Jack Torrance est un écrivain qui peine à écrire. Il accepte de passer l’hiver avec sa femme Wendy et son fils Danny à l’hôtel Overlook, isolé dans les forêts montagneuses du Colorado, où il tiendra le poste de gardien. L’homme espère ainsi pouvoir se consacrer à l’écriture; ce bâtiment éloigné de toute civilisation est fermé durant la saison hivernale.
Le confinement devient cependant lourd et l’historique de ce somptueux palace se remet bientôt à refaire surface sous forme d’apparitions fantomatiques. Alors que Jack perd lentement la tête, les talents de médium du petit Danny lui montrent certaines images assez horrifiques.
Vous avez tous entendu la phrase «Here’s Johnny!», prononcée diaboliquement par Jack Torrance, mais combien savent que le personnage joué par Jack Nicholson se réfère à Johnny Carson? Le film de Kubrick s’est carrément approprié cette citation, et les gens l’associent davantage à l’acteur qu’à l’ancien animateur du Tonigh Show. Telle est l’ampleur du film. Avec le temps, il est devenu plus grand que nature.
On célèbre les quarante ans de The Shining (Shining: L’enfant lumière), et plus que jamais, le film a une résonance unique puisqu’il est à la fois salué par les fanatiques de King — même s’il diffère du livre à plusieurs niveaux —, mais aussi par ceux qui s’intéressent à l’histoire du cinéma. À travers les ouï-dires, les études et la peur qu’il a engendrée, The Shining est aussi devenu un morceau de la culture populaire. Qu’il s’agisse du récent Ready Player One de Steven Spielberg, de Seed of Chucky, de Scary Movie ou encore de Twister, projetant le produit de l’oncle Stan sur un écran de ciné-parc qui s’envole littéralement, une série de films lui rendent hommage. Il y a des centaines de sites et articles qui s’articulent autour du long-métrage pour tenter d’en démystifier des éléments sans réponse, mais aussi pour souligner une série de choix techniques élaborés par le cinéaste pour aboutir à ce chef-d’œuvre.
Stanley Kubrick contre Stephen King
Qui n’a jamais entendu cette histoire exprimant la déception de Stephen King face au film de Kubrick, où le romancier se serait senti trahi? En tant qu’admirateur des deux artistes et des deux médiums, on a constamment cette impression qu’il faut choisir entre l’un ou l’autre. Ne vous faites pas violence puisque les deux supports sont excellents.
Le talent de King est indiscutable; il en est de même pour celui de Kubrick. Là où le roman semble brut et frontal, le long-métrage plonge davantage dans la psychanalyse et la maturité. Si au départ Kubrick a priorisé cette adaptation à celle du roman The Shadow Knows, écrit par sa co-scénariste sur The Shining, c’est possiblement parce que l’élan populaire de l’écrivain pourrait faire mousser son film. On se souvient que ce film est survenu après Barry Lyndon, qui n’avait pas connu le succès commercial espéré. S’inspirer d’un auteur célèbre devenait alors une bonne idée pour s’assurer une certaine visibilité. Pourtant, avec le recul, nous sommes en droit de se demander si ce bouquin aurait eu un aussi grand impact si le film impérissable ne l’avait pas hissé au panthéon des valeurs sûres.
En faisant de Jack Torrance un personnage plus schizophrénique que possédé, et en le transformant en Minotaure qui traquera ses victimes à travers un labyrinthe, le film de Kubrick purge le récit de certains clichés usuels ou de passages moins convainquant du roman (notamment les buissons prenant vie). D’une certaine manière, il est vrai que l’adaptation qu’ont tiré Kubrick et Diane Johnson du bouquin travestit certains thèmes. Kubrick délaisse notamment le thème de l’alcoolisme pour bifurquer vers la folie. Et en choisissant Nicholson, qui y délivre l’une de ses meilleures performances, on peut dire que le cinéaste frappe fort.
L’adaptation filmique choisit également de dépeindre Wendy comme une femme vulnérable au physique plus commun, alors que King la présente moins insécure et plus séduisante. Peut-être est-ce la raison pour laquelle la femme nous paraît plus sympathique dans le long-métrage: le spectateur se sent forcément mal pour elle, et il en éprouve même de la pitié.
L’expertise technique et les analyses
On pourrait dresser un ouvrage complet démontrant l’audace et le talent avec lesquels Kubrick a su mettre en image l’histoire.
The Shining, c’est avant tout l’hôtel Overlook et son isolement. Dans la spectaculaire séquence générique d’ouverture, ponctuée par un extrait de la symphonie fantastique de Berlioz, la caméra capte d’abord le Glacier National Park et on nous impose rapidement cette Volkswagen jaune qui gravit les routes montagneuses comme de longs serpentins.
Les décors sont carrés et offrent à travers leur différentes géométries une symétrie qui s’associe très bien à cette trame où l’espace-temps disparaît. Ici, le passé, le présent et le futur ne font qu’un. On fait de la temporalité un exercice d’origami où le moindre événement se replie. Charles Grady, son prédécesseur qui a trucidé sa femme et ses filles, n’est en fait qu’un double de Jack. Dans le même ordre d’idées, «redrum» n’est que le reflet de «murder». Certains théoriciens y ajoutent que la photo finale, datée de 1921 et montrant Jack, est la preuve que le temps perd son sens.
Un grand nombre d’analystes perçoivent la présence du rite chamanique dans le film. Le gîte est construit sur un ancien cimetière indien, le long-métrage aborde l’infanticide et le personnage de Jack boîte. Rappelons-nous que le sorcier meneur de cette communauté des morts avait aussi cette caractéristique de tirer la jambe. Ce voyage à travers le monde des morts serait métaphorisé dans le film.
Des images de la culture amérindienne sont perceptibles dans les tapisseries, tableaux et logos sur des boîtes de conserve, qui serviraient à rappeler que la culture américaine a eu comme fondation ce génocide amérindien, dont on ne retire aucun apprentissage puisque le peuple n’a pas évolué. On se confronte donc au mythe de l’éternel retour. Le peuple recommence toujours ses barbaries.
La schizophrénie étant l’un des thèmes fétiches de Kubrick, l’apparition des fantômes dans The Shining pour le personnage de Jack s’accompagne de la présence de miroirs, comme si le cinéaste laissait sous-entendre que ces individus spectraux étaient dans sa tête et qu’il parlait à son reflet. Est-ce le cas? Jack hallucine-t-il cette femme de la chambre 237 et entretient-il une conversation avec lui-même lors de cet échange digne de Faust qu’il nourrit avec le barman. Lloyd préfigure ici un véritable Méphistophélès prêt à offrir un verre à Jack en échange de son âme?
L’hôtel Overlook est un substitut des manoirs gothiques d’autrefois et l’utilisation de la steadycam pour en explorer les couloirs, continuellement en mouvement, nous aide à palper la lourdeur du lieu. Les plans séquences vont illustrer le tricycle de Danny visitant intensément chaque étage de l’hôtel qui deviennent presqu’étourdissants. Le spectateur peut facilement adopter le point de vue de l’enfant en ayant l’impression de rouler avec lui.
Si vous souhaitez en savoir plus sur certaines théories et analyse du long-métrage de Kubrick, nous vous recommandons le visionnement du documentaire Room 237 de Rodney Ascher, où une série de cinéphiles spéculent des interprétations aussi fascinantes qu’exagérées sur ce chef-d’œuvre.
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