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[Critique] « Witches » : sorcières et dépression post-partum

Pour celles qui l’ont vécue, la dépression post-partum est un cauchemar, une spirale de panique et de désespoir qui s’enfonce jusqu’en enfer. Des jours sans manger, sans dormir, à répéter le même cycle de trois heures, à compter les secondes. À regretter le passé et exécrer le présent sans croire à l’avenir. À se sentir folle, mésadaptée et maudite — comme une sorcière.

Pour son documentaire Witches, la réalisatrice britannique Elizabeth Sankey tourne la caméra vers elle-même pour raconter l'enfer de sa dépression post-partum. Entourée d'amies, la plupart rencontrées via un groupe de soutien pour nouvelles mères, mais aussi d'expert·e·s, comme un médecin et une historienne, elle examine la relation entre la santé mentale périnatale et l'histoire et la représentation des sorcières dans la culture populaire et le monde occidental.
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Forte de son premier documentaire, Romantic Comedy, une exploration personnelle du genre, et du téléfilm féministe Boobs, Sankey propose ici une œuvre profondément intime qui ne laissera personne de marbre. Narré par sa voix douce et soutenu par une trame sonore aux chœurs féminins qui évoquent The Witch et Yellowjackets, Witches repose largement sur des séquences de films qui mettent en vedette des sorcières, des mères et des femmes aux prises avec des troubles de santé mentale.

On va donc de Häxan à Hereditary en passant par I Married a Witch, La passion de Jeanne d’Arc, The Babadook, Crimson Peak et beaucoup, beaucoup d’autres. Édité par Sankey elle-même, le montage a pour effet (réussi) de projeter les émotions exprimées par les intervenantes sur les visages d’actrices célèbres comme Fairuza Balk, Michelle Pfeiffer et Sandra Bullock.

Witches avance l’hypothèse que les chasses aux sorcières avaient pour but non avoué de purger la société de femmes atteintes de troubles de santé mentale trop sévères pour répondre aux attentes imposées par la structure sociale, notamment celles incapables de s’adapter à la maternité dans les délais jugés alors respectables. Elizabeth Sankey défend cette thèse de manière convaincante en comparant des textes de confessions de femmes exécutées pour sorcellerie il y a plusieurs siècles aux expériences vécues par les intervenantes et elle-même, soulevant des similarités, comme l’apparition récurrente de thèmes et symboles sataniques chez les nouvelles mères souffrant de psychose post-partum.

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Heureusement, souligne-t-elle, cette corrélation n’est pas exclusivement négative : en s’entourant de compagnes qui traversent ou ont traversé les mêmes épreuves, la femme qui cherche du soutien crée son propre cercle de sorcières (ou coven, en anglais) — essentiellement, un réseau fondé sur le partage de connaissances, de bienveillance, de sagesse et de soutien entre membres joints par une expérience commune. À cet effet, le documentaire vante les bienfaits apportés par les « mother and baby units », soit des services psychiatriques qui dispensent des soins hospitaliers aux mères souffrant de problèmes de santé graves et à leurs bébés, et ce, dans le souci de soutenir la relation entre les deux lors du traitement. Ce concept développé au Royaume-Uni tarde toutefois à traverser l’océan : il n’en existe hélas que deux aux États-Unis… et aucune au Canada.

Witches perd un brin de magie lorsqu’il délaisse la poésie de l’essai vidéo adoptée au début pour suivre une approche documentaire plus conventionnelle et didactique. Ce n’est pas qu’il y ait quoi que ce soit de mal avec cette formule traditionnelle qui enchaîne les confessions de Sankey, les interventions des invitées et les extraits de films, mais plutôt qu’on aurait préféré un emballage plus original et artistique du début à la fin. On se laisse toutefois séduire par le pouvoir évocateur de la chambre d’enfant, d’abord délabrée et envahie de végétation, puis coquette et éclaboussée de soleil, dans laquelle sont reçues les intervenantes.

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Avec Witches, les femmes ayant fait l’affreuse expérience d’une dépression ou d’une psychose post-partum, comme l’auteure de ces lignes, peuvent s’attendre à une expérience de visionnement aussi bouleversante que satisfaisante. Moi-même encore hantée par le souvenir de ma propre dépression post-partum il y a plusieurs années, je peux affirmer ne m’être jamais sentie aussi « vue » et comprise auparavant.

Cela dit, il ne s’agit en rien d’un prérequis. Au contraire. En tant que société, nous avons tout à gagner à en apprendre plus sur ce trouble sévère et mal compris, aujourd’hui encore rencontré injustement avec honte et stigmatisation.

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Pour les fans...
de documentaires intimistes
de films et d'histoires de sorcières
4.5
Note Horreur Québec

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