Alors que la COVID-19 commence à peine à se répandre au Québec, Flots s’ouvre sur une maison en désordre presque déserte. Sous prétexte que personne n’a le droit de lire son journal intime, une fillette de huit ans y relate les événements funestes qui expliquent pourquoi sa tante vient de la trouver seule dans sa résidence familiale, alors que ses parents sont absents.
Le succès de Patrick Senécal n’est pas dû à un concours de circonstances lui ayant attribué une célébrité hasardeuse. Les lecteurs qui s’embarquent dans ses œuvres uniquement pour suivre la tendance ne sont possiblement pas ceux qui y restent accrochés. Malgré leur popularité, ce sont des romans assez denses, qui happeront sur leur passage davantage ceux qui souhaitent traverser différents maux de l’âme humaine, que ceux qui recherchent des intrigues d’épouvante faciles avec un bon et des méchants, où l’hémoglobine gicle sans ordonnance. Difficile de verser plus dans l’horreur que le font ses romans, mais force est d’admettre qu’il s’agit de terreurs matures.
Cette fois, l’auteur nous fait voyager à travers les aveux de la petite Florence, en travestissant son écriture pour lui donner une touche enfantine, mais aussi pour nous faire comprendre qu’elle ne comprend pas toujours ce qu’elle fait. Le style s’apparente beaucoup au réalisme cru de certains des romans de Jack Ketchum, et solide comme un roc sera le lecteur aucunement incommodé par certains passages.
Disons-le d’entrée de jeu, Flots est peut-être le plus dérangeant de tous les romans de l’auteur, quoique pas le plus explicite (la palme revient toujours à Hell.com) ou le plus malaisant au niveau des découvertes macabres liées au suspense. Flots désacralise cette figure de l’enfant pur pour en élaborer un véritable sociopathe, mais il souille au passage le lien entre le parent et sa progéniture. Des histoires d’enfants diaboliques, il en pleut. Le postulat de départ semblait donc plus banal, mais détrompez-vous. Senécal semble faire du surf en contournant les clichés usuels, ou encore en les abordant d’une manière si frontale que le lecteur doit affronter ses propres croyances. Ce n’est pas parce qu’on condamne les actes inimaginables de l’héroïne qu’on demeure toujours sans la moindre compassion pour elle.
Flots est un roman qui fait mal, qui déchire nos entrailles et qu’on assimile en déglutinant avec peine. Pendant presque 400 pages, les péripéties qu’on y découvre nous envahissent et nous donnent l’impression de manquer d’oxygène. On se surprend à lire en marchant, et à froncer les sourcils dès que le mal survient. Ce spleen vient avant tout de thèmes graves.
Il est premièrement très agréable d’entendre une voix masculine traiter de la violence conjugale avec autant de tact. Il y a un passage où un homme extérieur à certains débats conjugaux affirme même: «J’aurais dû m’en mêler plus, j’ai été lâche.» Intéressante prise de conscience qu’on tente de transmette aux hommes doucereux qui n’interviennent pas suffisamment lorsqu’ils soupçonnent un conflit. Le roman parle bien sûr de la maladie mentale, et de l’importance de la traiter, mais effleure au passage la démence de certains survivalistes dont la pandémie a consommé les restes de sagesse.
Flots aborde aussi la création littéraire. C’est parce qu’elle veut se donner l’impression d’écrire des histoires que Florence relate son point de vue des évènements dans son journal. Elle n’est pas sans rappeler le très beau personnage de Wanda Moreau que l’auteur a libéré dans son roman L’autre reflet.
Si vous êtes un grand lecteur de Senécal, vous aurez droit à une acrobatie finale très savoureuse. Lorsque nos yeux arrivent au dernier point du roman, c’est comme si l’auteur nous livrait la pire des tortures. Il nous y a pourtant habitué. Franchement, un excellent roman qui deviendra certainement un incontournable dans la carrière du maître québécois.
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