Steph Dumais est un créateur de BD d’horreur trash, rempli d’imagination, qui a entre autres travaillé sur la série Zombie Commandos From Hell!. Il a aussi participé à une multitude de collaborations intéressantes et rêve du jour où il pourra vivre pleinement de son art.
Horreur Québec s’est entretenu avec l’auteur-illustrateur, question d’en apprendre un peu plus sur son art:
Horreur Québec — Peux-tu nous expliquer ce que fait la compagnie Bloody Gore Comix?
Steph Dumais — BGC était à la base un projet de maison d’édition personnelle pour ma série Zombie Commandos From Hell!, une façon de brander ma série après être passé par deux maisons d’édition américaines auparavant. Les numéros 1 à 4 étaient publiés par Boneyard Press, qui ne me payait pas malgré une entente (ni d’autres créateurs comme je l’ai découvert plus tard) et le numéro 5 a été publié par Frightworld. Après que Frightworld ait mis un terme à ses opérations, j’ai décidé de lancer BGC. Je me suis allié avec Adam Geyer et Will Broad pour publier leurs BDs sous le même brand et d’autres créateurs nous ont joint par la suite. Nous ne faisons pas affaire avec un distributeur, nos opérations se font tous en ligne via bloodygorecomix.com et lors d’événements, comme les Comiccon. Nous échangeons aussi avec d’autres créateurs et éditeurs qui présentent nos publications dans leurs événements respectifs. Bref, BGC est une maison d’édition indépendante de comics d’horreur vulgaires.
HQ — Comment se déroule le processus de création? Je présume que l’histoire vient avant les dessins, mais comment travailles-tu et avec quel médium?
SD — Habituellement je prends des notes à mesure que des idées me viennent en tête et je les sketche plus tard. Le processus habituel consiste à me faire un genre de story-board très rough au crayon en petit format, juste pour établir le flow, les angles de vues et le nombre de pages. Si des designs de personnages, structures, véhicules, etc., sont à faire, je sketche librement jusqu’a ce qu’un look me satisfasse. Il m’est arrivé quelques fois d’utiliser des photos ou des modèles 3D pour réaliser des angles plus difficiles à faire à main levée (que je refais par la suite à main levée pour les pages finales).
Ensuite je dessine les pages elles-même au crayon bleu (pour faciliter le scan des encres qui viennent après) sur des 11×17. Pour ce qui est de mes découpages en cases, j’ai pris goût aux cases pleines largeur, habituellement quatre par page, pour un feeling de shot de cinéma. Je commence par ce découpage à l’encre, suivi de l’encrage des dessins. Je ne détaille pas beaucoup mes crayonnés; la plupart des détails se font spontanément au stade d’encrage. J’utilise surtout des Pilot Fineliner, Copic Brush Pen et des Sharpies.
Dernièrement, j’ai expérimenté avec ce même procédé, mais complètement dans Photoshop avec ma Wacom [une tablette graphique], que je n’utilisais auparavant que pour colorer. Habituellement, je fais mes illustrations sur papier, puis les couleurs dans Photoshop, mais dernièrement, j’expérimente à faire tout le processus dans le logiciel en y incluant le crayonné et l’encrage.
Quand je travaille avec des scénaristes, comme ce fut le cas avec Douglas Rushkoff (Club Zero G) et Steve Murphy (TMNT), je sketche des layouts à partir de scénarios pas trop détaillés. Les scénaristes adaptent ensuite les dialogues selon mes scènes.
Pour le Zombie Commandos From Hell!, le processus de création a été particulier. C’était d’abord un projet collaboratif entre moi et Jason Karns (Fukitor). On improvisait chaque page chacun notre tour pour en faire un genre de comics jam. D’autres artistes se sont joints à nous et après quelques années, un vrai scénario a finalement pris forme dans ma tête. J’ai alors décidé à partir du numéro 5 de continuer seul à illustrer la série, cette fois à partir du scénario écrit d’avance. Celui-ci a changé un peu au cours des dernières années, mais la ligne directrice et la grande finale sont établis depuis longtemps.
HQ — Comment t’es venue l’idée de te lancer dans les bandes dessinées d’horreur trash?
SD — C’est une continuation de mes fanzines Raisinlove, que je dessinais et distribuais étant ado. Mais plutôt que d’abandonner mes thèmes morbides de l’époque, j’ai continué à les développer. Mes goûts en BD, en films et en musique ont formé mon esthétique. J’explore aussi d’autres thèmes bien-sûr. Mais l’horreur trash est ce qui m’amuse le plus.
HQ — Je sais que tu joues dans le vidéoclip de Le Matos, qui est une sorte de prequel au film Turbo Kid. Est-ce que l’ambiance sur ce tournage a eu une quelconque influence sur le bédéiste en toi?
SD — En fait, dès que j’ai vu Turbo Kid pour la première fois, ça cadrait déjà avec l’univers que j’ai établi dans Zombie Commandos. Le post-apocalyptique, les mutants, les cyborgs, la secte religieuse… Le tournage s’est fait sous un soleil plombant en plein juillet à Thetford Mines. Je fondais sous ma toge de moine, mais je ne pouvais m’empêcher de m’imaginer dans un monde futuriste et dangereux. C’est clair que ça me travaillait l’imagination!
HQ — On dit souvent du genre horreur qu’il métaphorise des problèmes actuels de la société. Est-ce que ton travail camoufle certains malaises actuels de ce monde dont tu es témoins?
SD — Je n’ai jamais consciemment cherché à illustrer de telles métaphores, mais elles viennent automatiquement avec le genre. On voit clairement que nos systèmes politiques, notre écosystème et les individus eux-mêmes sont fragiles. J’illustre surtout l’horreur d’un retour au monde sauvage, hors de notre bulle de confort, du moins pour les privilégiés. J’explore rarement les horreurs psychologiques. Ce sont surtout les thèmes de survie et la violence directe qui me fascine, graphiquement avant tout.
HQ — Quelle sont les prochaines étapes dans ta carrière d’artistes?
SD — J’ai plusieurs projets en cours. J’ai commencé une BD cyberpunk à propos d’un genre de messie de destruction dans un monde dystopique. Ensuite il y a le deuxième tome de mon anthologie d’horreur, pour laquelle je vais contribuer des histoires courtes ultra-violentes. J’ai aussi un projet de BD fantastique mettant en scène des samouraïs morts-vivants. Difficile de dire comment je vais réussir tout ça dans un délai raisonnable, considérant que j’ai en plus un emploi à temps plein et une petite famille à m’occuper! Cela dit, Zombie Commandos prend une pause avant que je passe aux 2 tomes finaux de ma série.
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HQ — Pour cette seconde partie de l’entrevue, on aimerait te poser des questions sur toi. Quelles est la meilleure BD que tu as lue dans ta vie?
SD — C’est difficile d’en choisir juste une! Mais Deadworld, illustrée par Vince Locke et publiée par Arrow Comics et Caliber press, m’a profondément marqué. Je trippe solide sur Crumb aussi. Frank Miller me déçoit rarement. La série Crossed de Avatar est incroyablement brutale!
HQ — On sait qu’une BD peut avoir la forme d’un story-board. Y-a-t-il un réalisateur de films d’horreur qui t’influence dans la construction de tes BD?
SD — Je ne suis pas un véritable movie buff, mais j’aime les plans très BD de Sam Raimi. Jason Eisener m’a impressionné avec Hobo With A Shotgun. Et Fury Road de Miller est le meilleur film que j’ai vu dans les derniers 10 ans! J’ai beaucoup apprécié son approche, comment il centrait tout pour un effet in your face.
HQ — Quel est le meilleur film d’horreur que tu as vu récemment et qui aurait pu faire une excellent BD, selon toi?
SD — Je viens de voir Alien: Covenant, que j’ai aimé, mais qui m’a laissé sur ma faim. Dark Horse a très bien réussi à représenter l’horreur de cet univers avec leurs séries. Sinon Bone Tomahawk était assez sanglant et me rappelait les numéros de Crossed mettant en vedette un peuple préhistorique ultra-sadique.
HQ — Tes BD abordent différents thèmes, mais les zombies sont très présents. Au cinéma qu’est-ce qui te terrifie le plus: les psycho-killer, les esprits, les zombies…?
SD — Je ne suis pas tant fan des psycho-killers et des esprits. Ce que j’aime ce sont les monstres et les situations épouvantables. Et le gore! Les films de torture ne m’intéressent pas, mais ils sont certainement terrifiants. La vraie terreur, c’est perdre la sécurité qu’on prend pour acquis dans notre pays riche.
HQ — Est-ce que c’est ton amour du cinéma d’horreur qui t’a poussé vers la BD ou la BD t’a introduit vers certains classiques? Y-a-t-il un film catalyseur vers ton art?
SD — J’étais déjà amateur de BD quand je me suis de plus en plus intéressé aux films d’horreur, mais enfant, j’étais déjà exposé à ceux-ci, puisque ma mère est aussi une fan. Ce sont les films de possessions démoniaques qui l’intéressent plus. Les films qui venaient me chercher étaient ceux avec des monstres avec qui l’on finissait par sympathiser, mais maintenant mes goûts se tournent plus vers la science-fiction d’horreur. Ça ne compte pas comme un film d’horreur, mais Robocop est l’esthétique idéale pour moi.
HQ — Différentes BD sont adaptées au cinéma et connaissent un succès phénoménal. Que penses-tu, par exemple, de la série télé The Walking Dead?
SD — Je trouve que ça rend bien justice à la BD, quoi que j’aie un peu perdu intérêt puisque je gravite plus vers les films que les séries. J’ai vraiment apprécié les effets et le gore. Vraiment dans les plus réussis! Il y avait des rumeurs de traduire Crossed en série, mais je suis très sceptique. C’est tellement extrême, que la version live action serait probablement trop diluée. Je fantasme toujours sur ma propre série ZCFH traduit en film! Qui sait, la gang de Turbo Kid pourrait peut-être rendre ça possible un jour… On peut toujours rêver!
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HQ — Nous voici à la dernière partie de notre entrevue, mais non la moindre. Tes BD sont remplies d’horreur et de trash. Peux-tu nous nommer tes 6 films d’horreur préférés?
SD — J’ai réalisé que beaucoup de mes favoris sont des films canadiens:
Hobo With a Shotgun me rappelle Robocop: dystopie libertarienne trash, esthétique extrême (les couleurs, les armes, les costumes, les actes de violence) et un soundtrack de la mort.
Cube était l’un des films les plus terrifiants que j’ai vu à cause d’une scène où le fonctionnaire explique sa théorie sur le cube, qui n’a été conçu par personne, mais fut plutôt le résultat d’une succession d’erreurs bureaucratiques. Ce fut malheureusement gâché quand l’origine du cube a été expliquée autrement dans la suite. Je trouvais horrible qu’une telle torture précise apparaisse tout à fait par accident.
Et plus récemment, Beyond The Black Rainbow, qui me fascine par son ambiance lourde et mystérieuse (et sa soundtrack incroyable!). J’aimerais en voir plus comme ça, voire une suite!
Ensuite du côté américain, les films Alien sont mes favoris, tous genres confondus. Le Xénomorphe est une machine froide et calculée de destruction! Plus efficace que n’importe quel monstre, on sent dans chaque film qu’ils finiront par exterminer l’humanité et peut-être toute vie dans la galaxie. Predator figure aussi dans mes tops.
A cause de ma série de BD, on assume que je suis un fan fini des zombies, mais c’est le côté apocalyptique qui m’émerveille comme avec Dawn of the Dead et Day of the Dead. J’ai vraiment aimé les éléments de survie de ces films. En revanche, le film italien Zombi 2 est un grand classique pour moi. Horrifique et encore une fois une trame sonore excellente. C’est un peu plus que 6 et j’en oublie surement d’autres, mais ceux-ci me sont venus immédiatement en tête.
Les intéressés pourront découvrir les BD de Steph Dumais en les commandant sur le site Bloody Gore Comix, ou en visitant Raisinlove. Nous vous invitons à découvrir cet artiste de chez nous!
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