des centaines de courriels. C’est mon premier film et je trouve ça super. Je n’avais aucun studio pour me restreindre, alors je remercie mon équipe. C’est une forme de salaire pour moi.
HQ: Il faut s’attendre à quoi après un film aussi déjanté que Fried Barry?
RK : Mon prochain film traitera du voyage dans le temps. Je ne peux pas en dire beaucoup plus.
Fried Barry est disponible sur demande sur la plateforme de Fantasia jusqu’au 2 septembre et nous vous encourageons à découvrir le film.
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