La plupart d’entre nous n’avons pas feuilleté une revue de cinéma depuis l’université, sinon jamais. Il faut dire que les Séquences et Cahiers de cinéma de ce monde réservent rarement un accueil favorable au cinéma d’horreur… quand ils font l’effort d’en parler!
La revue québécoise 24 images rompt ce silence dédaigneux avec un numéro consacré au thème ambitieux de «l’horreur politique» qui ne s’arrête pas uniquement aux chefs-d’œuvre du genre. Dans son éditorial, Alexandre Fontaine Rousseau précise que la cinéphilie dont se revendique la revue va au-delà d’une certaine tendance à vouloir toujours à tout prix distinguer le «bon» cinéma du «mauvais». Son argument trouve du poids dans l’essai Danse Macabre (Anatomie de l’horreur) de Stephen King, où l’auteur affirme que le véritable amateur d’horreur sait faire la distinction entre les deux, tout en sachant les apprécier pour leurs qualités respectives.
Sur la couverture, une image promotionnelle d’Us donne le ton. Devenu un porte-étendard de l’horreur politique (et, rappelons-le, la politique est une source d’angoisse), Jordan Peele mérite évidemment la place centrale d’un article consacré au rôle de ses œuvres dans le cinéma, et plus précisément dans le cinéma d’horreur afro-américain. Impossible aussi de ne pas parler de Romero, dont les zombies prouvent que l’horreur est un terreau fertile pour les apocalypses sociales.
Même si leurs films sont moins souvent reconnus pour leur valeur politique, d’autres cinéastes ont installé leurs oeuvres dans les zones limites où le verni social s’effrite en s’intéressant aux tensions qui détruisent comme aux pulsions qui consument. Chez Tobe Hooper, la famille devient l’unité de base par laquelle il devient possible d’explorer (et de détruire) l’idée de communauté. Larry Cohen fait quant à lui ressurgir le chaos d’un système d’ordre hypocrite à travers les mouvements de panique, tandis qu’Ibañez Serrador a rempli les caisses de l’Espagne franquiste autant qu’il en a subverti le régime avec le fantastico-horrifique.
L’horreur politique constitue une invitation à la remise en question et les exemples ne manquent pas, soutiennent les articles qui s’enchaînent et épluchent le répertoire en profondeur. L’univers dystopique de The Purge, dont la deuxième saison vient de débuter, se penche sur la normalisation de la violence en Amérique, auquel le traitement de la banlieue du slasher nous a déjà habitués. La nature revendique ses droits dans l’ozploitation, un cinéma de genre australien qui donne souvent l’alerte sur la catastrophe environnementale à travers la révolte de la nature et la dénonciation de la colonisation. Le numéro fait aussi l’étude comparative des adaptations d’Invasion of the Body-Snatchers, de même que celle du Suspiria de Dario Argento au remake de Luca Guadagnino.
On peut difficilement couvrir un sujet aussi large en un seul numéro, aussi dense soit-il. Par conséquent, certains sujets qui auraient trouvé leur place manquent à l’appel, comme le cinéma d’horreur post-911, la représentation LGBTQ+ ou le thème de la maternité, pour ne nommer qu’eux. Légère déception, l’article «Les spectres SS – ou l’horreur historique», fort intéressant, passe toutefois sous silence plusieurs additions récentes au registre des zombies-nazis (Overlord, Dead Snow). Quant à l’examen de la figure de la sorcière comme icône féministe, il propose un survol qui, bien que très bien vulgarisé, ne satisfera pas les lecteurs plus éduqués sur le sujet.
Pour sa part, la liste de soixante-dix films d’horreur politique aurait pu passer outre certains choix (Invasion of the Bee Girls, par exemple) au profit d’autres plus pertinents comme The Dead Zone ou American Psycho: reste qu’une telle liste ne pourra jamais créer l’unanimité et que celle qu’on nous propose témoigne de la dévotion et de l’ouverture d’esprit de l’équipe éditoriale.
Vous pouvez acheter le numéro papier sur le site ou en version numérique en téléchargeant l’application tablette (Android ou Apple), où la revue est offerte à moindre coût (3,99$ le numéro ou 15$ l’abonnement d’un an).
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