Sur nos étagères se trouvent bien en vue nos films préférés. Plus haut, les DVDs et Blu-rays que l’on regarde moins souvent. Et puis tout en haut, sur le dessus du meuble, caché derrière nos figurines de collection ou les vieilleries en verre soufflé héritées de grand-maman Huguette, il y a un petit coffret en bois couvert de poussière. Il est fermé à clé et cette dernière est elle-même gardée au fond d’un tiroir. Si l’on parvient à ouvrir ce coffret, on y trouve Bloodsucking Freaks.
Certains films sont faits pour n’être visionnés qu’une seule fois. Un peu comme un challenge que l’on se lance à soi-même. Ne vous méprenez pas, Bloodsucking Freaks n’a rien à voir avec le rite de passage que constitue certains films comme Cannibal Holocaust (1980). N’importe qui qui se lance dans le cinéma d’horreur se fera dire très tôt «Yo dude, faut trop que t’écoutes Cannibal Holocaust, pour vrai, c’est obligé!». On le fait puis on en redemande. Le film qui nous intéresse aujourd’hui n’est pas de ce genre-là. Pour commencer, ce n’est pas un film que quelqu’un recommande à un ami — un peu comme on ne recommandera jamais un porno. On entend vaguement parler de Bloodsucking Freaks ça et là sur des blogs un peu pourris aux titres d’articles racoleurs du genre «Top 10 of the most shocking films ever made!». Puis un jour, on tombe dessus par hasard et sa jaquette vintage estampillée Troma Entertainment titille notre curiosité. On l’achète sans trop savoir ce qu’il y a dedans en pensant trouver une série Z délirante. Un jour, on finit par se laisser tenter et le regarder. Le film est brutal. Il nous change. On le met sous clé et on n’en parle plus jamais.
Avant de tomber dans le vif du sujet, je terminerai cette introduction en paraphrasant Lloyd Kaufman (The Toxic Avenger), boss excentrique de Troma qui propose une présentation du long métrage sur le Blu-ray du film: il y a des films qui sont choquants à leur sortie puis qui, après quelques années, perdent de leur shock value. Mais il en existe d’autres qui deviennent de plus en plus scandaleux avec le temps. Ceux-ci sont rares. C’est le cas de A Clockwork Orange (1971) de Stanley Kubrick par exemple. Et très certainement aussi celui de Bloodsucking Freaks…
Dans son misérable petit théâtre, le terrible Maître Sardu (accompagné de son assistant nain Ralphus) anime des spectacles Grand Guignolesques scandaleux où se mêlent nudité et scènes de torture. Ce que le public ignore, c’est que ces scènes sont bien réelles et que les acteurs sont les victimes d’un traffic d’esclaves sexuels.
Bloodsucking Freaks a tout ce qu’il faut pour être très justement étiqueté «cinéma trash». Outre son évident manque de qualités cinématographiques (acteurs terribles, direction artistique quelconque, direction de la photographie malhabile et scénario quasi-inexistant), le film se vautre et se roule dans une fange complètement gratuite de scènes choquantes.
Le réalisateur, Joel Reed, offre à son public un spectacle 100% grindhouse au montage quasi «mondo-esque». Le film est littéralement une suite de scènes de tortures sans réelles connexions dramatique. Si l’on s’en tenait à la trame narrative sans faire de constant détours par ces supplices, le film ferait 20 minutes à tout péter.
Ces scènes de torture n’offrent pas tant de violence visuelle à proprement parler. Tout au mieux, on retrouve des effets spéciaux d’une qualité à peu près équivalente à Hershell Gordon Lewis. Je vous parlais dans un article précédent de Beyond The Darkness qui lui se veut simplement dégueulasse par son gore outrancier. Bloodsucking Freaks, lui, se complet juste dans une farandole de scènes wrong as fuck.
C’est plutôt dans les idées véhiculées par celles-ci que le film parvient à offusquer le spectateur — même le plus aguerrit. Les personnages de Sardu et de Ralphus sont deux parfaits salauds aux moeurs révoltantes et ce sont eux que le réalisateur choisit de suivre et avec lequel nous sommes forcés de s’identifier. De plus, un soupçon d’humour vraiment dérangé est saupoudré sur la mise en scène, rendant le visionnement étrangement plus tolérable sans pour autant réussir à nous retirer le goût amer laissé par certaines des scènes les plus fuckées. J’en veux pour preuve le passage dans lequel les deux psychopathes susmentionnés jouent aux fléchettes en discutant joyeusement — l’on découvre dans un mouvement de caméra que les deux larrons utilisent comme cibles les fesses nues de femmes qui crient de douleur à chaque fois que l’un d’eux vise correctement…
Je réalise que j’ai un peu tourné autour du pot dans cet article. Je ne parle pas beaucoup du film en lui-même et m’attarde plus sur sa propension à révulser le spectateur. Mais je pense que je préfère vous laisser l’esprit le plus vierge possible avant de vous attaquer à une bête telle que Bloodsucking Freaks. Au pire, voyez-ça comme une joke malsaine du type 2 Girls 1 Cup. Mais pour me faire pardonner j’ai un peu de trivia pour vous: Le film est d’abord sorti en 1976 sous le titre The Incredible Torture Show et classé X par la MPAA. Afin de créer un peu de buzz, les producteurs ont invité l’association féministe Women Against Pornography à visionner le film. S’en est suivi un gros scandal ainsi qu’un ban du film. C’est quelques années plus tard que Troma acquirent les droits de distribution du film et le renommèrent Bloodsucking Freaks. Ils firent une nouvelle soumission à la MPAA en acceptant les différentes cuts de censure pour obtenir une classification R. Mais certains d’entre-vous connaissent le sens des affaires hors-normes de la Troma et ne seront pas étonnées de leur fourberie: les malins envoyèrent des copies non-censurées estampillées R aux cinémas américains. La MPAA intentera finalement un procès à la compagnie de distribution pour l’utilisation frauduleuse de leur logo R.
Est-ce qu’en bout de ligne j’ai fait une critique négative du film? Sans doute. Pourquoi est-ce que je vous le recommande malgré tout? Eh bien parce que je considère tout de même très intéressant de sortir de ses zones de confort de temps en temps, ce que le cinéma d’horreur s’efforce de nous offrir régulièrement. Les plus friands du genre s’habituent vite à ce cinéma qui choque (Attention: ils n’en sont pas moins désensibilisés, seulement habitués) et c’est la raison pour laquelle il me semble fascinant de voir que des films tels que Bloodsucking Freaks existent. Si vous êtes game, alors tentez votre chance avec ce spectacle incroyable de torture. Sur ce, je retourne enfermer mon Blu-ray dans sa boîte.
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