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«Frontières»: hantise et cartographie de l’âme avec Guy Édoin [Entrevue]

Le cinéaste Guy Édoin a peuplé le paysage du cinéma québécois d’œuvres uniques et audacieuses telles que Marécages et Ville-Marie. Il nous revient cette année avec son cinquième long-métrage, Frontières, un drame mettant à nouveau en vedette Pascale Bussières et où surgira bientôt le fantastique et le surnaturel.

Horreur Québec a profité de son passage à Trois-Rivières pour discuter avec lui et essayer d’en savoir plus.


Frontières affiche film

Horreur Québec: Frontières, le titre du film, est juste parfait. D’où vous est venue l’idée de ce titre qui évoque autant la géographie que d’autres types de frontières?

Guy Édoin: Le film a eu beaucoup de titres avant que je m’arrête sur Frontières. Il s’est appelé Trois sœurs, puis ensuite Territoires. Par la suite, le scénario se précisait et je me suis arrêté sur celui-ci. Le titre englobe la frontière canado-américaine, celle entre le bien et le mal, entre la folie et la réalité. Je me suis ensuite mis à jouer à l’écran avec les frontières.

HQ: Vous avez souvent mentionné que vous tournez vos films dans la ferme familiale, et je me demandais si c’était différent pour vous d’y créer de l’horreur que du drame? Une scène m’a rappelé Halloween, et c’est très différent de Marécages, par exemple.

GÉ: Ça n’a pas vraiment été différent que de tourner des scènes dramatiques. J’adore le cinéma en général, mais l’horreur en fait partie. C’est vrai que j’ai cité Halloween, mais aussi la hache de The Shining. Je cite beaucoup de longs-métrages, mais le défi en horreur c’est de travailler l’ambiance. En même temps, l’horreur fait partie de mon ADN. J’en consomme beaucoup. Il y a aussi The Others dans mon film, tout comme The Innocents de Jack Clayton ou même The Night of the Hunter. Ces films nourrissent ma culture cinématographique personnelle. La nuisette que porte Pascale dans Frontières aurait pu être portée par Nicole Kidman ou Deborah Kerr.

Frontières image film

HQ: Vous dites que vous avez déjà vécu des expériences étranges ou surnaturelles dans cette maison. Est-ce qu’il est arrivé des événements inquiétants durant ce tournage?

GÉ: Pas pour ce film-ci. Quand j’ai acheté la maison, il s’est passé certaines choses. Ce que Micheline Lanctôt vit dans le film, je l’ai vécu. Est-ce que j’y crois vraiment ou non? Je ne sais pas. Je ne dirais pas que ma maison est hantée, mais qu’elle est habitée. Chez nous, personne ne veut coucher au deuxième étage. Mon bureau est là [rires]. Par contre, quand on y a tourné mon deuxième court-métrage, Les eaux mortes, il y avait une très longue scène d’amour entre Gabriel Gascon et Monique Miller. C’était relativement explicite pour des personnes plus âgées. Nous étions rendus très loin dans la scène. Peut-être trop, et un orage a éclaté. Il a fallu arrêter le tournage et le lendemain, ma grand-mère m’a dit: «Tu sais que ton arrière-grand-père est mort dans la chambre et dans le lit où vous avez tourné?» Je me suis dit que mes aïeuls me disaient: «Arrête, je pense que tu l’as, ta scène. Pas besoin d’exagérer.»

HQ: Dans vos films, malgré un certain hommage à la campagne, on sent qu’elle est dure et exigeante pour ceux qui y travaillent. C’est comme si derrière la beauté de la nature, il y a toujours une menace qui sommeille. Il y a beaucoup de préjugés? Aimez-vous ou non la campagne?

GÉ: J’y habite. J’ai fait mon retour à la terre. Ce n’est pas nécessairement négatif, mais je tente de dépeindre la réalité du monde agricole.

HQ: Un cinéphile pourrait facilement croire que Frontières est une sorte de suite à Marécages. Les personnages de Marie et Diane campés par Pascale semblent emboîtés l’un dans l’autre.

GÉ: Je pense que c’est plusieurs facettes du même prisme. C’est involontaire, mais les films sont un peu le miroir l’un de l’autre. Très tôt, Pascale et moi on en a parlé. En même temps, je retourne un film avec elle, et encore en campagne. Les gens vont forcément faire le lien, et c’est extraordinaire après dix ans.

HQ: Est-ce que Pascale a été impliquée tôt dans le film?

GÉ: Impliquée dans le projet, c’est plus tard. Impliquée dans le scénario très tôt. Dans mes premières versions, je pensais à elle. Le retournement au deux tiers du film n’était pas prévu. Je ne m’en allais pas du tout dans cette direction. C’est comme si j’ai fait le chemin du personnage. Sérieusement, j’étais dans mon auto quand j’ai eu une révélation, et je me suis mis à pleurer comme un veau. J’ai dû arrêter mon char. C’est comme si j’avais découvert la vérité en même temps que mon personnage. À partir de ce moment-là, le choix de Pascale s’est imposé. Parce que c’est notre troisième film ensemble. Et qui d’autre aurait pu jouer ça. Pour moi, Pascale c’est l’une des plus grandes actrices au monde. Je n’ai envisagé personne d’autre. Ça prenait de l’humilité. Il y a le talent, oui, mais il faut être prêt à plonger aussi.

Frontières images film

HQ: On n’a aucunement l’impression que le film tourne autour de cette révélation. Il ne semble aucunement construit autour de ça, et c’est peut-être ce qui fait qu’on n’y voit pas un piège pour les cinéphiles.

GÉ: Parce que je ne le savais pas moi-même. Ce que je voulais et qui était important pour moi, c’est que les trois sœurs ressemblent à de vraies personnes et qu’elles traversent des enjeux qui se répondent les uns les autres. Jamais dans le film je ne mens au spectateur et jamais je ne prends un raccourci.

HQ: Envisagez-vous de replonger dans le fantastique ou l’horreur pour un autre film

GÉ: Je ne sais pas. Le thriller m’attire beaucoup. Je voulais faire un film plus grand public avec Frontières. Un des problèmes, c’est aussi que l’horreur n’est pas un genre qu’on finance facilement. Si j’arrive avec un film d’horreur «pur jus», je ne sais pas si au Québec, ça passerait. Pour aller taquiner l’horreur, il faut passer par le drame. En même temps, les institutions changent récemment.


Frontières a pris l’affiche le vendredi 3 mars dernier à travers le Québec.

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