George Mihalka fait désormais partie intégrante du paysage «fantasien». Il est toujours là à rôder. Mais cette année, le réalisateur de My Bloody Valentine (1981) prend un peu plus de place au festival.
Présent à la fois pour nous présenter The Blue Man, l’une des oeuvres les plus rares de sa filmographie, et pour participer au jury du Barry Convex Award, Mihalka a accepté de répondre aux treize questions d’une Entrevue 666.
Dans un souci de clarté, cette entrevue a été traduite de l’anglais et épurée par endroits.
Horreur Québec — Dans cette première partie, nous allons nous intéresser à ta présence sur le festival. Tu arpentes les salles sombres de Fantasia depuis longtemps maintenant. Qu’est-ce qui te fait toujours revenir année après année?
George Mihalka — Je pense que Fantasia est le plus cool festival de genre au monde. J’adore le fait que leurs goûts sont aussi fous, sauvages et éclectiques que les miens. Ils sont à la pointe de ce qui se fait de nouveau tout en sachant respecter les traditions. C’est presque une forme indigène de respect pour ses anciens.
En plus, je suis originaire de Montréal. Je suis le festival depuis ses débuts et il y a environ 10 ans, j’ai rencontré Mitch [Davis] et Marc [Lamothe] qui m’ont accueilli avec amitié et sincérité. Aujourd’hui, si je ne suis pas en tournage et qu’on est fin juillet, je suis à Fantasia. D’ailleurs, mon anniversaire tombe le 20 juillet. Je célèbre donc ma fête au festival chaque année avec mes amis.
HQ — Cette année, tu es membre du jury pour le Barry Convex Award. Peux-tu nous en dire plus?
GM — Cette récompense est décernée à une première canadienne d’un film du pays. C’est toujours excitant de voir ce qui se fait ici. Il y a d’ailleurs de superbes films québécois cette année. Ce qui m’excite le plus est de voir que le cinéma de genre explose en ce moment au Québec. C’est tellement cool à voir parce que lorsque j’en faisais, personne d’autre ne s’y risquait. Tout le monde faisait du drame intellectuel. On n’était pas loin de devoir faire partie de l’Académie française avant de pouvoir faire un film. J’adore la liberté que ces jeunes cinéastes québécois s’octroient. Ils ont l’air de dire «Allez chier, on va faire notre propre film!».
Fantasia a créé cette opportunité et a rendu le cinéma de genre crédible. Ils ont compris que le genre offre plus de liberté à commenter la société.
HQ — Quelle est ton approche pour juger les films éligibles à cette récompense?
GM — La première chose que je fais, c’est juger la technique. Ont-ils réussi à faire ce qu’ils voulaient? Etait-ce crédible? Cela faisait-il du sens? Comment était le jeu d’acteur? Tu sais, des fois, il y a des films qui sont bons jusqu’à ce qu’un acteur ouvre la bouche. C’est à se demander s’ils n’auraient pas mieux fait de faire un film muet.
Enfin, c’est l’émotion viscérale que je recherche. Est-ce que le film m’a fait réagir et réfléchir? Après avoir jugé tout ça, j’attends une semaine et je me pose la question suivante: de quels films est-ce que je me souviens en fin de compte?
HQ — Cette année on a eu la chance de (re)découvrir ton film The Blue Man. Comment perçois-tu ce film au sein de ta filmographie?
GM — C’est une question difficile. Dans le fond, tu veux que tous tes enfants réussissent dans la vie. Tu veux qu’ils soient chacun le plus intelligent, le meilleur… Mais des fois tu dois aussi être fier de celui qui décide de devenir le meilleur mécanicien ou le meilleur charpentier. Tous tes enfants ne vont pas devenir chirurgien. Mais s’ils sont honnêtes et qu’ils travaillent fort… et je pense que The Blue Man est de ceux là. Il y a d’excellentes scènes dedans. Est-ce que c’est un de mes films préférés? Probablement que non. Est-ce que j’en suis fier? Oui, totalement. Est-ce que c’est un film qui a dit ce que j’avais à dire à ce moment là? Oui. Est-ce c’est un film qui aurait été meilleur si j’avais pu travailler deux ou trois mois de plus sur son son écriture? Probablement aussi.
Il y a tout un tas de choses à prendre en considération. C’est un projet qui s’est exécuté très rapidement. C’est le genre de film où un investisseur américain se pointe et annonce que le film doit absolument être tourné le mois prochain ou alors l’argent s’envole…
En bref, dans ma filmographie, ce n’est pas un film auquel je donnerais la note A mais peut-être B ou B+. Je regarde aujourd’hui ce qui a été accompli techniquement et j’en reste fier. Certaines scènes ont demandé tellement de travail sur l’éclairage et elles tiennent toujours la route. Je suis encore surpris à quel point la direction de la photographie n’a pas pris une ride même si en regardant de près on voit bien que tout est très 1980’s.
Je suis fier de tout ce que j’ai fait. Tout ce que j’ai fait, je l’ai fait parce que j’en avais envie. C’est comme tout. Tu ne peux pas gagner la coupe Stanley à chaque fois. Mais au moins, tu as participé aux séries.
HQ — The Blue Man fait parti de ces films qui ont un peu disparu de la circulation. En tant que réalisateur, comment composes-tu avec avec le fait que ton oeuvre soit devenu une rareté?
GM — C’est une drôle de chose. Jusqu’à il y a 15-20 ans, la plupart des cinéastes partaient du principe que leurs films finiraient par disparaître un jour ou l’autre. Ça faisait partie du jeu. La pellicule se détériore et les copies du film se perdent. Je pense que pour la génération avant la mienne, c’était quelque chose de très normal. Tu te souvenais d’un film parce que tu l’a fait, pas parce que tu pouvais le voir et le revoir sur Internet ou sur DVD. C’était encore comme ça quand moi j’ai commencé à faire des films.
Honnêtement, et avec du recul, si je pouvais avoir tous mes films à portée de main, dans toute la splendeur du digital d’aujourd’hui… pourquoi pas. Mais d’une certaine manière, c’est le cycle de la vie des films et voir qu’il existe encore une copie aujourd’hui [de The Blue Man], c’est fantastique! Est-ce que j’aimerais en voir une version remasterisée? Bien sûr! Et sinon, eh bien le film retournera dans l’oubli, sauf pour les quelques personnes qui se souviendront de cette projection en disant «C’était cool!». Si tu t’inquiètes trop de ces choses là, c’est que tu vis dans le passé. Je préfère vivre dans le présent.
HQ — La seule édition DVD de The Blue Man est pourrie. Peux-tu nous donner une bonne anecdote digne d’un bonus feature? Peut-être à propos de l’utilisation de la Louma?
GM — Le truc le plus cool à propos de cette scène — celle où on commence sur le gars qui dort, puis la caméra sort par la fenêtre puis se promène dans les arbres… —, eh bien, cette prise a pris une journée complète de tournage plus une autre journée la veille pour créer un échafaudage de deux étages et de 40 pieds de long. Là-dessus étaient installés les rails de travelling, sur lesquels étaient installés les roues de la Louma, par dessus lesquelles était installée ladite Louma. C’était une scène où tout le monde — même les producteurs — s’accordait sur une chose: ça en vaut la peine, l’argent et le temps. C’était une scène vraiment difficile. Encore aujourd’hui ça le serait.
***
HQ — Maintenant on va passer à des questions plus personnelles. En tant que réalisateur culte des années 1980, qu’est-ce qui te manque le plus du bon vieux temps?
GM — La camaraderie. Aujourd’hui, tout est trop corporate. Autrefois on avait un creative producer sur le plateau et un comptable. Aujourd’hui malheureusement, même les plus petites productions ont plus de comptables que de créatifs. Sur The Blue Man, je me rappelle d’un esprit de communauté, de soutien et de famille. On voulait tous faire le film le plus cool possible avec l’équipement la plus cool de l’époque. On se disait: «Voire que du monde nous paie pour s’amuser avec ce matériel!».
HQ — Dans le panthéon du cinéma d’horreur canadien, quels sont tes favoris?
GM — [Presqu’en coupant la fin de ma question:] Black Christmas. Curtains.
HQ — My Bloody Valentine est très terre à terre comme film tandis que The Blue Man s’approche plus du fantastique. Qu’est-ce qui te fait le plus triper aujourd’hui?
GM — J’aimerais trouver un nouvel hybride.
HQ — As-tu de nouveaux projets?
GM — Je travaille justement sur un nouveau projet qui prend le côté terre à terre de My Bloody… avec de vrais humains qui sont plongés dans une situation surnaturelle à laquelle ils ne croient pas. J’y ajouterais le blood and gore d’un slasher whodunit. Ça s’appelle Revelation. J’espère pouvoir le faire bientôt. J’ai envie de retourner à l’horreur. J’ai plusieurs idées dans ce genre, mais je crois particulièrement à celle-ci de par son aspect hybride. J’ai envie de créer quelque chose de nouveau et de différent, de marier les sous-genres. Je pense en plus être aujourd’hui un bien meilleur cinéaste que je l’étais il y a 30 ans.
HQ — En parlant justement de choses nouvelles, de nouveaux projets… J’ai entendu des rumeurs à propos d’une suite à My Bloody Valentine… vends-moi du rêve s’il-te-plait.
GM — C’est sur le feu, ça frémit. On essaie de trouver le bon équilibre entre budget et faisabilité. Je pense avoir trouvé la clé de l’intrigue; celle qui permet de faire fonctionner le film. C’est quelque chose avec laquelle je jongle ces dernières années. Si tout fonctionne comme on aimerait, on devrait être capable d’en faire quelque chose dans un futur proche.
My Bloody Valentine est le genre de film qui n’a pas besoin d’une suite. Même si le public et les fans veulent en veulent une, le film en soi a un vrai début et une vraie fin. On sait que le personnage d’Alex, après s’être coupé le bras et s’être perdu dans les mines, ne va jamais survivre! Il ne peut pas revenir comme Freddy ou Jason. C’est pas Michael Myers, tu vois? Ce serait du n’importe quoi. Sa mort est réelle. C’est ce qui fait qu’une suite est si compliquée à amener.
Mais je pense avoir trouvé la solution. Donc… Qui sait?
HQ — Quels étaient tes films préférés à Fantasia cette année?
GM — Difficile question. Malheureusement je n’ai pas pu aller voir autant de film que j’aurais voulu cette année. Je ne veux pas froisser de monde alors je laisserais cette question de côté, désolé!
***
HQ — Dernière question: quelles sont les 6 choses que tu as envie de voir dans le cinéma d’horreur canadien d’aujourd’hui? De quoi a-t-il besoin?
GM — De réalisme.
Encore de réalisme.
De rester loin du cliché des jeunes saouls dans un cottage… par pitié.
D’audace.
D’anarchie.
Et d’émotion.
Dans le fond, il faut se baser sur la réalité. C’est quelque chose qui se perd. Je ne dis pas qu’il ne faut pas toucher au surnaturel, mais qu’il faut au moins avoir des réactions qui sont réelles et humaines. J’ai vu des films dans lesquels des jeunes personnes et des enfants voient des meurtres et ne réagissent pas de façon humaine. En bref: retrouvons des émotions naturelles et ancrées dans le réel.
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