Après une plongée dans la psychologie des fans de tueurs en série et l’observation de la figure du meurtrier, notre dossier True Crime se conclut avec l’intrusion de l’humour dans la serial killer culture et, surtout, des enjeux qu’elle soulève.
My Favorite Murder: humour et transgression
Depuis ses débuts en 2016, le podcast My Favorite Murder a atteint des sommets de popularité avec près de 19 millions auditeurs par mois. Dans une mer de baladodiffusions true crime, MFM se distingue par l’humour noir de ses hôtesses, Georgia Hardstark et Karen Kilgariff. Leurs fans, affectueusement surnommées murderinos, sont pour la majorité des femmes féministes dans la vingtaine ou la trentaine; elles ont été nombreuses à assister à la tournée internationale de 2018 qui a menée le duo de Las Vegas à Glasgow.
Le mélange de true crime et comédie ne plaît pas à tout le monde. Des spectateurs mécontents ont d’ailleurs interrompu un spectacle à Melbourne en 2017, au point de faire pleurer l’une des co-animatrices. Pourtant, Hardstark et Kilgariff maintiennent que leur humour n’a rien d’irrespectueux; irrévérencieux, oui, mais toujours avec égard envers les victimes et leurs familles. Notons d’ailleurs qu’elles n’adulent pas les serial killers et n’excusent pas leurs gestes. Selon elles, leur humour serait une réaction normale envers un problème de société.
Dans un article du New York Times, une murderino explique l’ampleur du phénomène par une forme de rébellion envers cette pression sociale voulant que les femmes gardent un esprit léger et évitent d’aborder des sujets plus sombres. Il y aurait aussi un plaisir cathartique au fait un pied de nez à la menace constante de violence misogyne qu’elles endurent — une théorie d’ailleurs appuyée par une étude publiée dans le Social Psychological and Personality Science en 2010. La comédie permettrait donc de désamorcer un climat toxique, encore plus dans un safe space composé principalement de femmes.
My Favorite Murder encouragerait aussi la conversation autour des troubles de santé mentale. Toutes deux des adeptes de la thérapie, les co-animatrices n’hésitent pas à aborder des sujets comme l’anxiété, la boulimie et la dépression. Elles parlent d’ailleurs en long et en large de leur propre lutte contre de tels problèmes dans leur livre Stay Sexy & Don’t Get Murdered: The Definitive How-To Guide, paru le 28 mai 2019.
À réfléchir: la question de l’âge et de la race
De nombreuses ressources consultées pour l’écriture de notre dossier soulignaient que la grande majorité des tueurs en série qui font l’objet de cultes importants sont des hommes blancs américains. En effet, à quelques exceptions comme Richard Ramirez, les meurtriers réussissent à capturer l’imagination des médias et du public au point où leur héritage éclipse le souvenir de leurs victimes partagent la même couleur de peau.
Nous accordons beaucoup d’emphase au passé de ces hommes blancs, comme pour expliquer, voire justifier, les horreurs qu’ils ont commises: untel a été élevé dans une famille dysfonctionnelle, un autre a été abusé sexuellement, un troisième était le souffre-douleur de son école… La journaliste Sandra Song maintient que cette tendance à peindre d’eux un portrait plus sympathique ou sensationnel est encore plus dangereuse lorsque ledit portrait est présenté à une génération trop éloignée des événements pour bien en saisir l’impact.
Ainsi, la génération Z aurait une attitude relâchée face à des meurtriers qu’elle ne connait qu’à travers leur représentation glamourisée à la télévision ou au cinéma, souvent par des acteurs qu’elle a appris à aimer et à désirer comme Ross Lynch (My Friend Dahmer), Zac Efron (Extremely Wicked, Shockingly Evil and Vile) ou Matt Smith (Charlie Says). Trop éloigné des événements dans le temps et gavé de récits romancés qui accordent peu d’espace aux victimes, le jeune public se reconnaîtrait à tort dans cette fausse image de personnages complexes et complexés.
Song souligne aussi l’écart entre la représentation des tueurs en série ou de masse blancs et des autres. Alors que ces derniers sont déshumanisés et appelés gangsters, thugs ou terroristes, les deuxièmes sont plutôt présentés comme des loners ou des loups solitaires, même quand les victimes ont été ciblées en raison de leur race: pensons à Alexandre Bissonnette (Attentat de la grande mosquée de Québec) ou à Dylan Roof (Église épiscopale méthodiste africaine Emanuel). Le traitement privilégié des hommes blancs diffuserait-il l’idée que même leurs actes les plus répréhensibles seront reçus avec des doutes et des justifications, et pourraient même les placer au cœur d’un programme télévisé spécial où ils seront incarnés par des acteurs attirants qui feront soupirer des milliers d’adolescentes? Apparemment, oui.
Les tueurs en série fascinent pour toutes sortes de raisons, aujourd’hui plus que jamais, comme le prouve le boom récent de séries, de biopics et de podcasts qui s’y intéressent. Notre niveau d’intérêt nous place sur un spectrum, les modérés d’un côté et les plus extrêmes de l’autre. Si certains tombent amoureux ou cherchent à recréer les gestes insensés de leurs idoles, d’autres se demandent comment alimenter leur curiosité de manière morale.
Pour le true crime comme pour n’importe quoi, la qualité du matériel disponible varie. Les options qui capitalisent sur le facteur choc sans considération pour les victimes peuvent décourager, mais, devant la variété disponible, elles ont de moins en moins d’impact.
Cette nouvelle popularité nous offre la chance de faire mieux que les décennies précédents, avec leurs Allô Police et leurs livres de poche aux couvertures dégoulinantes de sang. N’oublions pas que, dans true crime, il y a true: de vraies personnes ont souffert, et c’est leur intégrité que nous devons avant tout honorer.
Consultez le premier article de la série pour une médiagraphie complète.
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