Qu’advient-il lorsque le Tout-Puissant s’empare de vous? Saint Maud (Sainte-Maud), qui plonge son personnage principal dans une quête inquiétante de Dieu, et que plusieurs attendaient avec impatience, est enfin lancé en vidéo sur demande aujourd’hui. Pour l’occasion, le Festival Fantasia a pu s’entretenir avec la réalisatrice du film, Rose Glass, lors d’une entrevue vidéo exclusive au Canada, conçue en collaboration avec Horreur Québec.
Étant donné que l’entretien se retrouve éditée pour les besoins de la vidéo, on a pensé offrir à ceux qui désirent en apprendre davantage sur le film une transcription complète traduite en français de l’entrevue intégrale avec la cinéaste.
Un immense merci à Alyssia Duval-Nguon de Fantasia pour la réalisation de l’entrevue, et d’avoir bien voulu publier l’entrevue complète sur nos pages, ainsi qu’à Élise Lucie Henripin pour la traduction.
Alyssia Duval-Nguon: Bonjour, Rose! Je suis heureuse de te parler aujourd’hui sur Zoom pour discuter de ton nouveau film, que nous sommes ravis de présenter au Canada dès cette semaine. Tu viens de scénariser et réaliser ton premier long métrage. Peux-tu nous raconter comment le projet a débuté?
Rose Glass: Bien sûr! Je crois que l’idée de ce film a commencé à germer alors que je terminais mes études au National Film and Television School en 2014. Les années suivantes m’ont permis de développer le projet avant de débuter le tournage en 2018. Au départ, je trouvais intéressante l’idée de présenter un dialogue entre une femme et une voix dans sa tête, et cette voix est rapidement devenue celle de Dieu. Je voulais que Dieu soit un personnage secondaire dont la présence devient de plus en plus oppressante, mais, plus je définissais le personnage de Maud, plus ça me semblait tape-à-l’oeil. J’ai donc porté mon attention vers les raisons qui faisaient de cette voix sa plus grande et plus importante relation, gardée secrète au reste du monde. D’autres éléments qui m’intéressent se sont naturellement greffés à l’histoire.
[NDLR: La question qui suit contient un divulgâcheur — sautez-la si vous n’avez toujours pas vu le film.]
ADN: La voix de Dieu est particulièrement effrayante; peux-tu nous dire qui (ou quoi) se cache derrière?
RG: Il s’agit en fait de Morfydd, l’actrice qui incarne Maud, en train de parler le Welsh. Nous avons modifié sa voix pour la rendre plus basse. C’est au montage que l’idée nous est venue, après l’avoir entendue parler dans cette langue.
ADN: Non seulement la distribution est presque entièrement féminine, mais le film est raconté d’un point de vue féminin. S’agit-il d’une décision consciente de ta part?
RG: Non, ça s’est fait naturellement. Je ne veux pas fournir d’explication réductrice du type «Les hommes parlent des hommes et les femmes parlent des femmes», mais beaucoup d’hommes réalisent des projets aux personnages presque tous masculins, et personne n’assume que la masculinité en est le thème pour autant. Je sais bien que ce n’est pas ce que tu insinues, mais beaucoup de gens croient cette forte présence féminine porte forcément un commentaire revendicateur, alors que ça m’est venu naturellement, sans intention… peut-être en partie parce que je suis une femme et que je m’inspire de mes expériences personnelles, simplement.
ADN: Parlant d’expériences personnelles, le film exploite des thèmes comme la religion, la foi et le concept du Sauveur de manière terrifiante: quelle est ta propre relation avec la religion?
RG: J’ai grandi chrétienne, donc j’ai été baptisée et j’ai fréquenté une école catholique pour filles où certaines de mes enseignantes étaient des religieuses. Mon grand-père et son père étaient pasteurs. Cette religion m’est donc familière. Comme beaucoup d’enfants élevés de cette manière, je ne trouvais pas le sujet particulièrement intéressant: c’était plutôt un truc ennuyant que je devais faire, comme aller à l’école. Comme je vivais dans un univers religieux, mais que personne ne m’a jamais rentré les doctrines de force dans le crâne, je n’ai pas développé d’aversion pour elle, mais plutôt une saine curiosité. C’est en vieillissant que j’ai pris mes distances et remarqué l’étrangeté et le côté surréaliste de certains mythes et rituels. Enfant, je ne questionnais pas mes habitudes comme lire la Bible le dimanche ou chanter à l’église: je les faisais, tout simplement.
[NDLR: La question qui suit contient un divulgâcheur — sautez-la si vous n’avez toujours pas vu le film.]
ADN: Il y a beaucoup d’ambiguïté dans le film. On se demande s’il y a intervention de forces démoniaques, ou s’il s’agit plutôt de la perception d’une narratrice peu fiable à cause de ses troubles de santé mentale. Comme réalisatrice, étais-tu en faveur de l’une de ces possibilités, ou tenais-tu à ce que le contenu reste ambigu?
RG: J’ai toujours voulu que le film soit raconté à travers la perspective de Maud. Au commencement, je n’avais pas encore décidé si la voix qu’elle entendait était réelle ou non; je la voyais plutôt comme une métaphore abstraite et poétique… Mais oui, effectivement, je voulais laisser ces deux interprétations possibles. L’aspect psychologique m’intéresse avant tout. Il est possible selon moi que quelque chose ait fait balancer sa foi vers la désillusion, mais je crois que le thème est psychologique plutôt que religieux. En fait, les religions organisées ont peu à voir avec la foi… J’étais inspirée par ces personnes qui cherchent un sens au monde et à leur vie dans la religion, parfois au risque de leur propre aliénation… Bref, je crois que cette ambiguïté ajoute de la profondeur et de la richesse au récit. Racontée de façon réaliste, ce ne serait que l’histoire d’une jeune femme qui souffre de problèmes de santé mentale et qui ne reçoit pas l’aide dont elle a besoin.
ADN: J’ai aussi remarqué que nous en savons peu sur la vie et le passé de Maud, mais les courts flash-back ici et là en révèlent beaucoup malgré leur rapidité. Se trouvaient-ils dans le scénario depuis le départ?
RG: Non, ils ne l’étaient pas. J’espère qu’ils sont éclairants, car je dois dire qu’ils me rendaient un peu nerveuse; j’avais peur de tomber dans le problème de l’œuf et de la poule, c’est-à-dire que les spectateurs les interprètent comme les causes directes de l’état psychologique de Maud, alors que la réalité est beaucoup plus complexe. Morfydd et moi avons beaucoup discuté du parcours de Maud pour comprendre ce qui l’avait menée à ce point de sa vie, et oui, elle a vécu un épisode traumatisant auquel nous faisons allusion. Mais il faut comprendre que cette situation n’est pas la raison derrière tout, mais plutôt un point marquant dans une longue suite d’événements.
ADN: Morfydd Clark livre une performance puissante et intense, parfois même très physique. À quel moment as-tu décidé qu’elle serait l’interprète de Maud? Qu’est-ce qui a arrêté ton choix sur elle?
RG: C’est un peu cliché, mais il y avait chez elle quelque chose d’indéfinissable qui nous a tout de suite accrochés. Dans la vidéo qu’elle nous a envoyée pour auditionner, l’enregistrement débute à l’avance de sorte que rien n’arrive, puis son visage apparaît subitement à l’écran avec cette expression ensorcelante. Elle est de ces gens qu’on ne peut s’empêcher de regarder, et elle parvient à exprimer tant de choses sans donner l’impression de faire d’effort. Son jeu comporte une variété incroyable, chose parfaite pour nous puisque le personnage passe par de nombreux hauts et bas lors de son parcours tumultueux et dérangé… Il nous fallait quelqu’un comme elle au vaste éventail de jeu, mais qui peut aussi incarner un personnage qu’on peut imaginer passer inaperçue, comme si elle était invisible. Morfydd possède cette espèce de modestie transcendante. Et puis, nous avons eu tellement de plaisir à travailler ensemble avec Jennifer, l’actrice qui joue sa patiente Amanda.
ADN: Elles interagissent avec beaucoup de naturel.
RG: Oui! Le film passe par quelques moments particulièrement intenses qui pourraient basculer vers le théâtral, donc j’étais franchement heureuse d’avoir trouvé des actrices extraordinaires aux performances si subtiles et naturelles. Tout dépend d’elles, donc c’était tout un soulagement de les voir relever le défi!
ADN: J’ai cru remarquer quelques clins-d’œil à The Exorcist et à l’univers de Stephen King, comme à Carrie. Comme réalisatrice, as-tu été inspirée par certaines œuvres?
RG: Honnêtement, aucun de ces deux films. J’ai aussi fait le lien après qu’on me l’ait dit, mais ce n’était pas du tout un choix conscient. Je pense qu’il y a plusieurs choses dans les films d’horreur qu’on associe automatiquement à The Exorcist et à Carrie. Évidemment, j’en suis flattée, puisque ce sont de grands films, mais si je devais nommer mes inspirations, j’irais plutôt avec Repulsion, Rosemary’s Baby, Through a Glass Darkly, The Silence, les premières films de Bergman et The Servant. La plupart d’entre eux sont des films de chambre (NDLR: Kammerspiel) avec des pressions sociales grandissantes où les personnage sont confinés dans un lieu défini. J’ajouterais aussi Diary of a Country Priest, Taxi Driver et The Devils de Ken Russell… J’ai donné aux filles une liste de films à visionner car leurs personnages se comportent souvent de manière inusitée, et je voulais leur donner une idée du ton que j’avais en tête.
ADN: J’aimerais recevoir une copie de cette liste!
RG: Je crois en avoir nommé pas mal tous les titres. J’ai aussi suggéré à Morfydd d’écouter Ingrid Goes West, un bon choix contemporain puisqu’un grand nombre des titres que je lui ai donné proviennent des années 1960 et 1970.
ADN: Vraiment? C’est un très bon film, mais dans un genre complètement différent, ça me surprend! Saint Maud arrive au Canada cette semaine, mais il a été présenté au festival TIFF en 2018, avant que la pandémie frappe et reporte le projet. Qu’est-ce que ça fait d’y revenir deux ans plus tard?
RG: C’est tellement étrange! Surtout qu’avant la pandémie, on se préparait pour le lancement, qui devait avoir lieu respectivement en avril et mai 2020 aux États-Unis et en Angleterre. On devait faire une tournée de presse et j’étais fébrile, mais surtout terrifiée à l’idée de faire des entrevues et de mal répondre aux questions. Quand on a dû reporter, j’étais frustrée, mais aussi un peu soulagée. Maintenant, je suis vraiment heureuse de pouvoir enfin le sortir, mais ça fait bizarre d’avoir subitement un plus grand nombre de personnes qui le visionnent. Au Royaume-Uni, il vient de sortir en vidéo sur demande, mais nous avons eu une petite sortie en salle entre deux périodes de confinement l’an dernier, donc il y a un nouvel engouement… Bref, le 12 février marque donc la dernière étape d’un long processus et je suis très enthousiaste!
ADN: J’ai vraiment hâte de voir la réception de l’auditoire de notre festival, parce qu’ils sont ultra passionnés par le cinéma de genre et attendent ce film depuis longtemps!
RG: J’espère qu’ils l’aimeront.
ADN: J’en suis certaine. Merci d’avoir discuté avec moi aujourd’hui! J’espère avoir l’occasion de te parler en personne bientôt au festival.
RG: J’espère aussi, c’est dommage de ne pas avoir eu l’occasion de voyager et de rencontrer plein de gens intéressants l’an dernier! Merci à toi.
Vous pouvez également lire notre critique de Saint Maud, disponible dès maintenant en vidéo sur demande.
Merci à l’équipe d’Entract Films, d’Elevation Pictures et du Festival Fantasia.
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