Le documentaire Blumhouse’s Compendium of Horror, présentement diffusé pour la première fois au Canada sur la chaîne Hollywood Suite, retrace l’histoire du cinéma d’horreur à travers les mouvements politiques et sociaux qui ont marqué et secoué les dix dernières décennies. Sous la lentille des peurs réelles vécues par la population, cette série de cinq épisodes dépeint ce qui a influencé les réalisateurs, producteurs et acteurs dans la mise à l’écran d’histoires sordides, surnaturelles et horrifiantes.
Et pour nous faire voyager à travers l’évolution de ce genre parfois controversé, mais si significatif dans l’évolution de l’art du cinéma, qui de mieux qu’une figure de renom pour narrer cette histoire captivante. Robert Englund, bien connu pour son rôle de Freddy Krueger dans A Nightmare on Elm Street, nous parle de sa collaboration à ce documentaire révélateur qui met en mots et en images ce qui constitue l’horreur et ce qui marque l’imaginaire.
Horreur Québec : Il va de soi qu’un documentaire sur l’horreur nécessite une narration captivante, portée par une voix qui sait parfaitement incarner l’essence de l’écran. Pourriez-vous nous en dire plus sur la naissance de cette collaboration avec Jason Blum pour Blumhouse’s Compendium of Horror?
Robert Englund : Blumhouse a certes obtenu ses cartes de noblesse dans l’horreur pour plusieurs raisons, mais principalement parce que la maison de production parvient à relever le défi de revitaliser le genre, de lui donner un souffle nouveau. Les productions posent un regard neuf sur ce cinéma audacieux qui a vu le jour il y a plus de 100 ans.
Le documentaire propose un point de vue qui met de l’avant l’aspect valable, le côté digne et respectable du cinéma d’horreur en tant que partie importante, voire nécessaire, de l’histoire du cinéma. Lorsque Jason Blum et son équipe m’ont approché pour y prendre part en tant que narrateur, j’ai aussitôt été intrigué. Quand on m’a présenté le scénario, j’ai réalisé à quel point ils avaient une grande compréhension de la manière dont l’histoire, les événements dans le monde et la culture populaire s’entremêlent pour former les genres de l’horreur, de la science-fiction et du fantastique.
Toutefois, ce qui m’a réellement convaincu, c’est lorsque j’ai réalisé qu’ils avaient inclus un segment consacré à un film qui m’est très cher, un film qui a marqué mon enfance et qui a été ma porte d’entrée dans l’horreur : Them!. Il s’agit d’un film de science-fiction magnifiquement tourné en noir et blanc, avec des effets spéciaux et sonores extraordinaires. Il a d’ailleurs été nommé aux Oscars pour sa cinématographie exceptionnelle. Et quand j’ai découvert que ce film faisait partie du recueil d’horreur choisi par Blumhouse, j’ai su qu’ils étaient sur la bonne voie pour raconter une histoire importante. Je me suis senti aussitôt interpellé par l’aventure et j’ai embarqué.
Le documentaire démontre comment la culture a influencé et inspiré la réalisation de films. Par exemple, l’ère atomique a directement influencé le genre de la science-fiction. Si on creuse plus loin, Frankenstein est perçu comme un film de science-fiction, mais, en réalité, c’est la représentation d’un méchant, d’un vilain, qui effraie les gens, un inconnu menaçant. Ensuite sont venus les tueurs en série comme dans The Silence of the Lambs, Halloween et Friday the 13th et les entités qui surgissent dans vos pires cauchemars comme dans A Nightmare on Elm Street. Tout ça peut être intimement lié à la façon dont la société percevait les gens au pouvoir et ce qui se déroulait sous leur gouverne dans le monde, dans leur propre pays, ou même dans leur ville ou voisinage.
J’adore que les gens de Blumhouse aient pensé à tout ça. Sérieusement, j’hésite à utiliser le mot « intellectuel », car je ne veux pas que les gens pensent que le documentaire est un exercice académique. C’est plutôt un hommage réfléchi aux rêveurs. Ils ont effectué des recherches fantastiques. Je suis vraiment heureux d’avoir participé à ce projet.
HQ : Votre parcours dans le monde de l’horreur vous a élevé au rang de figure emblématique. Votre personnage de Freddy résonne encore aujourd’hui dans l’imaginaire collectif, comme en témoigne d’ailleurs le documentaire. Pouvez-vous nous parler de vos débuts dans l’horreur en tant qu’acteur? Était-ce une voie que vous avez délibérément choisie ou quelque chose qui vous a plutôt « trouvé »?
RE : Bien que j’aie été séduit par le genre horreur dans mon enfance, le fait qu’il constitue une partie importante de ma carrière d’acteur est davantage une question de circonstances; un heureux hasard, mais un hasard néanmoins. J’ai passé les dix premières années de ma carrière, de 1973 à 1983, dans le cinéma où je jouais presque exclusivement des rôles d’acolyte, de meilleur ami, de copain. On me cataloguait aussi souvent dans des films en tant que sudiste, originaire de la partie sud de l’Amérique. Ça devait avoir quelque chose à voir avec mon apparence ou du moins comment Hollywood me percevait. Toutefois, ce créneau m’a offert la chance de jouer dans des films avec Jeff Bridges, Sally Field, Arnold Schwarzenegger, Henry Fonda, Susan Sarandon, Peter Strauss et feu Jan Michael Vincent. C’est une partie de ma vie et de ma carrière dont je suis très reconnaissant.
Je dois avouer que je n’ai jamais eu l’intention de faire de l’horreur. Toutefois, j’ai joué dans une série télévisée de science-fiction appelée V, qui a connu un énorme succès international au début des années 80. À l’époque, je traînais dans un club, car j’avais un faible pour une petite barmaid punk qui y travaillait. Dans ce bar, des téléviseurs étaient suspendus des deux côtés. L’un d’eux diffusait Eraserhead de David Lynch et sur l’autre, tournaient en boucle continue The Hills Have Eyes et The Last House on the Left de Wes Craven. Tout était diffusé en noir et blanc. À cause de cette juxtaposition de films et du fait que les télévisions n’étaient pas en couleur, j’associais Wes Craven à David Lynch et je pensais qu’il était le type de réalisateur avec un style gothique, portant un col roulé noir, un jean noir et ayant de longs cheveux noirs. J’ai ensuite eu une audition pour A Nightmare on Elm Street, au cours de laquelle j’ai bien entendu rencontré Wes Craven, qui s’est avéré être tout le contraire de ce que je m’imaginais. Il était un vrai gentleman vêtu dans un style « preppy » Ralph Lauren. Il m’a charmé par sa personnalité et son approche. J’étais très curieux de travailler avec lui et j’étais emballé par l’audition. Je n’avais aucune envie de devenir un acteur d’horreur et je pense aussi qu’à la base, Wes cherchait davantage un cascadeur costaud. Je l’ai écouté attentivement exprimer ses idées sur la manière qu’il percevait le film à produire.
C’est alors que j’ai décidé de « jouer » avec lui et de mettre en action ce vieux jeu que nous faisions enfants, où on essayait de ne pas cligner des yeux en se fixant du regard. Je suis resté muet. J’avais plaqué mes cheveux en arrière pour les rendre fins sur ma tête. J’ai une ligne de cheveux haute, alors on pouvait un peu voir à quoi je ressemblerais chauve. J’avais aussi mis un peu de cendre de cigarette sous mes yeux, prise du cendrier de ma voiture, pour créer l’impression de cernes. C’est une vieille astuce de maquillage théâtral et ça a l’air très réaliste. J’ai incarné un personnage ténébreux, sinistre et j’ai soutenu le regard de Wes. Je pense que c’est ainsi que j’ai obtenu le rôle de Freddy Krueger.
HQ : Votre succès dans le genre de l’horreur a été un tournant inattendu, mais très gratifiant dans votre carrière. Avez-vous ressenti que vous aviez découvert le bon chemin dans ce domaine?
RE : Lorsque A Nightmare on Elm Street est sorti en salle peu de temps après, V était toujours un grand succès et A Nightmare a connu un impact immense auprès des amateurs du genre partout dans le monde. J’avais donc un peu de science-fiction et d’horreur dans ma manche. Du jour au lendemain, je suis devenu acteur international. Et c’est à ce moment-là que je me suis vraiment attaché ou enthousiasmé par le genre horreur.
Avant ça, j’étais prêt à ne jamais retourner à Hollywood. Bien que j’aie été obsédé par l’horreur et la science-fiction quand j’étais enfant, j’étais devenu un acteur de théâtre assez snob. Dans ma tête, je ne devais faire que du Molière et du Shakespeare. Je venais au Canada tout le temps. Je vénérais le théâtre de Stratford en Ontario. Je pensais que c’était le plus grand théâtre du monde à l’époque et je voulais désespérément y travailler. J’ai un peu eu mon souhait parce que le théâtre où je travaillais au Michigan, à Detroit, engageait beaucoup d’acteurs du Canada, de Stratford. J’ai donc eu la chance de travailler avec certains des meilleurs acteurs canadiens, la crème de la crème. Mais tout de même, force est d’avouer que je snobais Hollywood de façon entêtée et déterminée.
Après quelques conseils de Wes Craven, je me suis souvenu du petit « Robbie » Englund enfant et à quel point l’horreur et la science-fiction étaient importantes pour moi à travers les films, la télévision et même les livres. Mon respect pour le genre est revenu et a grandi. Maintenant, je ne pourrais pas être plus favorable au genre. C’est pourquoi des projets comme Blumhouse’s Compendium of Horror sont si importants pour moi.
HQ : Comment envisagez-vous le futur pour le genre? Partagez-vous l’opinion selon laquelle nous sommes peut-être englués dans une ère de suites sans fin et de remakes douteux, ou croyez-vous plutôt que les sentiers ne sont pas tous battus et que de nouvelles avenues restent à explorer?
RE : Je suis encouragé et confiant. Des films formidables poursuivent la tradition. Malgré ce que certains critiques peuvent dire ou penser, l’horreur n’est pas dans une impasse. Au contraire, les années 2000 ont été un tournant marquant pour le genre dans son ensemble. Nous pouvons le voir à travers la contribution incroyable de réalisateurs tels que Jordan Peele avec les films Get Out et Us, des histoires qui tirent directement leurs racines de la culture afro-américaine. Tant de sujets, thématiques, mythes et idéologies restent à explorer. Des films comme The Witch, par exemple, ont exploré le folklore européen et les contes. Ce sont des richesses inestimables pour le cinéma d’horreur.
Je découvre constamment des visions et idées nouvelles que j’adore dans des films qui ne sont pas nécessairement publicisés à grande échelle. L’accès aux plateformes de streaming nous donne l’occasion de tomber sur tellement de films méconnus, de petits bijoux cinématographiques, certains avec un très petit budget, mais qui mettent à l’écran des concepts incroyables. J’encourage les fans de ce genre à rechercher de nouveaux films d’horreur et à sortir de leur « zone de confort » côté horreur.
J’ai une véritable foi en l’avenir de l’horreur. Parfois, il est difficile de rivaliser avec l’horreur très réelle qui se déroule dans notre monde, souvent non loin de nous. Et parfois, nous devons peut-être aller dans l’autre sens et regarder des comédies et de la variété, écouter de la musique pour échapper à l’horreur dont nous bombardent les nouvelles quotidiennes. Toutefois, je suis un optimiste, et je pense que le genre horreur aura toujours sa place de la manière la plus utile, parfois révélatrice, dénonciatrice, cynique, moqueuse, mais toujours empreinte de sens.
La docusérie en cinq parties Blumhouse’s Compendium of Horror est diffusée dès le jeudi 1er février à 21 h, avec de nouveaux épisodes chaque semaine. Tous les épisodes sont disponibles en streaming sur Hollywood Suite On Demand.
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