En 2004, un phénomène étrange très s’est produit au Québec. Dans la salle obscure du Festival SPASM, on pouvait voir un court-métrage fait ici, en français, qui repoussait les limites du gore et de l’absurde. La province n’avait encore jamais connu de slasher sanglant et une page de l’histoire de notre cinéma de genre se tournait. Le Bagman était né.
Ce vendredi 25 octobre, la Grande Soirée Horreur de SPASM célébrera en grand les 15 ans de Le bagman – Profession: Meurtrier, en compagnie de ses créateurs. On a rencontré François Simard, du trio qu’il formait alors en compagnie d’Anouk Whissell et Jonathan Prévost — Yoann-Karl Whissell incarnait le rôle du Master Pimp dans le court et remplacera Jonathan plus tard dans l’aventure Roadkill Superstar.
Le premier slasher québécois
«C’était notre troisième court-métrage officiel. C’est difficile d’appeler ceux qu’on a fait avant ces trois-là des films. C’était vraiment juste une caméra et des amis dans le sous-sol qui se faisaient du fun. Quelqu’un est venu nous voir et voulait présenter 2 morts dans un festival, le Glitch Fest. Notre réaction a été un peu: “Pour vrai!?” [rires]. Mais c’est comme ça que tout a commencé. Jarrett Man [Président-directeur général de SPASM] était dans la salle et est venu nous voir pour nous demander de le présenter à SPASM. Cette année-là, on a gagné le prix de public ex aequo avec Black Taboo. Quand on a vu que les gens s’intéressaient à ce qu’on faisait, on a trouvé notre motivation. L’année d’après on a fait Chez Tony Spaghetti, puis pour la prochaine édition du festival, on voulait mettre le paquet et faire le film le plus fou. On a fait Le Bagman.»
Le film a été tourné pendant les week-ends de l’été de 2004, sur un coin de rue miteux à Laval, pas très loin du Red Light à l’époque. L’équipe croisait fréquemment des restants de raves lorsqu’elle s’installait tôt le matin et la police était très présente pour surveiller. Évidemment, un groupe de jeunes habillé en hip-hop et couvert de sang, ça attire l’attention… On vous laisse imaginer la suite.
«Le personnage est né dans nos sketchbooks quand on était étudiants au Cégep du Vieux Montréal. C’est là que j’ai rencontré Anouk; on était en dessin animé. C’était un bonhomme qui revenait souvent. À l’époque, il s’appelait “Le sectionneur”! Dans ce temps-là, j’avais des dreads. On avait même fait une petite vidéo un peu cave où il me coupait les cheveux [rires].»
François mentionne Freddy, Jason et The Evil Dead parmi ses influences de l’époque, mais c’est l’énergie folle et les meurtres multiples et très sanglants de Brain Dead de Peter Jackson qui a inspiré le trio pour Le Bagman.
«Côté technique, on ne connaissait absolument rien. Lorsqu’on se retrouvait les trois devant la caméra de vacances, c’était le trépied notre caméraman! On n’avait aucune idée de ce que c’était la correction de couleur ou la direction de photographie. On avait quand même un bon sens du timing et du punch et on suivait nos storyboards à la lettre.»
Évidemment, avec un budget d’environ 2000$ et des poussières, l’équipe devait toutefois trouver des moyens inusités pour couper dans le gras:
«On avait besoin de beaucoup de sang alors on le diluait avec de l’eau, mais il devenait trop transparent. On avait entendu dire que pour le rendre plus opaque, il fallait seulement ajouter un peu de lait. Longtemps, au soleil, disons que c’était un peu dégueulasse. Surtout quand tu en as dans les yeux ou la bouche…!»
De Laval à TromaDance
Le trio, qui n’a jamais fait l’école du cinéma, n’avait aucune idée que le phénomène exploserait à l’échelle de la province… et même plus! Le film a (évidemment) remporté le Prix du public de SPASM en 2004 et s’est retrouvé sur le fameux DVD SPASM Horreur Vol.1, imprimé à 500 copies l’année suivante. Cette même édition a ensuite été distribuée à la grandeur du Québec en mars 2006 par Distribution Select. Bagman était maintenant dans tous les clubs vidéo (il apparaîtra même plus tard dans les publicités cultes du Club Vidéo Beaubien!). Puis, il y a aussi eu le coffret 5 DVDs SPASM.
Sur Google Video, l’ancêtre de YouTube, le film a pu récolter plus d’un million de vues. François regrette encore de ne pas l’avoir téléversé lui-même sur la toile à l’époque; c’est ce qui a permis au phénomène d’exploser à l’extérieur du Québec. La compagnie de production et de distribution européenne Tiberius Film a acheté les droits pour les pays allemands, doublé par des acteurs de renoms dans la région — l’édition DVD de «Bagman – Operation: Massenmord!» est d’ailleurs magnifique! Il existe également une traduction russe et apparemment, le film a aussi trouvé son public en Espagne, où RKSS compte maintenant bon nombre de fans.
Finalement, il s’est aussi promené en festival. Le bagman a pu aller faire un tour à TromaDance à Salt Lake City. L’infâme Lloyd Kaufman avait adoré le film et a invité les Québécois à son festival de courts indépendants. Ces derniers ignoraient qu’ils retourneraient plus tard en Utah à deux reprises, à Sundance cette fois, avec des certains Turbo Kid et Summer of 84…
Bagman, le film?
Depuis les débuts de l’aventure, on nous laisse miroiter que le tueur au sac d’épicerie pourrait avoir son long-métrage. Un scénario a été écrit (un rôle a même été conçu pour Normand Brathwaite, qui avait encensé le court à la télévision) et soumis à la SODEC à deux reprises, sans succès. Le trio ne blâme toutefois pas la frilosité des institutions pour le genre à ce sujet, mais davantage son manque d’expérience. Sur la question toutefois, François se montre toujours optimiste:
«Eddie 69 revient avec une version longue de son court culte La bataille de Farador; tout est possible! On a beaucoup appris depuis et on sait ce qu’on fait maintenant. Si on trouve un financement, je serais prêt à revisiter et faire une nouvelle version du script. Ça nous prend un cool slasher québécois!»
La question de la langue est aussi à considérer. Est-ce qu’on tient à garder Le bagman en français ou on profite de la popularité du genre à l’étranger pour l’exporter un maximum? Côté cœur, la réponse est évidente, mais lorsqu’on prend en considération l’aspect monétaire, c’est un pensez-y bien.
La suite pour RKSS
Roadkill Superstar travaille toujours sur plusieurs projets simultanément, mais les fans du collectif seront heureux d’apprendre que deux de leur productions devraient voir le jour prochainement, dont un tout nouveau projet d’horreur:
«On a une comédie d’horreur qui n’est pas encore annoncée qui regarde très bien. On ne peut pas vraiment en parler, mais on a vraiment hâte! Il y a Turbo Kid 2 aussi. On a remis la dernière version du script juste avant Fantasia et les producteurs sont très contents!»
Si tout va bien, la production des deux films débutera l’an prochain. On devrait donc parler de RKSS à profusion en 2020!
Si vous n’avez jamais vu Le bagman – Profession: Meurtrier, vous pouvez le visionner en entier ci-bas, mais si vous prévoyez assister à la projection de vendredi soir à SPASM, patientez encore un peu! On promet quelques surprises assez intéressantes lors de la fameuse Grande Soirée Horreur, dont la présence du principal intéressé, et il y a fort à parier que la soirée marquera l’histoire du Festival.
«Je ne l’ai pas revu depuis un méchant bout. Probablement depuis 2008. Je me garde la surprise. J’ai un peu peur! [rires] J’espère que les quinze ans vont faire assez de bruit pour faire revivre l’intérêt d’une version long-métrage.»
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