Élever un enfant, c’est compliqué.
Très compliqué.
Évidemment, la dernière chose que l’on puisse souhaiter, c’est de les effrayer ou, pire, de les traumatiser. C’est la raison pour laquelle on cherche à les protéger; la raison pour laquelle on s’assure qu’ils soient exposés à du matériel non violent qui leur soit adapté.
Mais pour les parents qui consomment de l’horreur en masse, il est souvent difficile de conjuguer sa passion et son rôle de parent. Dans le salon, les bibliothèques sont remplies de romans aux couvertures effrayantes et aux titres en lettres dégoulinantes. Les commodes débordent de t-shirts sur lesquels nos personnages préférés brandissent des machettes ou des couteaux de cuisine. Dès que les enfants sont couchés, on glisse un DVD dans le lecteur et les hurlements de scream queens envahissent la maison.
Pour s’assurer que nos enfants vivent bien avec la proximité du matériel horrifique, il y a des règles à respecter.
Par où commencer?
D’abord, il ne faut surtout pas forcer l’horreur à ses enfants. Attendez qu’ils manifestent de la curiosité envers vos films et livres préférés, et encadrez leur découverte en demeurant rassurant et attentif. Selon l’auteur et illustrateur jeunesse Fabrice Boulanger, la période où les enfants commencent à manifester de l’intérêt pour les histoires d’épouvante correspond souvent à celle où ils développent leurs propres peurs intimes, comme celles de l’abandon, de la noirceur ou des animaux et créatures étranges. «Du point de vue de l’enfant, une histoire effrayante peut se résumer à une histoire d’une banalité déconcertante pour nous adultes», explique l’auteur. «Par exemple, l’histoire de la doudou qui est sale et qu’il faut mettre dans la laveuse. Un vrai cauchemar pour les petits, mais on reste loin de L’Exorciste!»
D’ailleurs, le site Naître et grandir s’intéresse ici aux peurs enfantines, attribuant à chaque groupe d’âge ses peurs les plus communes et fournissant des pistes pour aider à les apprivoiser. Les histoires qui font peur peuvent avoir un pouvoir cathartique sur l’enfant qui est disposé à les écouter, à condition de bien se terminer. En effet, l’enfant s’identifie au héros et fait de sa victoire la sienne.
La lecture, quelle horreur!
Souvenez-vous du pouvoir d’attraction des couvertures des livres des collections Chair de poule, ou de votre excitation quand une histoire comportait des fantômes ou des sorcières. Les enfants sont souvent attirés par du matériel destiné à «faire peur», mais pourquoi? «Je pense qu’ils veulent avant tout se rassurer. Les enfants ont tous des peurs, que ce soit du noir, de l’abandon, des vilaines créatures ou d’autre chose. Le fait de lire avec eux des histoires mettant en scène ces peurs, de les dédramatiser par une fin positive, va inévitablement les réconforter. La preuve en est que, bien souvent, ils vont demander plusieurs soirs d’affilée qu’on leur relise la même histoire, comme s’ils souhaitaient apprivoiser leur propre frayeur», explique Fabrice Boulanger.
Pour la jeunesse, Boulanger a réalisé une série d’adaptations de classiques de la littérature fantastique aux Éditions de la Bagnole qui, sans dénaturer le matériel original, vulgarise et dédramatise des récits sombres et violents (Le fantôme de l’Opéra, La main, L’étrange cas du Dr. Jekyll et de Mr. Hyde, etc.), notamment en déroulant un fil conducteur qui interpelle les enfants en évoquant des situations qu’ils vivent ou qu’ils craignent. Par exemple, Frankenstein parle de l’abandon du père et Dracula, du malade qui doit rester alité alors que tout le monde s’amuse dehors. Il existe de nombreux livres thématiques de qualité pour enfant, comme Comment ratatiner les monstres de Catherine Leblanc et Roland Garrigue. L’auteure et illustratrice Élise Gravel a aussi publié plusieurs albums sur les monstres.
Le matériel épeurant nécessite un accompagnement. En lisant avec votre enfant, vous apprendrez à distinguer les sujets qui passent de ceux qui ne passent pas. Vous pourrez intervenir en dédramatisant certains éléments et en éclaircissant d’autres. Au moment de choisir un livre, observez surtout son enthousiasme et sa curiosité. Le facteur le plus important, c’est son désir de lire tel livre plutôt qu’un autre. Assurez-vous ensuite que le matériel soit adapté et corresponde à son niveau de lecture, et voilà!
Trucs en rafale
- Amusez-vous à écrire vos propres livres de peur ensemble. Si vous n’avez pas envie d’écrire une histoire au complet, réalisez plusieurs faux livres en pliant une feuille de papier en deux. Il suffit alors de trouver un titre, de dessiner une couverture et de rédiger un résumé effrayant à l’arrière!
- Discutez ensemble du livre que vous venez de lire et imaginez différentes issues pour une histoire.
- Décrivez les illustrations en faisant appel aux émotions, par exemple: «Regarde le dragon seul dans sa tour de château, il doit s’ennuyer…».
- Expliquez le sens de jeux de mots et d’expressions comme «mort de peur»: les enfants comprennent souvent les choses littéralement, surtout entre deux et quatre ans, et certains passages peuvent donc laisser une impression très vive.
- Si vous avez quelques Chair de poule et Frissons qui trainent, faites-les découvrir à vos enfants (s’ils sont assez vieux, bien sûr!)
Le pouvoir d’attraction du cinéma
Attendez-vous à des erreurs de jugement et, surtout, des surprise en cours de route. La peur est une émotion profondément suggestive. N’oubliez pas que chaque individu, adulte ou enfant, a des limites et un seuil de tolérance qui lui sont propres: pensez à toutes les fois où un film pourtant vanté par des amis ou la critique vous a laissé de marbre! Alexandre rapporte avoir été étonné par la réaction de sa fille qui, à 4 ans, a été terrifiée par la scène de La ruée vers l’or où un homme affamé prend Charlot pour un poulet géant et le pourchasse avec une hache. Ce qui vous parait banal ou amusant peut être terrifiant pour un enfant mais, au contraire, une scène qui vous a effrayé la première fois que vous l’avez vue pourrait bien le faire éclater de rire. Si vous n’êtes pas sûr qu’ils soient prêts pour tel film ou tel livre, laissez tomber, mais ne vous en voulez pas trop si vous vous trompez. Il est difficile de prévoir ce qui fera réagir!
Drôle de hasard, deux de nos panélistes ont rapporté des expériences aux antipodes avec le même film: Gremlins! Depuis quatre ans, Alexandre l’écoute à chaque année avec sa fille, et son fils de neuf ans a participé au visionnement pour la première fois cette année avec succès. Pourtant, lorsque Fabrice a voulu écouter le même film avec son fils de dix ans, ils se sont arrêtés dès que Gizmo est tombé à l’eau!
Louis (quatre ans) raffole des films de monstres. Parmi ses préférés, on retrouve Paranorman, Monsters Inc., Coraline, The Nightmare Before Christmas et même The Monster Squad. Ces films ont-ils développé des peurs ou des phobies? La question fait rire sa mère, Jacinthe: «Au contraire, Passe-Partout a fait plus de dommage. Quand il était petit, il a fait un cauchemar avec Alakazou et depuis ce temps, il en a peur.» Quant à Marybel, elle a fait découvrir à Alice, sept ans, la bonne vieille série Goosebumps sur Netflix. «Je partage ces moments cinématographiques et littéraires avec eux. Ça nous permet d’en discuter, de diminuer les craintes et, bien entendu, de nous rapprocher.»
Si votre enfant manifeste trop de peur lors d’un visionnement, ne vous moquez pas de lui: prenez une pause, rassurez-le et ne recommencez pas sans son autorisation. Assurez-vous qu’il ne se force pas à subir une initiation par peur de vous décevoir. L’horreur doit demeurer une chose amusante!
Trucs en rafale
- Créez une ambiance rassurante, par exemple en gardant les lumières allumées, en montant une tente ou en écoutant un film en plein jour.
- Invitez votre enfant à écouter des comédies d’horreur avec vous, comme Little Shop of Horrors ou Young Frankenstein.
- Pensez à des films d’animation comme Hotel Transylvania ou Monsters, Inc..
- Le noir et blanc aide à se distancier de l’écran: c’est le moment de revisiter les films de monstres de la Hammer.
- Démystifiez les films en amenant les enfants à s’intéresser au maquillage et aux effets spéciaux qui les rendent si horrifiants. Que ce soit sur YouTube ou dans les bonus d’un DVD, il est fascinant (et rassurant) de voir les nombreuses étapes qui permettent de créer un monstre ou une scène d’action.
On s’amuse avec des choses qui font peur
L’horreur de vieillir, c’est d’oublier comment jouer! Pour les enfants, le jeu présente une myriade de bienfaits. Ils les entraînent à développer toutes sortes d’habiletés, qu’elles soient sociales ou motrices. En jouant, les enfants apprennent notamment à se faire confiance, à exprimer leurs désirs et émotions et à résoudre des problèmes. En plus, la créativité qu’ils démontrent et développent les aide à distinguer le rêve de la réalité, chose importante quand on parle de leur relation à l’épouvante. Un enfant qui développe son propre scénario effrayant en jouant apprend à prendre action et confronter ses peurs.
Les créatures de la nuit ne sont pas toujours effrayantes: pensez à l’adorable Casper ou aux créatures farfelues de Monsters Inc.. Même les jouets mutants du premier Toy Story ne sont pas aussi menaçants qu’ils en ont l’air. On retrouve aujourd’hui une panoplie de jouets, de vêtements et d’articles de décoration qui mettent en vedette de petits monstres. La proximité d’objets qui place des créatures autrement effrayantes dans des situations banales, loufoques ou attendrissantes peut aider à les rendre plus attachantes et, qui sait, à développer un amour pour l’épouvante qui pourrait rivaliser avec le vôtre.
Tous les parents le savent: vos décisions sont toujours examinées à la loupe. Les conseils non sollicités viennent de partout: la famille, les amis, les inconnus, les médias sociaux… En exposant vos enfants à un certain niveau d’épouvante, c’est une chose à laquelle vous devez vous attendre, aussi frustrante puisse-t-elle être. Malgré certains regards désapprobateurs, Marybel ne regrette pas d’avoir amené son fils à la Marche des Zombies alors qu’il avait un an. «Il n’a pas eu peur du tout. Il trouvait drôle que tout le monde fasse des grognements de zombies. Pendant plusieurs jours, il grognait et éclatait de rire. Il a franchement eu du plaisir», se souvient-elle. «J’ai entendu plusieurs fois “as-tu vu, elle a apporté son bébé. Franchement!” et d’autres répliques poches du genre. Heureusement que je me fous de ce que les autres pensent. J’ai eu des réactions semblables aussi à cause des vêtements avec des têtes de mort que je leur mettais lorsqu’ils étaient petits.»
Trucs en rafale
- Si vous courez les conventions et les Comiccon, amenez-y vos enfants et amusez-vous à vous déguiser en personnages de films. Encouragez-les à prendre la pose avec d’autres visiteurs costumés s’ils le veulent.
- Trouvez des illustrations amusantes et colorées qui mettent en spectacle vos créatures préférées: un loup-garou qui joue de la batterie, par exemple, ou un bébé Freddy Kruger perdu dans un sommeil paisible.
- Choisissez des vêtements et objets qui humanisent les monstres et les présentent sous un jour favorable.
- N’attendez pas Halloween pour réaliser des bricolages horrifiques ou «dégueulasses»: de la glue, des vampires à partir d’empreintes de main, des monstres en assiette de carton…
- Aidez votre enfant à ne plus avoir peur du noir en faisant des ombres chinoises sur le mur. Louez un livre à la bibliothèque et exercez-vous ensemble!
- Pour expliquer l’inexplicable, apprenez des tours de magie.
- La science peut aussi expliquer ou du moins démystifier des choses épeurantes. Faites un tour à l’Insectarium ou apprenez à faire du faux sang, par exemple.
- Amusez-vous aussi avec la nourriture. Cette recette de biscuits fossiles devrait être très populaire!
- Rendez-vous à votre boutique de jeux de société préférée et demandez au conseiller s’il a des jeux thématiques à recommander.
Et vous, comment conjuguez-vous votre passion pour l’horreur à votre rôle de parent? Avez-vous des anecdotes, des photos, des conseils? N’hésitez pas à les partager avec nous et à poursuivre la communication avec votre entourage!
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