En 2014 paraissait Les Jaunes, le tout premier long métrage de Rémi Fréchette, un film de zombies à petit budget qui a rencontré un certain succès dans les festivals.
D’abord conçu comme une websérie, la version long métrage du projet est maintenant disponible pour la toute première fois et gratuitement en ligne. Dix ans après sa conception, le cinéaste québécois s’apprête d’ailleurs à lancer son second long métrage indépendant, Tie Man, présenté en grande première au festival SPASM à Montréal.
L’occasion était donc parfaite pour s’asseoir avec le réalisateur et revenir sur le projet qui a marqué ses débuts.
Horreur Québec : Les Jaunes devait être une websérie initialement?
Rémi Fréchette : Oui. Si je pars de la genèse, l’idée a été initiée avec mon compositeur Hugo Mayrand, qui est un ami de longue date. On était devant un petit joint et une bière. On voulait faire un projet plus gros, de plus grande envergure. Après avoir fait tellement de courts métrages — déjà à 20 ans, j’en avais fait beaucoup à KINO — et on a commencé à brainstormer avec ce qu’on avait autour de nous. Qu’est-ce qu’on aimerait faire? On se disait : « les zombies et les films de bibites, ça serait vraiment un bon trip à aborder ». Alors on a mélangé les deux et on a commencé à bâtir une petite narrative avec ça. C’est après que j’ai embarqué mon ami David Émond-Ferrat pour co-scénariser. On a commencé à construire l’univers, mais finalement, ça a pris plusieurs années à écrire et à promener le projet.
Bref, la genèse, c’était ça. C’était juste un trip de vouloir faire un projet plus gros que ce qu’on faisait d’habitude. On l’a abordé comme une websérie parce que c’était le début des webséries, et ça facilitait la diffusion. Mais moi, ultimement, je voulais faire un film.
Horreur Québec : Comment ça a été diffusé au final?
RF : On était censés aller sur une petite plateforme québécoise, kebweb.tv, qui est défunte aujourd’hui. Finalement, on l’a envoyé à Tou.tv juste pour tester le terrain. C’est Nicolas Handfield, le responsable de la programmation, qui a vu ça. Il capotait qu’on ait fait ça sans financement. C’est lui qui nous a donné le dernier push pour qu’on close. Tou.tv l’a acheté contre toute attente. L’argent de la licence a payé pour finir le film. Donc tout le remix qu’il a fallu faire, les envois en festivals et tout ça, l’argent de Tou.tv a servi à ça.
Il a été diffusé en 2013. Après ça, on a pris six mois pour tout remonter. En 2014, on a sorti le film, qui a eu sa première montréalaise à Fantasia. Mais il s’est aussi promené. On est allés à Bruxelles et au Mexique avec. On a fait plein de festivals dans plusieurs pays.
Horreur Québec : Tu avais 20 ans. Un premier long métrage, c’est quand même assez ambitieux à cet âge-là.
RF : J’avais 20 ans quand on a commencé à l’écrire, parce que ça a pris un ou deux ans de préparation et de réflexion. On finissait nos années d’études à Concordia. Plein de gens de ma cohorte ont gravité autour de ce film-là, comme Vincent Allard et Laurence Turcotte Fraser, qui ont fait la photo ensemble et Pascal Plante et Katerine LeFrancois qui l’ont produit. Tous des gens que j’ai rencontrés dans ma cohorte à Concordia.
Rendu à la fin, j’ai montré le projet à ma prof de Concordia avec qui j’avais eu beaucoup de conflits juste avant qu’on tourne. Je lui ai demandé ce qu’elle en pensait et elle m’a dit : « Fais pas ça, tu vas te planter. Tu ne réussiras jamais à te rendre au bout de ça. » Je me suis dit : « OK, je vais le faire quand même. » On l’a fait, et ça a marché. L’été où on tournait a été le mois entre la fin de notre université et le début de notre vie professionnelle. C’était le projet de transition qui nous a fait passer vers le milieu professionnel.
Horreur Québec : Étais-tu stressé de te lancer là-dedans en tant que réalisateur?
RF : Oui! En fait, je pense que j’étais stressé au quotidien, surtout parce qu’avant ça, je réalisais de plus petits projets. Ça avait commencé avec une gang de chums et soudainement, il y avait des gens qui se greffaient de plus en plus à l’équipe. Puis là, c’est devenu une grosse christie de gang.
Ça fait des gros plateaux! On avait un truck d’armée, des effets spéciaux. Moi, je réalisais. En arrivant sur le plateau, je me disais : « Hey, osti, c’est devenu gros cette affaire-là! » J’ai perdu le contrôle plus ça a pris de l’ampleur. Tout le monde était vraiment enthousiaste et s’est joint au projet sans se poser de questions. Tout le monde était là pour les bonnes raisons.
Horreur Québec : Tu as quand même une distribution impressionnante : Jean Marchand, Jason Roy-Léveillé, Debbie Lynch-White, Fayolle Jean et Micheline Lanctôt. Comment as-tu réussi à recruter ces gens-là?
RF : Au début, pour les rôles principaux, on s’est fait une sorte de wishlist. Il y en a plein qu’on n’a pas eus. Pour la propriétaire de l’épicerie au début, c’était Danielle Fichaud qu’on avait en tête, mais elle était occupée et trop connue. On a donc cherché des castings similaires et on est tombé sur Louise Malouin pour le rôle. C’est devenu quelqu’un que j’adore; je l’ai impliquée dans plein de projets aussi. Ce sont de belles rencontres comme ça…
Les plus connus, c’est ceux qui ont dit oui, finalement. C’était des contacts. Comme on avait une grosse équipe, tout le monde connaissait quelqu’un qui connaissait quelqu’un. Jason Roy-Léveillé connaissait David Émond-Ferrat, qui a co-écrit le scénario et fait la direction artistique. Ils ont grandi ensemble à Saint-Bruno, et David a demandé à Jason s’il voulait venir tripper avec nous. Jason a dit oui.
Debbie n’était pas encore connue, mais c’est une amie de Mathieu Handfield avec qui elle jouait un couple. Mathieu l’a proposé à Debbie, et elle a embarqué. Fayolle, c’était un coup de chance, parce que moi, je tripais sur lui quand j’étais jeune, dans Km/h et dans des sitcoms québécois. J’avais pensé à lui comme une force tranquille pour le personnage de Fayolle, et il a accepté.
Micheline, c’était mon enseignante. Pour payer Les Jaunes, Pascal, Katerine et moi avons fait des bonus Web pour la première saison d’Unité 9. Ça nous a aidés à financer le projet. On est allés filmer des capsules Web où les détenues parlaient à la caméra comme si elles étaient en prison depuis longtemps. Pascal faisait le son et on a fait ça pour financer le film. On a rencontré Jean Marchand à travers ça et il a accepté de faire le dernier ou l’avant-dernier reshoot avec Micheline.
Pierre Louis, l’acteur principal, a maintenant une grosse chaîne YouTube de jeux de société appelée Es-tu Game?. C’est devenu gros au Québec. Mélissa Marlo, l’autre actrice principale, est à Québec. Elle fait beaucoup de théâtre et est connue dans ce milieu-là. C’était une équipe élite en début de parcours, j’ai vraiment eu de la chance. En tant que réalisateur, tu es chanceux quand tu trouves les bonnes personnes pour t’entourer.
Horreur Québec : Ça a clairement fonctionné. Je veux dire, le film existe, puis il est bon.
RF : Ouais. Je suis content que ça marche encore. En fait, il y a des choses qui me trottent dans la tête parce que le format websérie, le manque de moyens et l’innocence qu’on avait à l’époque font qu’il y a beaucoup de choses que j’aurais abordées différemment. La fin, surtout, qui est une fin de série et pas vraiment une fin de film, me dérange un peu. Je voulais vraiment ouvrir sur une suite, avec l’idée que ce n’était pas tout réglé et qu’on pourrait partir sur une deuxième saison. Avec le recul, je regrette de ne pas avoir donné une conclusion plus solide. J’aurais dû régler quelques affaires en plus. Mais bon, à l’époque, c’était ça. Je n’avais pas ce recul-là.
Horreur Québec : Aussi, ce que j’ai bien aimé, c’est que « les jaunes » développent un peu leur propre vie et leur mini-société au fil du film. J’ai trouvé ça très original. Comment aurais-tu fait évoluer ça pour une suite?
RF : En fait, la deuxième saison était censée se passer à Montréal. L’idée était que l’équipe sortait du bois et tombait sur un diner, puis finalement l’armée débarquait et les amenait dans une base souterraine à Montréal où ils faisaient des tests. Mais dans cette base, ça partait en vrille, un peu comme dans Day of the Dead. Finalement, les jaunes s’échappaient et là, c’était la ville de Montréal. On passait de la ville fictive à la vraie ville. Paul, le jaune principal, revenait sous une autre forme et squattait l’usine Five Roses pour commencer à empaqueter des cerveaux à envoyer partout dans le monde.
En parallèle, il y avait les survivants qui essayaient de réparer Tom et de le soigner. Ce qui était cool, c’était que Tom avait encore un cerveau à l’intérieur, mais qui était inactif, donc les gens pouvaient interagir avec les zombies d’une manière différente. Tom devenait un peu invincible, mais en même temps, il y avait le côté jaune qui reprenait le dessus. C’était toute cette mythologie. Le troisième volet était moins développé, mais c’était dans un univers postapocalyptique où la petite fille du premier film devenait une survivante. Je pense à ça maintenant avec Tie Man, où il y a plein d’éléments qui sont un peu revenus, comme les clones qui reprennent un peu la vie des citoyens, similaire aux jaunes. C’est inconscient, mais ce sont des thèmes que j’aime beaucoup, exploités différemment. Ça vient du cinéma de mon enfance.
Horreur Québec : Justement, quelles étaient les inspirations pour Les Jaunes?
RF : On avait fait une capsule Web avec les cinq films qui ont inspiré Les Jaunes. C’était The Mist, Gremlins, Evil Dead 2, Invasion of the Body Snatchers (1978) et Shaun of the Dead. Gremlins était vraiment la principale inspiration, avec l’idée de la petite ville envahie par des bibites et le côté déjanté. Les personnages essaient de se prendre un peu au sérieux dans des situations complètement absurdes.
Horreur Québec : L’un des meilleurs éléments du film est la direction artistique, dont les décors et l’utilisation des couleurs. Comment as-tu préparé tout ça?
RF : C’est une équipe. On vient tous de l’école KINO, finalement. C’était vraiment une question de trouver des solutions à des problèmes. Par exemple, pour les militaires, on avait un fusil qui avait de l’allure, mais c’est quand même difficile d’emprunter des armes gratuitement. David est allé au Dollarama, a acheté plein de bébelles et s’est dit qu’on allait juste les utiliser pour donner une silhouette aux guns. Les chargeurs, c’est des boîtes de voyage pour savons, les viseurs, des tubes de brosses à dents et les canons et les gâchettes, des tuyaux d’arrosage. Il a collé tout ça un pistolet en plastique et tout a été peint en noir. Donc, tous les fusils militaires sont des affaires bricolées avec du duct tape, mais avec la façon dont on les a filmés et le génie de David, on avait six guns et personne ne pouvait remettre ça en question.
La même chose pour les drapeaux nazis. Faire imprimer des drapeaux nazis, c’est déjà bizarre, mais en plus, c’est super cher. L’équipe de direction artistique a peint les logos à la main sur des tissus rouges. Dans le film, on les voit de loin, donc on ne remarque pas que c’est peint à la main, mais de près, on peut voir les lignes faites au pinceau. Mais c’est quand même fou ce qu’ils ont réussi à faire. Le lab est impressionnant, avec tous les objets qu’ils ont trouvés et ramassés. On a essayé d’éviter de louer des trucs parce que ça coûte super cher, sauf pour des éléments vraiment spécifiques.
Horreur Québec: Même les scènes d’époque des années 40, ça marche super bien!
RF : Ouais, c’est la magie de la postproduction. C’est David aussi qui s’occupe de tout le graphisme du film. Lui, il a tourné tout le B-Roll. Il y avait tellement de trucs à tourner que des fois, je l’envoyais avec une caméra B pour filmer des trucs dans le bois. Par exemple, il y a une scène où le jaune principal s’échappe des militaires dans le bois. Cette scène-là, c’est David qui l’a filmée. En même temps, je tournais avec les militaires sur la route, donc il est parti avec l’acteur dans le bois pour filmer des plans de lui. Il y a plusieurs plans dans le film qui ont été tournés par l’équipe B. On a vraiment géré ça comme une grosse production hollywoodienne, même au Québec, où il n’y a pas tant de B-teams. On a dû faire comme ça, sinon on n’aurait jamais réussi. C’était vraiment trop ambitieux comme projet.
Horreur Québec: Comment as-tu approché ta mise en scène en tant que réalisateur?
RF : À cette époque-là, j’avais vraiment moins d’expérience. J’étais très cartésien dans ma mise en scène. Je voulais vraiment que ça ressemble à du Spielberg des années 80, tourné sur Dolly. On avait pas de Steadicam, ça coûtait cher et il fallait quelqu’un pour l’opérer. Comme on manquait d’expérience, on est restés avec dolly, trépieds et grue. Il fallait que tout soit très calculé. Je voulais une mise en scène très précise, presque cartoon, où tout est à sa place. Ce n’était pas une approche improvisée. Aujourd’hui, je suis plus détendu et je cherche peut-être des plans directement sur le plateau. À l’époque, tout était en storyboard. J’ai encore un cartable avec tous les storyboards, c’était fou. Il fallait que je sois sûr de ce que je faisais, mais parfois, j’arrivais et je paniquais. C’est difficile de cadrer huit personnages en même temps, chacun avec son propre rôle à jouer, et de faire en sorte que tout le monde soit bien positionné. Quand tu as 22 ans et que tu tournes sans beaucoup d’expérience, c’est un défi.
Horreur Québec: Le film a eu une belle de vie de festivals, en commençant par Fantasia.
RF : Fantasia, c’était notre gros lancement. Mais une autre grosse expérience a été le BIFFF à Bruxelles, qui est devenu l’une de mes destinations régulières. J’y suis retourné plusieurs fois. À l’époque, je ne me souviens plus des autres grands festivals où le film a été présenté, mais le BIFFF reste un moment marquant. J’arrivais directement de l’avion et le film était projeté le jour même. J’étais complètement décalé. Et au BIFFF, le public participe beaucoup. Ils crient et commentent le film pendant la projection. Ça m’a vraiment terrorisé au début, mais à la fin, ils m’ont dit que si les gens parlaient, c’était parce qu’ils avaient aimé. Des fois, quand c’était trop québécois, le public gueulait des trucs du genre « on veut des sous-titres! » mais finalement, tout s’est bien passé. Cette expérience avec le BIFFF a vraiment changé ma vie.
Horreur Québec: Qu’est-ce que Les Jaunes a eu comme impact sur ta carrière par la suite?
RF : Les Jaunes m’a ouvert beaucoup de portes. Au départ, je n’avais pas les moyens financiers pour le projet, j’ai donc dû travailler sur le film en faisant des petits contrats à côté. Mes parents m’ont beaucoup soutenu financièrement pendant cette année-là. Une fois que le film a été vendu à Tou.tv, ça a vraiment changé les choses. J’ai pu ensuite obtenir le financement pour une nouvelle websérie. Je pense que le succès de Les Jaunes a montré que j’avais un style unique et que je savais gérer un plateau. En fin de compte, Les Jaunes ont eu un impact positif sur ma carrière sur le long terme et les gens en parlent encore aujourd’hui.
Horreur Québec: Peux-tu parler un peu du DVD?
RF : Il y a deux ans, j’ai sorti mes DVD qui étaient entreposés depuis des années. Ils se sont tous vendus au kiosque de Films Fanatik au Marché aux Puces Saint-Michel. On a vendu, je pense, une cinquantaine de copies du DVD. Il y a encore un petit intérêt. C’est sûr que je trouve ça quand même cool. C’est amusant, parce qu’on était dans les premiers dans le domaine de la websérie fantastique au Québec. À l’époque, il n’y en avait pas beaucoup et il n’y avait surtout pas de choses sur les zombies.
On a fait un kickstarter, donc on était obligés de produire un DVD. On a repoussé sa sortie parce qu’on voulait inclure le making of. C’était une énorme tâche à monter; presque un long métrage en soi. Donc, on a repoussé la sortie. Finalement, le DVD est sorti en 2014, mais les gens achetaient de moins en moins de DVDs, donc c’était pour les personnes qui ont soutenu le projet. C’était un peu la fin d’une époque.
Horreur Québec: Quels sont tes espoirs pour la longévité du film?
RF : Si je finis par faire un film plus grand ou à plus gros succès, ça pourrait aider à relancer l’intérêt pour celui-ci. J’aimerais qu’il devienne un peu comme mon petit film culte, un peu comme mon Bad Taste. On a même envisagé faire une suite en bande dessinée. On était bien motivés, mais le public ne se souvient pas assez du film. Ce serait cool de retrouver un certain succès, même modéré, comme on a eu à l’époque.
J’aimerais faire un grand film un jour, mais je dois accepter que si ça ne fonctionne pas, je continuerai à faire des films indépendants avec les moyens du bord. Je sais que ce que je fais ne plaira pas à tout le monde et je suis en paix avec ça. Si quelqu’un n’aime pas Les Jaunes, je comprends et une critique d’une étoile sur Letterboxd ne me dérangerait pas. Je sais à qui je m’adresse. Les Jaunes est un peu comme un bac à sable où je joue avec des figurines. Aujourd’hui, je mets plus d’accent sur le développement des personnages et des arcs narratifs plus profonds. À l’époque, c’était un film d’aventure amusant avec deux commis d’épicerie plongés dans une aventure dans leur village. C’est un bon divertissement au cinéma, et c’était l’objectif principal.
Les Jaunes est disponible gratuitement via Vimeo :
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