(+ un petit bonus, parce que pourquoi pas)
En tant qu’étudiante en études féministes, je me rends bien compte que le féminisme semble trop souvent paraître aux yeux de plusieurs comme une doctrine maléfique. Nous sommes héritières des sorcières après tout… Mais ne vous laissez pas berner, le féminisme est accessible à tout le monde, même à vous, chers fans d’horreur et de sang! Oui, oui, croyez-moi, parmi vos films cultes, il y a des modèles de femmes fortes qui s’y cachent, des personnages féminins qui n’ont rien à envier aux héros masculins bodybuildés!
Je vous présente ici mon top 5 des films mettant en vedette des personnages féminins plus que badass.
5 – Pearl, Ti West (2022)
Je ne pouvais tout simplement pas ne pas mettre Pearl dans mon top 5. Ce film (et Mia Goth en général) est une obsession chez moi depuis sa sortie en 2022. Pearl m’a marquée, j’ai pleuré (oui, oui!), j’ai ris par moment, mais j’ai surtout passé 102 minutes la bouche ouverte. J’étais en état de transe devant ce film.
Mia Goth nous livre une performance sans faute. Elle joue une Pearl à la fois attachante et détestable. Une jeune femme qui rêve de plus, de grand. Une fille de la campagne qui veut quitter les champs pour devenir une vedette. Malheureusement pour elle, son époque l’enferme dans un carcan et ne la laisse surtout pas en sortir. Pearl refuse de se plier au rôle de la femme soumise, de la boniche invisible : elle prendra le contrôle de sa vie… d’une manière peu conventionnelle.
Dans Pearl, Mia Goth incarne bien plus qu’une simple héroïne dérangée : elle représente la tragédie d’une femme broyée par les normes sociales de son temps. Prisonnière d’une vie rurale monotone, sous l’autorité d’une mère sévère et rêvant d’ascension sociale, Pearl cherche avant tout le droit d’exister en dehors des rôles imposés aux femmes : être épouse, fille, paysanne, discrète et silencieuse.

Tout au long du film, elle lutte contre ces carcans invisibles qui dictent qui elle doit être. Son basculement dans la violence, aussi terrifiant soit-il, devient l’expression brutale d’un refus : celui d’être enfermée dans une vie médiocre et soumise.
Ti West rend hommage à Carrie (1976) et à The Wizard of Oz (1939), tout en signant une déclaration d’amour passionnée au cinéma.
Dans cette perspective, Pearl s’impose comme un récit féministe tragique : non pas parce que son héroïne correspond à un modèle traditionnel, mais parce qu’elle expose, dans toute sa cruauté, ce que le déni d’autonomie et de rêve peut provoquer chez une femme.
Entre folie et désir d’émancipation, Pearl nous prend aux tripes et nous fait fondre le cœur avec son magnifique — et terrifiant — sourire.
4 – Carrie, Brian de Palma (1976)

D’abord personnage du tout premier roman de Stephen King, Carrie incarne à merveille une figure féminine longtemps soumise, qui choisit de reprendre sa vie en main par l’acquisition du pouvoir. Non seulement elle commet un matricide, mais elle anéantit aussi sa ville et ses habitants dans un élan de rage libératrice.
Le parcours de Carrie illustre à la fois le mythe du vagina dentata; cette idée ancestrale du sexe féminin doté de dents, symbole d’une féminité perçue comme castratrice et terrifiante; et le concept de l’abjection en horreur, cher à Julia Kristeva. Toute son existence est marquée par des restrictions : religion étouffante, mère ultra-contrôlante, l’école, les conventions sociales, etc.
Elle est enfermée de toutes parts, jusqu’à ce qu’elle décide de mettre la ville à feu et à sang pour pour renaître de ses cendres.
Son corps, au lieu de rester un territoire soumis, devient l’instrument de sa revanche. Là où, pour la plupart des adolescentes, les premières règles annoncent le passage à l’âge adulte, pour Carrie, elles déclenchent littéralement l’Apocalypse. Une force incontrôlable s’éveille en elle, balayant tout sur son passage.
Le symbole de castration le plus puissant chez Carrie reste sans doute celui de la mère. Prisonnière du complexe décrit par Freud, Carrie subit une emprise qui, dans les sociétés matriarcales, serait exercée par la mère, et dans les sociétés patriarcales, par le père.
Dans son cas, sa mère est la seule figure parentale, ce qui transforme leur noyau familial en une véritable micro-société matriarcale. La domination maternelle est omniprésente : interdiction de porter des vêtements de son âge; comme cette magnifique et pourtant discrète robe de bal; interdiction de sortir, de vivre sa jeunesse… Chaque geste de la mère vise à restreindre, à contrôler, à étouffer.

Ces exemples traduisent une tentative d’assouvir un besoin de contrôle total, fondé sur un pouvoir de castration psychologique. Pour devenir femme, Carrie doit impérativement briser cette emprise. Et la seule voie qu’elle trouvera pour s’en libérer sera le matricide.
Carrie donne envie de se lever, de hurler, et de prendre sa vie en main (ou est-ce juste moi qui suis étrange ? 😅).
3 – Audition, Takashi Miike (1999)

J’ai eu la chance de voir Audition sur grand écran à la Cinémathèque Québécoise lors de leur rétrospective de l’horreur à l’été 2023, ça reste, à ce jour, l’une de mes plus belles expériences de visionnement en salle! Le public riait et encourageait à pleine voix le personnage principal à agir pour changer son destin.
Avant d’être un film puissant et unique en son genre, Audition est d’abord un roman paru en 1997. Tout comme dans son adaptation cinématographique, on y dénonce la place des femmes dans la société japonaise. Elles se doivent d’être des mères aimantes et des épouses attentionnées. Trop souvent, elles se retrouvent enfermées dans une union forcée et un destin qui ne leur appartient pas.
Dans ce film, le but premier des personnages masculins est de trouver une femme à marier à travers un faux casting. La femme sélectionnée pense avoir décroché le rôle de sa carrière, mais, sans le savoir, elle vient plutôt de sceller son sort à celui d’un homme sordide et sans cœur.
Audition est un film pour le moins étrange : le rythme du premier trois quarts est plutôt lent, mais c’est justement pour mieux savourer le basculement final.
Tout explose dans ce dernier quart, au moment où Asami Yamazaki (Eihi Shiina) décide que s’en est assez de ces hommes d’affaires aussi louches que profondément misogynes.
Et c’est là qu’on assiste à l’une des meilleures scènes de torture que j’ai pu voir au cinéma ! Entre rire nerveux et satisfaction trouble, Asami nous fait jubiler de dégoût. Elle reprend les rênes de sa vie de la manière la plus brutale qui soit; et c’est parfait à tous les niveaux.

Audition est un film où l’on prend plaisir à démêler le vrai du faux et où tout est propice à tourner au cauchemar!
2 – Alien, Ridley Scott (1979)
Ripley se devait d’avoir une place de choix dans mon top 5! Sigourney Weaver étant l’une des premières actrices à incarner une femme à la tête au grand écran, je me devais de ne pas la passer sous silence. Non seulement elle tient une grande partie des rênes quant à la direction du Nostromo, mais Ripley est aussi le seul personnage du premier opus à s’en sortir vivant (mis à part Jones, le chat). Contrairement aux films précédemment mentionnés, ici, Ripley ne se bat pas contre le patriarcat, mais plutôt contre une créature immonde.
Du moins, c’est ce que l’on pourrait croire au premier abord. Cependant, la forme phallique de la tête de l’Alien peut nous laisser envisager une certaine symbolique quant au combat mené par Ripley tout au long du film.

Il est intéressant de noter que Ripley n’a pas de prénom avant le deuxième opus où l’on apprendra son identité complète, soit celle d’Ellen Ripley.
1 – Revenge, Coralie Fargeat (2017)
Coralie Fargeat a beaucoup fait parler d’elle dans les derniers mois avec son excellent film The Substance. N’empêche que, pour moi, Revenge reste indétrônable. Ici, on est au cœur d’un rape and revenge, un film où une femme, soumise à son état le plus vulnérable, parvient à renaître plus forte, plus implacable que jamais.
Non seulement Matilda Lutz nous offre une performance saisissante en incarnant Jen, mais Coralie Fargeat signe aussi la véritable genèse de son approche cinématographique : une mise en scène entièrement tournée vers la réappropriation du corps féminin.
Dans Revenge, les hommes ne sont jamais magnifiés. Ils sont filmés de manière crue, répugnante, réduits à des corps grotesques et violents. À l’inverse, Jen devient, à travers l’horreur et la souffrance, le sujet absolu de son propre récit. Ce n’est plus elle qui est regardée ; c’est elle qui regarde, traque, reprend possession de son existence.
Entre body horror viscéral et scènes haletantes, on est de tout cœur du côté de Jen, et je dois l’avouer : souvent, un sourire de satisfaction se dessine sur nos lèvres lorsqu’elle parvient à ses fins.
Revenge n’est pas seulement un film de vengeance : c’est un acte de reconquête, où une femme, littéralement laissée pour morte, impose sa survie et sa puissance dans un monde qui la pensait déjà détruite.

Revenge est un film que j’ai vu il y a quelques années déjà et qui m’habite encore. Le genre de film que l’on aimerait revoir pour la première fois.
Bonus – Jennifer’s Body, Karyn Kusama (2009)
Eh oui, un petit bonus ! Comment ne pas mentionner Jennifer’s Body dans un top 5 comme celui-ci ?Jennifer’s Body est l’exemple le plus direct, le plus cru, et, évidemment, l’un des plus comiques pour mettre de l’avant un personnage féminin puissant, et ce, sans compromis. À travers des dialogues parfaitement loufoques et des scènes absurdes, on voit naître le désir de pouvoir dans les yeux de Jennifer.

Jennifer n’est pas seulement une femme aux pouvoirs surnaturels : c’est aussi une jeune femme qui assume pleinement ses désirs et ose les explorer.
Dans la communauté queer, Jennifer’s Body est souvent cité comme un véritable gay awakening (je ne fais pas exception à la règle… j’ai d’ailleurs un gros sticker de Jennifer et son briquet sur le dessus de mon agenda ).
À mes yeux, Jennifer’s Body incarne l’impact énorme que peut avoir la représentation des femmes, et de leurs corps, au cinéma.
Nous avons besoin de personnages décomplexés pour apprendre à nous forger. Et je crois que ce film a été un marqueur fort pour plusieurs d’entre nous en ce sens.
Son corps, son choix, dans tous les sens de l’expression!
Un regard critique nécessaire
Vous l’aurez peut-être remarqué : quatre des six films de mon top sont réalisés par des hommes. Cela soulève inévitablement la question du male gaze et de son influence sur la représentation des femmes à l’écran. Un exemple frappant : la fameuse scène finale d’Alien, où Ripley, en sous-vêtements, est filmée sous un regard appuyé, sexualisée malgré le contexte dramatique du récit.
Faut-il pour autant rejeter ces œuvres ? Non. Leur portée féministe n’est pas effacée par leurs contradictions. Au contraire, ces films ont ouvert des brèches, pavé la voie à des créatrices comme Coralie Fargeat, Karyn Kusama ou Julia Ducournau, qui continuent aujourd’hui de repousser les limites et d’imposer leur regard.
Apprécier ces œuvres, c’est aussi apprendre à les regarder avec lucidité : reconnaître leur importance, tout en restant attentif·ve aux angles morts qu’elles peuvent encore porter.
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