Épuisée de rencontrer son amoureux furtivement, sous prétexte qu’ils n’ont pas l’argent pour se marier et vivre ensemble, Marion dérobe quarante mille dollars suite à une transaction immobilière au bureau où elle travaille. Alors qu’une pluie diluvienne se combine à sa fatigue, la jeune femme décide de s’arrêter pour la nuit dans un motel désert gérer par un jeune homme charmant, mais dangereux.
Célébrer un film de soixante ans qui semble encore plus percutant que la plupart des films d’aujourd’hui, et qui demeure toujours un pilier central dans l’histoire du cinéma d’épouvante, est quelque chose de fantastique. Il aurait été vraiment intéressant de recueillir les propos d’Hitchcock après toutes ces années, puisque son film reste d’une efficacité infaillible.
En septembre 1992, suite à l’annonce du décès de l’acteur Anthony Perkins, les chaînes de télévision n’ont cessé de ponctuer cette annonce par les images de la célèbre scène de douche. Fait cocasse, Perkins n’était pas sur le plateau lors du tournage de ce segment, mais ce sont des doublures qui ont joué le rôle de Mme Bates. Pourtant, Perkins a marqué la mémoire collective pour son rôle de Norman Bates, et en partie pour ce meurtre. Tel est l’impact de Psycho (Psychose).
La construction d’un mythe
Hitchcock savait que la scène de douche serait fondamentale pour perturber l’audience. Comment préparer cette scène pour qu’on n’en devine rien? L’homme a travaillé avec son scénariste pour que la première partie du film soit remplie de détails attirant le spectateur loin de ce qui allait se dérouler. «Le public aime toujours anticiper», a-t-il mentionné à François Truffaut. On se souvient que le cinéaste François Truffaut, a publié une entrevue de 500 questions qu’il a adressé au réalisateur de Vertigo, l’objectif étant de disséquer ses films et de recueillir des anecdotes.
Dès le départ, le scénario de Psycho multiplie les sous-entendus. On nous dicte l’heure des ébats des amants en ouverture pour que le spectateur suppose que Marion se prive d’heure de dîner pour aller faire l’amour avec son amoureux. On souligne alors le montant d’argent, et la fuite de la jeune femme qui s’imagine en conduisant la réaction de ces collègues en apprenant son vol. Survient alors l’épisode du concessionnaire, où Marion échange son véhicule, et cet autre avec le policier qui l’arrête sur le bord de la route. Sous une soudaine pluie torrentielle, elle s’arrêtera au Bates Motel. Encore ici, le récit nous trompe en nous laissant croire que ce jeune homme qui gère l’hôtel l’a convaincu de se rendre. Elle se plonge alors dans une douche purificatrice, qui se terminera avec les instruments à cordes de Bernard Herrmann. Chaque élément de cette quête vécue par Marion ne sert qu’à nous distraire afin que ce meurtre nous surprenne.
Lors d’un tournage plus classique, Janet Leigh aurait certainement joué le rôle de Lila Crane, la sœur survivante qui démasque la véritable identité du psychopathe. Pour Psycho, Hitchcock veut dérouter son public et il dira à Truffaut, lors de leurs célèbres rencontres, qu’il a «fait exprès de tuer la star, car ainsi le meurtre était encore plus inattendu.». Seulement, qu’allaient penser les retardataires en salle qui auraient manqué le passage avec Leigh? Vont-ils l’attendre sans savoir qu’elle est morte? Il a alors eu l’idée de faire des pancartes où l’on pouvait y lire la citation qui suit: «Personne, absolument personne, ne sera admis dans le cinéma après le début d’une séance de Psychose. Ne vous attendez pas à être admis après le début du film. Personne, absolument personne, ne sera admis pas même le frère du directeur, le président des États-Unis ou la reine d’Angleterre (Dieu la bénisse)!».
Leigh a abordé le travail du maître pour présenter ce meurtre. L’actrice a en effet affirmé:
La construction de cette scène est très ingénieuse. Car à partir de là, Hitchcock réussit à mettre en scène non plus ce que le spectateur voit réellement, mais ce qu’il croit voir. Il signe ce coup de maître grâce au montage et le public, pris dans l’action, se laisse emporter. Chaque coupure est comme un coup de couteau. Le public se prend à croire, finalement, qu’il s’agit d’un coup de couteau, quand ce n’est qu’une coupure. Le mot coupure est d’ailleurs bien choisi: il correspond aux coups de couteau.
Hitchcock a travaillé sur les effets chocs de son film bien au-delà du plateau de tournage. Il s’amusait à répandre la nouvelle qu’il cherchait l’actrice parfaite pour jouer madame Bates. Il a même organisé certaines séances photos servant à montrer une chaise de plateau portant le nom de Mme Bates. On peut également le voir sur certains clichés se reposant sur ce banc. Tout ce battage médiatique laissait croire que le personnage serait bien vivant dans le long-métrage. Il a aussi amassé des dizaines d’exemplaires du roman original pour que ce dernier soit le moins possible accessible aux lecteurs.
La révélation finale est le choc ultime. Quand le personnage de Lila Crane se risque à la cave et découvre la dépouille de Mme Bates, le spectateur a aussi droit à une scène merveilleusement orchestrée. La chaise tourne sur elle-même et révèle le cadavre. Lila hurle en élançant son bras vers le haut qui accroche le plafonnier qui se met alors à se balancer dans un va-et-vient stroboscopique, puis entre Norman. Tout ceci avec la musique stridente de Herrmann. On image le choc pour un spectateur en 1960.
Le cinéaste mythique dira même à Truffaut que «La construction de ce film est très intéressante. C’est mon expérience de jeu la plus passionnante avec le public. Avec Psycho, je faisais de la direction de spectateurs exactement comme si je jouais de l’orgue.». Cela dit, il avait de bonnes partitions: qu’il s’agisse du jeu saisissant et impossible à oublier d’Anthony Perkins ou de la composition solide et nuancée de Janet Leigh, le maître était bien entouré.
Le superbe générique de Saul Bass fait office de préliminaires avec ses banderoles géométriques qui seraient, selon certains, une métaphore dépeignant la schizophrénie de Norman. Le noir, le blanc et le gris combiné au rythme et à la musique d’Herrmann traduirait une certaine dualité. Bass était reconnu pour sa faculté de résumer un film par ces illustrations graphiques. Quoi qu’il en soit, le résultat radical de cette introduction place déjà le long-métrage dans un climat inquiétant.
L’héritage de Psycho
Un jour, alors que Psycho avait déjà une résonance auprès du public, Hitchcock a mentionné à Janet Leigh: «Vous savez ma chère, nous ne pourrons plus jamais travailler ensemble. Peu importe, le rôle que vous auriez et la manière avec laquelle vous l’interpréteriez, si je suis le réalisateur, vous resterez Marion Crane pour les spectateurs.». Leigh mentionne dans son livre Psycho behind the scenes of a classic thriller qu’elle en a été bouleversée, mais qu’elle a compris qu’il avait raison.
Vingt-trois ans plus tard, Universal en demanda une suite en réunissant Perkins et Vera Miles. Deux autres suites ont vu le jour, en plus d’un remake très difficile à saisir de la part de Gus Van Sant. Le réalisateur est si doué et cette reprise si maniérée qu’on a l’impression quelque part de ne pas saisir ce qu’il tentait de faire.
À travers les années, qu’il s’agisse de William Castle, d’un épisode de The Simpsons, de nombreux hommages fait à travers l’œuvre de Brian de Palma ou même des Looney Tunes, le chef-d’œuvre d’Hitchcock inspire. Le chanteur Eminem aborde souvent les long-métrages de la série, comme dans Role Model et dans Demon Inside.
Ayant un peu dégonflé cet aura mythique qu’avait le cinéma gothique, Psycho a montré que la menace pouvait être humaine. C’est suite à cette fougue pour les tueurs en série que naîtra tout d’abord le giallo, mais ensuite le slasher. Ces deux sous-genres de l’horreur regorgent de meurtres similaires à ceux du film.
En 2012, nous avons eu droit au film Hitchcock, qui tentait de d’écrire les processus de création entourant Psycho. Anthony Hopkins et Helen Mirren y tenaient les rôles du cinéaste et de son épouse. Le résultat est fort louable même si plusieurs angles sont arrondis un peu trop librement.
En 2013 sera diffusé le premier épisode de Bates Motel, un intelligent préquel au film d’Hitchcock. Pourtant, c’est à sa cinquième saison, lorsque la série tente de recréer certains épisodes du film, que l’ensemble perd de son charme; on ne refait pas Hitchcock. En incorporant certaines de ses actions, on nous confirme davantage la petitesse de la série puisque la comparaison n’est jamais à l’avantage de cette réinterprétation télévisuelle.
En 2017 est paru le documentaire 78/52, réalisé par Alexandre O. Philippe, qui a l’originalité non pas d’aborder l’influence du film comme le font certains, mais de livrer une véritable autopsie d’une scène en particulier. Vous devinez qu’il s’agit ici de la scène de la douche. Le titre faisant d’ailleurs référence aux 78 plans et aux 52 coupures visibles dans ce moment iconique du cinéma.
Célébrez cet anniversaire en vous vautrant dans votre salon et revoyez ce film encore comme si c’était la première fois. C’est pour les rares œuvres de cette trempe qu’existe le qualificatif «chef-d’œuvre». Du fond du cœur, nous vous remercions Monsieur Hitchcock.
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