Mine de rien, le Québec a sa petite histoire de cinéma extrême. Il y a eu Martyrs du français Pascal Laugier, tourné au Québec avec l’aide de nombreux techniciens locaux. Bien qu’on évoque souvent la présence de Xavier Dolan dans le film, exception faite des deux actrices principales, le casting entier est composé de québécois.es nous servant leur plus beau français international. On peut également penser à Territoires, lui aussi signé par un réalisateur français (Olivier Abbou) venu tourner dans la région de Montréal et profiter du talent local. On y retrouve d’ailleurs Roc LaFortune en douanier sadique qui fait passer un très sale quart d’heure à une bande de jeunes fraîchement débarqués des États-Unis.
Et il y a bien sûr le sujet de cette critique, Subconscious Cruelty. D’abord pensé comme un court-métrage inspiré des méthodes de production de l’allemand Jorg Buttgereit, tourné indépendamment durant la majorité des années 90 et montré pour la première fois à l’an 2000, ce titre est aujourd’hui culte auprès des amateurs d’un cinéma dépravé qui ne retient pas ses coups. La production et ses nombreuses péripéties (le film a été saisi par des douaniers horrifiés de son contenu) ont d’ailleurs été détaillées dans une entrevue épique réalisée par Offscreen en 2001.
Subconscious Cruelty a été écrit et réalisé par le montréalais Karim Hussain, qui a commencé à le tourner à l’âge de 19 ans. Il a été produit par Mitch Davis, figure phare de la communauté horrifique québécoise par sa longue implication avec le festival Fantasia. Les deux collaborateurs souhaitaient ramener le politique dans l’horreur au courant d’une décennie assez tranquille à ce chapitre.
Le long-métrage prend la forme d’une anthologie qui rassemble quatre «segments» reliés par le thème suivant: Qu’arrive-t-il lorsque l’hémisphère droit du cerveau (qui gouverne émotions et désirs) prend le dessus sur l’hémisphère gauche (responsable de la raison et de la morale)? Que se cache-t-il sous le mince vernis du civisme?
N’employant presque aucun son diégétique, le film alterne entre voice-overs et passages où l’excellente trame sonore de Teruhiko Suzuki prend toute la place. Subconscious verse dans le surréalisme et rappelle par exemple Alejandro Jodorowski à son plus scabreux. C’est un film de peintre, qui favorise les textures et les sensations.
Le premier segment du film est le plus imposant, puisqu’il occupe la moitié de sa durée. On est jetés dans une histoire psycho-sexuelle tordue, qui culmine sur une scène tellement trash qu’elle a fait la renommée du film à elle seule. Ce premier segment est d’ailleurs le seul à s’appuyer sur une narration en voice-over, pas toujours convaincante au goût de l’auteur de ces lignes. La deuxième moitié du film, qui rassemble les autres histoires, laissera quant à elle parler ses images. Mêlant sexe et violence, les différentes intrigues du film versent dans une horreur corporelle abstraite à la fois dérangeante et poétique. La lumière est excessivement bien travaillée et produit des images fulgurantes. Les effets spéciaux sont incroyables pour un film disposant d’un budget avoisinant le 100 000$.
L’usage de la langue anglaise et une distribution assez minimale semblent avoir empêché Subconscious Cruelty d’être pleinement embrassé par la communauté horrifique québécoise. Il s’agit pourtant du film d’horreur le plus radical à avoir été produit dans la province. Si vous avez le coeur bien accroché et la chance d’y jeter un oeil, n’hésitez pas!
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