Deux ans après le succès monstre de Dahmer – Monster : The Jeffrey Dahmer Story, Ryan Murphy et Ian Brennan s’unissent de nouveau à Netflix pour propulser une autre série dramatique de crime-réalité au sommet de la controverse et des cotes d’écoute : Monsters : The Lyle and Erik Menendez Story, une flamboyante satire basée sur le double assassinat du couple de milliardaires Jose et Kitty Menendez en 1989. Si la culpabilité de leurs fils, incarcérés depuis 1996, n’est pas remise en doute, leurs motivations soulèvent encore les débats chez nos voisins du sud… et maintenant dans le monde entier.
Lorsqu'Erik et Lyle Menendez tuent leurs parents à Beverly Hills à la fin des années 1980, l'affaire fait sensation dans les médias, l'accusation arguant que les frères ont commis leur crime afin de toucher un héritage monumental et la défense arguant qu'ils ont agi en état de légitime défense après des années d'abus sexuels de la part de leur père.
Le spectre de Patrick Bateman plane au-dessus de Monsters, une référence obligée pour ces personnages de jeunes héritiers arrogants aux narines poudrées et aux muscles gonflées. Murphy se moque du glitz des années 90 et de la vanité des nepo babies en faisant appel au souci du détail et à l’humour camp de Pose et The Assassination of Gianni Versace : American Crime Story pour servir des gags bien sentis (la chanson-hommage de Milli Vanilli, l’obsession de Lyle pour la colle à perruques Topstick) et des répliques qu’on pourrait imprimer sur des t-shirts (« You should wear that amethyst crystal I got you… Your third-eye chakra’s a little off! »). Parée d’une trame sonore entraînante et d’une distribution solide, la série jouit d’un montage dynamique qui garde le téléspectateur scotché à l’écran, et ce, malgré un ton inégal qui se cherche un peu, entre comédie noire et drame judiciaire réaliste.
Bien que divertissante, l’histoire racontée dans Monsters: The Lyle and Erik Menendez Story se situe toutefois à mille lieues de la réalité. Brennan et Murphy peuvent se vanter de poursuivre une démarche aussi créative qu’objective, la manière dont ils traitent les allégations des frères à l’écran prouve que le sens du spectacle les anime bien plus que celui du devoir éthique. Les scènes où Lyle et Erik accusent leurs parents de les avoir abusés sont visiblement conçues pour semer le doute, voire le mépris, dans l’esprit de l’auditoire.
Car tout n’est ni noir ni blanc dans l’affaire Menendez. Que vous croyiez que Jose et Kitty ont réellement fait vivre un calvaire à leurs enfants ou que ceux-ci ont inventé cette sordide affaire d’abus sexuels pour obtenir la sympathie du public et du jury, force est d’admettre que les deux théories n’ont pas reçu le même traitement impartial en cour juridique. Le juge présidant le deuxième procès ayant jugé que les preuves des abus sexuels présumés seraient irrecevables, celles-ci ne furent effectivement pas présentées, de sorte que la défense fut privée non seulement du témoignage d’un cousin en sa faveur, mais aussi de dossiers médicaux démontrant qu’Erik fut traité pour une blessure au fond de la gorge compatible avec un viol oral à l’âge de 7 ans — dans la série, cette lésion est faussement infligée à l’âge adulte lors d’une chute avec un popsicle dans la bouche. Dans un exemple flagrant de sexisme, d’homophobie et de culpabilisation de la victime, l’accusation aura aussi maintenu qu’il était impossible pour un homme de se faire violer.
C’est une chose de ne pas montrer les deux côtés de la médaille dans la série, mais c’en est une autre de fabriquer des mensonges diffamatoires. En plus de présenter Erik, qui est marié à une femme depuis 1999, comme un homme homosexuel, Murphy et Brennan soulèvent la thèse que les deux frères entretenaient une relation incestueuse, une décision qu’ils défendent malgré la controverse engendrée auprès du public comme de la famille Menendez, qui n’a d’ailleurs pas été consultée lors du développement de la série. Les co-créateurs ont aussi choisi de ne pas inclure les récentes allégations du chanteur portoricain Roy Rosselló, qui dit avoir été drogué et violé par Jose Menendez alors qu’il était mineur.
Seul le cinquième épisode apporte une touche de nuance et d’empathie lors d’une séquence en une seule prise de plus de trente minutes au cours de laquelle Erik se confie à son avocate Leslie Abramson (Ari Graynor, The Disaster Artist). La simplicité des lieux et la lenteur du travelling n’opposent aucune distraction à la cruauté des actes décrits par le jeune homme et laissent toute la place à l’émotion brute qui semble animer l’acteur Cooper Koch (Swallowed, They/Them). Efficace, la scène ne suffit toutefois pas pour défaire les efforts déployés par Monsters pour manipuler le public.
Métadiscours ou flagrant délit d’indifférence, Monsters se conclut au son de Don’t Dream It’s Over de Crowded House, dont les paroles reflètent cette écrasante victoire du divertissement sur l’information, du voyeurisme sur la réalité :
In the paper today, tales of war and of waste
But you turn right over to the TV page.
D’un côté, on a une série franchement divertissante malgré son ton inégal ; de l’autre, on a affaire à un cas classique de true crime sensationnaliste qui déforme la réalité. Quoi faire de tout ça? Aux téléspectateur·trice·s de décider quelles sont ses priorités. Pour leur part, Ryan Murphy et Netflix n’ont aucunement l’intention de laisser tomber cette vache à lait : annoncée pour la fin 2025, la troisième saison de Monster portera sur Ed Gein, avec Charlie Hunnam (Pacific Rim) dans le rôle du célèbre tueur.
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