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[Critique] « The Crow » (2024) : un corbeau qui a perdu des plumes

Depuis qu’il a été annoncé en 2008, le reboot de The Crow (Le corbeau) est passé par autant de revirements que son personnage principal. Après Stephen Norrington (Blade), Juan Carlos Fresnadillo (28 Weeks Later), F. Javier Gutiérrez (Rings) et Corin Hardy (The Nun), le projet a finalement atterri entre les mains de Rupert Sanders (Snow White and the Huntsman), le rôle principal échappant à Jason Momoa pour revenir à Bill Skarsgård.

Le film enfin en salle, voyons si l’attente en aura valu la peine.

Le coup de foudre est instantané entre Eric Draven et Shelly. Ensemble, ils s'échappent du centre de réhabilitation où ils se sont rencontrés pour se réfugier en ville, où ils vivent d'amour et d'eau fraîche (et d'ecstasy) jusqu'à ce que le sombre passé de Shelly les rattrape et qu'ils soient tous les deux brutalement assassinés. Eric se réveille dans les limbes, où il conclut un marché avec un personnage mystérieux : son âme contre celle de son amoureuse, à condition de tuer tous les individus responsables de leur mort. 
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C’est en 1994 qu’Alex Proyas (Dark City) adaptait la série de romans graphiques The Crow de James O’Barr pour le grand écran. Pour le réalisateur comme pour les producteurs, il ne faisait aucun doute que cette histoire de justicier vengeur saurait cimenter la carrière de Brandon Lee, le fils de Bruce Lee. Le destin en aura voulu autrement : le jeune acteur y perdit plutôt la vie en plein tournage, atteint par une vraie balle restée coincée dans le calibre d’un revolver chargé de cartouches à blanc. Il avait 28 ans et son mariage était prévu deux semaines plus tard. Cette tragédie aura toutefois pour effet d’envelopper le film d’une aura de mysticisme et d’en faire un hommage au talent et au charisme de sa star.

Devant un tel héritage, avait-on raison de ramener Eric Draven des morts?

La réponse est non.

Cela dit, The Crow n’est pas aussi mauvais que sa bande-annonce le laissait présager et pas juste parce qu’on n’y entend pas l’infâme pièce « Take What You Want from Me », une collaboration entre Ozzy et Post Malone qui n’aurait jamais dû exister. Le reboot de Rupert Sanders possède quelques qualités rédemptrices, comme un Bill Skarsgård en forme et une trame sonore efficace. Malheureusement, entre autres péchés, ce récit de vengeance commet le sacrilège ultime : celui d’un film lent dont le personnage éponyme passe beaucoup plus de temps à broyer du noir et à échanger des bisous avec sa blonde qu’à se venger.

Qu’est-ce qui ralentit la cadence? Commençons par cette volonté d’élargir l’univers de The Crow avec plusieurs déviations du texte canon, notamment en faisant de l’antagoniste principal (Danny Huston, infiniment moins charismatique que Michael Wincott dans la version de 1994) un amateur d’opéra qui, ayant signé un pacte avec le diable, possède le pouvoir de convaincre ses victimes de se tuer ou de tuer d’autres personnes parce que, euh, c’est pas ben ben clair? En plus d’être ennuyeuse et de nous distraire de l’intrigue principale, cette idée non aboutie soulève plusieurs questions sans y répondre, avec l’intention à peine dissimulée de laisser la porte ouverte à une suite possible.

Vient ensuite tout l’accent mis sur l’histoire d’amour entre Crowméo et Juliette, qui se raconte au cours de nombreux montages cuculs et sensuels qui auraient plus leur place dans une publicité de parfum. Si les roulements d’yeux sont fort justifiés, rappelons toutefois aux puristes que le scénario de 1994 comprenait lui aussi des scènes à l’eau de rose, exclues du produit final pour la simple raison que Lee est décédé avant d’avoir pu les tourner. L’absence de moments partagés entre les amoureux à l’écran causait d’ailleurs l’une des plus grandes failles du film original, soit le fait que Shelly soit sans passé ni personnalité.

TheCrow Bill Skarsgard FKA Twigs

Cette version de 2024 pallie à ce manque en développant le personnage de la jeune femme encore plus que celui de son compagnon, même si on nage dans le cliché de l’artiste délicate et torturée qui parle en fables et semble évoluer dans un monde à part. La chanteuse et danseuse FKA Twigs s’en tire de manière correcte, sans plus. Qu’importe : c’est Skarsgård qu’on est venu voir, curieux de savoir s’il saurait répéter l’exploit de réinventer l’une des plus grandes icônes du cinéma d’horreur comme il l’a fait avec Pennywise.

Pour sa défense, l’acteur parvient à infuser son personnage d’une dose de vulnérabilité, et ce, malgré ses montagnes de muscles et ses tatouages de rappeur TikTok1. Mais même si son talent est indéniable, force est d’admettre que la cause était perdue d’avance : Eric Draven portera toujours les traits de Brandon Lee. Non seulement parce que sa mort tragique flottera toujours au-dessus de l’œuvre comme un linceul, mais aussi parce que son jeu énergique et expressif transcendait l’écran en nous laissant voir l’homme au-delà de l’esprit vengeur. Une pirouette, un sourire en coin, une étincelle dans les yeux : il y avait chez Brandon Lee quelque chose de profondément vivant, un je ne sais quoi qui manque à la performance de Skarsgård.

Bien qu’il en ait appris les rudiments pour les besoins du film Boy Kills World, Skarsgård n’est pas un maître des arts martiaux. Les scènes de combat se déroulent donc principalement à coups d’armes à feu, du moins jusqu’à ce que le protagoniste mette la main sur un katana et se déchaîne au cours d’une confrontation aussi épique que musclée. Le problème, c’est qu’il faut attendre au troisième acte pour en arriver là. En effet, Eric peinant à accepter, puis à maîtriser le pouvoir de vengeance qui lui est octroyé, les affrontements qui précèdent sont aussi courts que maladroits. Qui plus est, l’élan soulevé par cette bataille dynamique ne subsiste pas, et la joute finale déçoit par sa courte durée et sa chorégraphie simplissime.

Bref, le reboot de Rupert Sanders perd tellement ses plumes qu’il fait moins corbeau que petit canard à la patte cassée. Rendez-vous service et attendez sa sortie en vidéo sur demande!

  1. Parmi ceux-ci, notons deux choix assez cringe merci : un portrait cubiste dont l’œil se trouve à être le mamelon de l’acteur, puis les mots « good boy » au-dessus du nombril, avec une croix sur le mot good. Gênant. ↩︎
Note des lecteurs6 Notes
Pour les fans...
de guns
de « speed ramping »
de tatouages?
2
Note Horreur Québec

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