Surprise sur les tablettes: l’une des nouveautés littéraires à faire le plus jaser cet automne est un collectif de nouvelles d’horreur qui regroupe quinze plumes féminines peu connues des fans du genre. De l’ensemble de Monstres et fantômes, publié chez Québec Amérique dans la collection «La Shop», se dégage de la finesse, de la poésie et de la subtilité. Les nouvelles se suivent avec aisance dans un ensemble logique qui nous emporte comme un raz de marée.
Après une citation de Virginie Despentes et des paroles de chanson de PJ Harvey, c’est à Stéphanie Boulay d’ouvrir le bal. Dans Le poids, l’horreur n’a rien de frontal; elle se cache au fond d’un ruisseau avec une bicyclette d’enfant rouillée. Avec une infinie tristesse, Fanie Demeule explore la solitude d’un archipel écossais dans un récit de folk horror au pouvoir d’évocation si puissant qu’on peut presque sentir l’odeur de mer et de fientes d’oiseau. Les mystérieuses jumelles d’Agnelets de Laurence Gough nous entraînent dans une sordide affaire d’automutilation et d’idolâtrie, tandis que Marie Demers s’en prend à la maternité et au culte de la beauté avec une dose sauvage d’humour noir. Geneviève Jannelle se penche aussi sur la maternité dans une nouvelle violente qui rappelle d’ailleurs un certain Babadook…
Dans Let Me Out Now, Mikella Nicol pervertit une institution déjà bien assez perverse: la télé-réalité! Le pathos de Véronique Marcotte raconte ensuite un récit injuste et malheureux qui fait vibrer les cordes sensibles du lecteur, juste avant que Maude Nepveu-Villeneuve s’inspire de Poe dans un texte un peu convenu, mais franchement divertissant — on en ferait d’ailleurs un sacré court-métrage. Pas de répit chez Fannie Bloom, dont l’offrande Les quatre morts dans le temps courbé se lit en un souffle. De toutes les auteures de Monstres et fantômes, c’est Érika Soucy qui prend le plus de risques: son récit cru, vulgaire et audacieux se démarque comme un beau gros fuck you.
Mélissa Verreault prend le relais avec des Paréidolies qui brouillent la frontière entre cauchemar et réalité. Montréal brûle dans la nouvelle épistolaire de Mélikah Abdelmoumen, dont la peur paranoïaque du terrorisme et de la radicalisation déclenche un sentiment de malaise qui se poursuit dans l’étouffant Les renégates de Jade Bérubé. Marie-Hélène Larochelle dresse une table peu ragoûtante avec Les crudités, et c’est le ventre plein qu’on fait le sprint avec Quel beau chalet, hein, où l’écriture urgente de Catherine Côté suit un courant de conscience cauchemardesque.
Il n’y a pas de doute, les Éditions Québec Amérique marquent des points auprès des fans d’horreur avec ce recueil sans faux pas. Malgré le talent certain des auteures, on se demande pourquoi ne pas avoir aussi invité des femmes qui consacrent une si grande part de leur carrière à l’horreur. Ce choix est-il purement circonstanciel? Où sont Madeleine Robitaille, Natasha Beaulieu, Ariane Gélinas? On aurait aimé un avant-propos pour comprendre les motivations du directeur littéraire de Monstres et fantômes, Stéphane Dompierre, et s’assurer que sa décision de ne pas intégrer des plumes féminines, même undergrounds, associées à l’horreur ne témoigne pas d’un désir «d’élever» le genre, une expression détestable qu’on entend pourtant souvent, comme si l’horreur était un genre bas qu’il fallait raffiner. Sans réponse, choisissons de vanter la qualité de Monstres et fantômes et d’espérer qu’il annonce une nouvelle couvée d’auteures de littérature de genre!
Note de l’éditeur: en partageant la critique d’Horreur Québec sur sa page Facebook, Stéphane Dompierre a précisé: «Et de mon côté, j’adore la page de Horreur Québec et oui, j’ai décidé d’inviter des auteures qui ne font pas d’horreur habituellement, non pas dans un désir “d’élever le genre”, mais par envie de voir ce que des écrivaines qui n’en font pas apporteraient au genre!» Il a poursuivi dans les commentaires: «… J’avais fait la même chose avec les recueils érotiques, j’aime bien lancer des défis aux auteur(e)s, que ce soit avec l’érotisme, l’horreur et qui sait quoi d’autre… Et je ne voulais pas faire de préface et encore moins mettre mon nom sur la couverture (comme sur les trois recueils érotiques que j’ai dirigés) pour laisser toute la place aux écrivaines, qui la prennent admirablement bien!» Merci et bon succès, Stéphane!
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