Que vous en ayez vu un volet ou non, vous connaissez The Purge (La purge), cette série dystopique qui résonne violemment avec l’actualité.
Il s’agit de la création de James DeMonaco, qui doit son inspiration à l’épisode The Return of the Archons de Star Trek de même qu’à une anecdote personnelle. Après un cas de rage au volant posé par un chauffard, sa femme en colère aurait dit: «Si seulement on avait droit à un meurtre par année…» L’imagination de DeMonaco s’est enflammée, animée par l’idée d’une Amérique alternative dont les citoyens auraient droit, chaque année, à une nuit où tous les crimes sont permis.
Historiquement, les épurations consistent en l’élimination d’un nombre d’individus considérés indésirables. Cette exclusion, pas forcément meurtrière, peut être opérée à l’intérieur d’une organisation, d’un gouvernement, ou encore d’une société. Les exemples pleuvent, mais soulignons entre autres celles ayant opposé le parti nazi contre la Sturmabteilung (SA) en 1934, les chasses aux sorcières ou les exécutions massives conduites par le Parti communiste de l’Union soviétique.
Dans le cas de The Purge, l’épuration vise aussi l’extermination d’individus que le gouvernement juge inférieurs et problématiques, mais sous un prétexte évidemment plus noble. Même si leur intensité et leur efficacité varient, chaque film démontre que, sous prétexte de permettre aux citoyens de «se défouler» et de faire baisser le taux de crime au pays, le parti fictif au pouvoir, The New Founding Fathers of America, extermine de manière calculée les gens qui, selon lui, ne contribue pas assez à la société ou s’oppose trop à son régime totalitaire. Le ton patriotique, qu’on reconnaît surtout aux discours qui glorifient les États-Unis et le gouvernement, ne trompe pas sur ces intentions, de même que le doigt dénonciateur pointé vers un capitalisme féroce où les riches vont soit s’encabaner avec des systèmes de sécurité high tech, soit s’armer pour chasser dans les quartiers urbains défavorisés comme si c’était un safari de luxe.
Explorons les cinq films et la série en détails:
The Purge de James DeMonaco, 2013
La franchise dénonce les inégalités raciales et sociales dès le premier film, mais sans trop se mouiller le pied. Celui-ci se déroule en 2022 dans un quartier huppé de Los Angeles, où un riche vendeur d’appareils de sécurité incarné par Ethan Hawke (Boyhood) s’enferme avec sa femme et ses enfants pour passer la nuit. Tout est tranquille jusqu’à ce que leur fils ouvre les portes pour offrir protection à un sans-abri noir pourchassé. À la croisée des vilains de The Strangers et de Funny Games, ses attaquants, de riches et jeunes personnes blanches, exigent que la victime leur soit rendue. Devant le refus de la famille, ils s’en prennent alors à celle-ci, faisant du film un home invasion typique. Malgré sa prémisse innovatrice, cette production Blumhouse manque d’énergie, ce qui ne l’empêche pas pour autant de récolter plus de 89 millions de dollars à sa sortie.
Woke, The Purge? Dans son idéal, peut-être, mais pas en pratique. Bien qu’elle n’y participe pas, la famille Sandin soutient la purge: considérant l’option de rendre l’inconnu aux tueurs, elle ne s’oppose à la violence que lorsque sa maison est violée et ses membres, attaqués. L’arrivée de l’homme noir ne joue que le rôle d’élément déclencheur dans leur histoire. Ils ne subissent d’ailleurs pas de révélation puisque les liens de la victime n’ont pas encore été défaits lorsque la maison est prise d’assaut. En s’enrichissant sur le dos de l’événement et en ne résistant que lorsque leur propre existence est menacée, ils prouvent que le silence n’a d’égal que la complicité.
DeMonaco fournit peu, voire aucune information sur comment les États-Unis en sont arrivés là. On parle après tout d’un pays dont à peu près n’importe quel programme peine à s’appliquer à l’échelle nationale, ici décrit comme un peuple qui obéit à son gouvernement au doigt et à l’œil. The Purge véhicule également l’idée que la violence est une part inhérente des Américains dont l’expulsion, malgré sa cruauté, profite au bien-commun: ne nous répète-t-on pas à maintes reprises que le taux de criminalité a dramatiquement baissé? Pourquoi cherche à nous faire sympathiser avec des personnages privilégiés qui profitent de cette fête sanglante au lieu d’aller au cœur de la ville, où des personnes vulnérables doivent activement lutter pour leur survie?
The Purge: Anarchy de James DeMonaco, 2014
En s’éloignant justement du milieu huppé où se déroulait le premier film, The Purge: Anarchy réussit un peu mieux à passer son message. En arrière-plan s’y déroule une manifestation anti-purge, menée par le sans-abri du premier film, qui porte encore au générique le nom de Bloody Stranger. Situé en 2023, le film suit plusieurs personnes dont les destins vont se croiser, y compris un homme pauvre qui accepte d’être tué en échange de 100 000$ versés à sa famille et Leo, un policier qui décide de profiter de la nuit pour se venger du chauffard qui a tué son fils. Incarné par Frank Grillo, un habitué des films d’action, cette présence musclée donne le ton à un chapitre chargé d’adrénaline qui suit toutefois un récit assez convenu où les pauvres s’opposent aux riches.
En effet, les vilains, noirs ou blancs, sont tous de riches sociopathes. Malgré une reconnaissance moins subtile de son cynisme, le récit se perd en incongruités et en stéréotypes avec une cinématographie qu’on pourrait qualifier d’amateur, caméra à l’épaule tremblotante et images à peine éclairées à l’appui. Chaque personnage fait l’objet d’une courte biographie qui ne suffit malheureusement pas à leur donner assez de substance ou pour sympathiser avec eux.
Oui, oui, il faut laisser son incrédulité à la porte quand on visionne un film comme celui-ci. Mais là encore, le spectateur manque de repères pour comprendre les origines de cette nouvelle tradition sanglante. Et on ne peut s’empêcher de se poser des questions. Par exemple, pour quelles raisons les propriétaires d’entreprises éliminent-ils leurs employés? N’est pas un peu contre-productif, surtout dans une société où l’argent et la consommation sont roi et reine?
Cela dit, The Purge: Anarchy dénonce tout de même la domination du gouvernement sur les médias, qui force ceux à l’affût de véritables informations à se tourner vers des sources alternatives, comme les réseaux sociaux. À l’heure où ces lignes sont écrites, on ne peut s’empêcher de penser à l’impact que peuvent avoir les enregistrements amateurs de violence policière, comme l’a prouvé le verdict du procès du policier Derek Chauvin, reconnu coupable du meurtre de George Floyd en 2020. Ce volet nous apprend aussi que le gouvernement paie des mercenaires pour faire éliminer les plus vulnérables, particulièrement les minorités raciales, reconnaissant l’envergure de la conspiration.
The Purge: Election Year de James DeMonaco, 2018
Une nouvelle année, une nouvelle purge. Lors de sa jeunesse, la sénatrice Charlene Roan (Elizabeth Mitchell) a assisté au meurtre de sa famille au complet. À Washington, en 2040, elle se présente comme candidate à la présidence américaine avec la ferme décision d’annuler l’événement si elle est élue. Évidemment, les New Founding Fathers of America ne l’entendent pas de cette oreille. Alors que les fonctionnaires de l’administration publique occupaient jusqu’alors une position intouchable, il est désormais possible de les assassiner sans conséquence, une règle évidemment mise en place pour se débarrasser de la politicienne. Protégée par son garde du corps Leo (le policier du film précédent), elle se sauve de l’escadron de la mort qui la cible et s’allie au passage avec des citoyens pauvres et noirs qui s’opposent activement à cette nuit de carnage.
The Purge: Election Year n’est pas particulièrement mémorable, mais intéressant quand on se rappelle qu’il est sorti pendant la campagne électorale de Trump en 2016. Le parallèle est d’autant plus ignoré lorsque le controversé président américain a fait de l’accroche publicitaire du film, «Keep America Great», le slogan de sa campagne électorale de 2020. Le professionnalisme des forces paramilitaires néo-nazie qui traquent Roan se juxtapose à l’ambiance festive de jeunes fêtards qui n’y voient qu’un jeu. La performance de Brittany Mirabile, déjantée à son arrivée dans une voiture illuminée, une reprise de Party in the USA de Miley Cyrus à fond la caisse. L’actrice remporte la palme de la meilleure vilaine de cette suite avec son rôle de jeune fille gâtée et furieuse d’avoir été surprise en train de voler une barre de chocolat.
Même s’il s’agit de la première suite où les personnages combattent le système au lieu de le fuir, son innovation principale est sans doute de montrer que la purge attire le tourisme, introduisant les spectateurs à une nouvelle vague de costumes inspirée des symboles des États-Unis: le drapeau américain, l’Oncle Sam, la statue de la Liberté… Même si la violence extrême peut soutenir un commentaire social (dans un genre similaire, Oldboy ou même, plus récemment,The Hunt font un meilleur travail), The Purge: Election Year concilie encore le contenant et le contenu avec confusion et hésitation. Après tout, on a beau nous enseigner que la violence, c’est mal, elle n’en est pas moins très excitante.
The First Purge de Gerard McMurray, 2018
Même s’il demeure au scénario, DeMonaco passe le flambeau de The First Purge à Gerard McMurray, qui s’en sort pas si mal. Il s’agit de la suite la moins subtile du lot en ce qui concerne le sous-texte social (du moins, avant The Forever Purge), mais c’est peut-être de cela dont avait besoin le public, à bien y penser. The First Purge est le seul film de la série à être sorti sous la présidence de Donald Trump. On peut difficilement y ignorer les nombreuses scènes de violence contre les personnes noires qui s’y déroulent, dont certaines s’inspirent de véritables événements haineux comme la manifestation Unite the Right à Charlottesville en 2018 ou encore, la fusillade de l’église de Charleston en 2015.
Comme l’indique le titre du film, on remonte dans le temps (2018, pour être précis) afin de visiter la première purge, une expérience sociologique conduite à Staten Island par le gouvernement. La docteure May Updale (Marisa Tomei, Captain America: Civil War) s’aperçoit rapidement que les New Founding Fathers of America, en association avec la NRA, sont prêts à tout pour que le projet soit réussi pour l’appliquer au reste du pays. Pour ce faire, ils offrent une compensation financière aux citoyens qui acceptent d’y prendre par, comme l’inquiétant Skeletor (Rotimi Paul, la série Sleepy Hollow), mais enregistrent tout de même un taux de participation trop bas pour leur ambition. Qu’à cela ne tienne: le parti s’allie à des suprémacistes blancs chargés d’éliminer le plus de personnes possibles — le quartier est d’ailleurs composé d’une majorité de personnes noires. Fait à souligner, plusieurs assaillants portent des costumes identiques ou presque à ceux du Ku Klux Klan et des officiers SS. Impossible donc de ne pas remarquer l’allégorie.
En fait, The First Purge est ni plus ni moins un revenge-fantasy. On y trouve par exemple un «pussy-grabbing motherfucker» qui se fait asperger de poivre de cayenne, ou encore un personnage en masque de blackface qui se fait battre à mort (un clin d’œil au coup de poing de Richard Spencer en 2017, peut-être?). Le côté direct du film en fait certainement le produit de son époque et, surtout, une dénonciation du président au pouvoir et de la hausse des crimes contre les Afro-Américains. La fiction rejoint la réalité. D’ailleurs, un service de police de la Louisiane a même dû présenter ses excuses après avoir utilisé la sirène du film pour annoncer le commencement du couvre-feu causé par la COVID!
The Purge, la série (2018-2019)
Co-produite par DeMonaco, la série diffusée sur les ondes de USA Network commence comme la plupart des films, avec des étrangers dont les liens se précisent à mesure que le récit avance. Parmi ceux-si se trouvent une femme qui embauche un tueur à gages pour se débarrasser de son patron sexiste, un triangle amoureux qui participe à une fête huppée et un vétéran venu sauver sa sœur d’une secte dont les membres servent de victimes. La soeur en question est entraînée contre son gré dans un jeu sanglant nommé le Carnival of Flesh, où les victimes sont exécutés lors de reconstitutions d’épisodes historiques comme les procès des sorcières de Salem ou la Révolution française.
La deuxième saison offre un regard sur l’organisation de la purge en introduisant des individus qui soit travaillent à son organisation, soit sont protégés par leur profession. On assiste enfin à des crimes non violents — enfin, a priori — en suivant un groupe d’individus qui profitent de la nuit pour commettre un vol de banque. Comme dans la majorité des films de The Purge, la réception de la violence des personnages demeure, à bien des égards, l’élément le plus captivant du point de vue psychologique. Ceux-ci traitent les victimes inconnues de la violence gratuite qui fait légion avec indifférence, mais le ton devient larmoyant lorsqu’un personnage important est affecté. Faut-il connaître une victime pour reconnaître l’injustice du système?
Comme répété à plusieurs reprises dans cet article, le premier film de la franchise sous-entend dès le départ que la purge a toujours été une occasion déguisée d’éliminer les minorités sociales, mais la misogynie, jusqu’alors presque ignorée, devient thématique. Un groupe de femmes armées qui volent à la rescousse de victimes féminines nous apprend donc que, au cours de cette nuit où tout est permis, les femmes sont trois fois plus susceptibles d’être attaquées et que les crimes sexuels sont à la hausse. Surnommées les Matron Saints, les membres de l’organisation punissent les hommes qui maltraitent les femmes. En dépeignant leurs méthodes comme «extrêmes», la série semble suggérer qu’il y a des bonnes et des mauvaises personnes partout, que leurs intentions soient nobles ou non. Mais quand on y pense de manière plus cynique, dans ce monde où même des hommes dont la culpabilité ne fait aucun doute, subissent des sentences bidons, il faut dire qu’on demeure sceptique face à cette opinion voulant que les agresseurs sexuels devraient être dénoncés à la justice, où ils recevront des sentences adéquates. Et si on parlait de Bill Cosby, pour voir?
Bien qu’il soit toujours intéressant d’assister aux dilemmes moraux de personnes ordinaires qui cherchent un sens à ce nouveau monde dystopique, la série a connu un succès mitigé. Après deux saisons, elle a été annulée sans faire de bruit.
The Forever Purge d’Everardo Gout, 2021
D’origine mexicaine, Juan (Tenoch Huerta) et Adela (Ana de la Reguera, Army of the Dead), des immigrants illégaux, vivent au Texas depuis un an. La NFFA ayant repris le pouvoir après les deux termes servis par Charlene Roan (la candidate à la présidence de The Purge: Election Year), la fameuse nuit de bacchanale meurtrière est de retour. Après avoir passé la nuit dans une usine désaffectée, le couple qui reprend ses activités journalières est vite confrontée à une très mauvaise surprise: un mouvement populaire qui souhaite purifier l’Amérique des «indésirables» sème l’anarchie à travers le pays. Accompagnés par hasard des employeurs de Juan, qui comprend un homme raciste, nos survivants luttent pour atteindre la frontière mexicaine, exceptionnellement ouverte aux réfugiés pour une période de six heures.
Dans ce chapitre, même les supporters de la purge ne s’embarrassent pas du prétexte que celle-ci sert à se défouler et affichent sans gêne leur intention de s’en prendre à ceux qui ne sont pas des citoyens blancs «pure laine». Exploitant pleinement l’imagerie et les codes du western, faisant audacieusement du grand jour la scène de meurtres sanglants, The Forever Purge passe par tous les moyens pour ne pas tomber dans le piège de films comme American History X, qui, malgré leur côté extrêmement revendicateur, ont malgré d’univers de milliers de spectateurs avec des personnages néo-nazis cool et badass — merci à mon collègue Raphaël Boivin pour cette comparaison qui tombe à point.
Les badass, ce sont donc Juan et Adela, de même que le patriarche et la cadette de la famille Tucker, et les courageux combattants d’origine mexicaine ou autochtone qui les accompagnent dans leur course vers la frontière mexicaine. Parmi les meilleurs choix de ce cinquième film, soulignons celui de prendre place dans le Far West, le paysage le plus américain qui soit. Après des excursions en ville et en banlieue dans les films précédents, il n’y pas de lieu plus favorable à The Forever Purge que le désert du Texas avec ses chevaux, ses cactus, ses cow-boys… et sa frontière avec le Mexique, avec laquelle Trump nous a cassé les oreilles. Alors que la franchise a toujours carburé aux jump scares, ils sont plus rares ici: bien vu, puisque l’horreur se prête à l’existentialisme plutôt qu’au facteur choc. Avec certaines scènes de poursuite en camions et en motos qui rappellent même Mad Max: Fury Road, il faut apprécier ce mélange assez réussi de drame, d’horreur et d’action.
The Purge: Election Year et The First Purge se terminaient sur une note relativement positive, mais le pessimisme domine cette cinquième suite, qui s’annonce d’ailleurs la dernière. Il n’y a plus d’espoir: dans leur violent combat en faveur de l’épuration, les États-Unis se sont perdus. La machine développée par les New Founding Fathers of America les a finalement dévorés.
La purge, la purge… c’est pas une raison pour se faire mal!
Vous excuserez l’allégorie inélégante, mais, malgré le mérite de certains de ses films, la série fait penser à un coït interrompu auquel on ne peut s’empêcher de revenir en se disant que ce serait meilleur cette fois. On y trouve tant de potentiel gâché, de bon coups maladroitement exécutés et d’occasions manquées qu’on espère que The Forever Purge ne sera pas le chapitre final, tel que prétendu par DeMonaco. Pourquoi pas un film qui décrirait la prise de pouvoir des New Founders of America? Pourquoi ne pas étendre le phénomène à grande échelle et transporter la purge dans un autre pays? Pourquoi ne pas délaisser les meurtres pour se concentrer sur un autre crime, comme le vol d’un casino ou un détournement d’avion?
Même le film ou l’épisode le plus médiocre de The Purge fait rouler les méninges du spectateur. «Jamais je ne pilerais sur mes valeurs pour participer à un événement aussi barbare», pensez-vous sans doute, sans pourtant réussir à ignorer cette voix qui vous murmure à l’oreille: «En es-tu sûr?» Les Romains ne célébraient-ils pas les mises à mort brutales d’esclaves? Les villageois de l’ère médiévale ne se réunissaient-ils pas pour lancer des pierres sur les malheureux au pilori? Ceux dont le pays subissait la domination de l’empire nazi ne dénonçait-ils pas les indésirables dont ils connaissaient la cachette? L’humain est-il bon, mauvais, ou simplement opportuniste? On s’en reparle au prochain film, s’il voit le jour!
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